Je ne suis pas sur de m'aligner complètement sur la ligne politique qui fera de
Nicolas Mathieu le chef de file de la littératosphére.
Le gars en est à son 3e vrai roman. Chaque titre nécessite 3 ou 4 pages d'explication dans Elle:
«
Aux animaux la guerre » c'est
La Fontaine, bien sur, avec
les animaux malades de la peste.
«
Leurs enfants après eux » c'est l'Ancien testament évidemment, rappelant que les ouvriers d'Heillange sont comme s'ils n'avaient jamais existé ainsi que leur descendance.
«
Connemara », facile, c'est Tam tata tatatatam et Sardou ,qui arrive toujours au bon moment: mariages, fêtes de village, anniversaire de Papy et fêtes des B.D.E. des écoles de commerce du TopTen.
L'action se passe à la veille des élections de 2017 et, dans une mise en abime involontaire, consacre
Nicolas Mathieu en 2022, à la veille des présidentielles.
Ceci étant dit, il s'agit d'un excellent roman, presque totalement flaubertien.
L'auteur est un grand écrivain qui sacralise l'adjectif, l'adverbe et la métaphore courte.
« Elle respire l'odeur surette des draps qui n'ont pas été changé depuis le début du séjour »
«La mère de Charlotte ressemble à ces femmes qui font de la pub pour les crèmes antirides, chics et saines, la petite cinquantaine en sfumato , des joncs en or aux poignets »
« Sous ses fesses, l'extrême confort du matelas Simmons plaidait plutôt pour le statu quo »
« Elle leur adressa des photos d'elle dans sa salle de bain, des compliments comme de bons gros gâteaux pleins de levure. Au bout d'une semaine les deux hommes ne débandaient plus »
« Dire que son vieux s'était échiné quarante ans, et que tout finirait dévoré par les soins, le patrimoine muté en toilettes intimes, petit-suisses et divagations dans le parc arboré »
Et une petite dernière :
« Mais on n'était pas fier, à quarante balais, quand on était père et qu'on avait une vie d'adulte, de taper rousse, beurette ou interracial dans une barre de recherche »
Et bien voilà, le décor est planté dans le Grand-Est, entre Vosges et Lorraine.Régions devenues Territoire. L'auteur y déplie doucement, avec de nombreux flashbacks, une tapisserie narrative de très bonne facture réinventant presque le classicisme social.
Hélène , assurément personnage principal, n'est pas vraiment, comme j'ai pu le lire un peu partout, un « transfuge de classe ». Ces parents ne sont pas pauvres. C'est plus une histoire de culture.Mais ce n'est pas grave: elle boit du picon-biére tout en lisant
Mona Chollet
Pour quelqu'un qui vient de faire un burn-out managérial à Paris, elle assure sacrément dans sa nouvelle société nancéienne de conseil, avec ses 2 filles et un mari ESSEC plutôt sympa.
Elle va donc baiser ( infinitif le plus fréquent du bouquin) avec son vieux pote Christophe.
On retrouve alors la question du déterminisme social , essentielle, à travers une constellation de personnages secondaires forgés dans l'acier et la boue.
Alors là il y a 2 aspects du roman qui m'ont vraiment intéressé:
une description formidable du monde du consulting. Là c'est vraiment top à tout point de vue. Dans la forme ( ah le volapuk du management, le portrait de Lison-génèration Z, les Mac partout etc…..) et dans le fond ( et oui ça ne sert pas à grand chose, mais peut-être un peu).
la découverte de la passion d'Epinal (
Nicolas Mathieu dirait spinalienne) pour le patin à glace.
Rien que pour cela le livre vaut son pesant de cacahouètes.
J'ai lu aussi qu'il était drôle (le livre). Je l'ai trouvé absolument mélancolique. Quand on se prend le Réel de plein fouet et que ça fait bien mal, ça a tendance à vous mettre un peu le moral dans les chaussettes.
La fin façon La La Land nous fait abandonner tout espoir.
Mais c'est peut être ça la moral du livre : Toi qui fredonne
Connemara, abandonne tout espoir.
Et ce n'est pas si grave.