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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Chère Thérèse Desqueyroux, je ne sais pas si je vous aime, je ne le sais pas encore, mais vous m'avez troublé.
Rappelez-vous, j'étais dans ce train qui s'arrêtait de gare en gare, qui vous ramenait... j'allais dire bêtement chez vous, qui vous ramenait à votre époux comme on ramène un enfant égaré dans la rue à ses parents, comme on ramène au troupeau la brebis qui s'en est éloignée... Vous vous apprêtiez à passer derrière les barreaux d'une famille...
Suite à ce non-lieu prononcé quelques heures auparavant, vous étiez libre et déjà enfermée presque à jamais dans l'univers qui vous attendait. Vers l'homme, votre mari, dont on vous avait accusé de l'avoir empoisonné quelques temps plus tôt, mais voilà ! La politique de Papa, la réputation de votre milieu, celle de votre époux, de deux familles, il fallait sauver les apparences, cela valait bien pour vous un non-lieu judiciaire, une soi-disant liberté, une réclusion à perpétuité sur le plan social...
Et dire que ce type, cet époux rustre et chasseur, aimant les chiens qui courent dans la boue comme des idiots après les palombes une fois abattues, celui que vous alliez rejoindre, vous qui cherchiez la compassion, le pardon auprès de lui, dire que celui-là s'appelait... Bernard !
J'ai aimé deux de vos alliées, complices dans la fraternité et la douleur, soyez sans crainte, elles ne sont pas rivales en mon coeur, l'une s'appelle Emma Bovary et l'autre Anna Karénine. Je sais qu'il est particulièrement indélicat, très indélicat même, d'évoquer le nom d'une femme,- encore pire celui de deux femmes -, lorsqu'on s'adresse à une autre femme au plus près du coeur, celle à qui vont ces mots. Ces mots sont pour vous, chère Thérèse Desqueyroux, n'ayez crainte, et je ne sais même pas si ce mot de crainte peut vous faire peur ou vous fondre dans un grand rire devant mes mots stupides, tant vous m'échappez vertigineusement, fuyante à jamais ; je ne saurai jamais qui vous êtes et dans cette énigme à jamais, j'ai l'impression ce soir que mon amour grandit pour vous.
Simplement, et j'en finirai pour ne pas être opportun, les deux femmes dont j'évoquais le nom à l'instant me paraissaient s'être trompées d'histoire au bout du chemin, après le désir, l'attente et les désillusions, fuyantes au travers des pages, cherchant le bonheur ailleurs, mais vous à leur différence, je n'ai pas vu cette fuite éperdue, cette cavalcade dans un train ou une calèche infernale, sauf à imaginer qu'un feu insoupçonné vous brûlait de l'intérieur et que peut-être c'est dans cet espace abyssal plus grand qu'un canyon que vous vous être sans doute égarée...
Plus tard, je vous ai attendue, perché en haut d'une palombière dominant les pinèdes. Oui, je sais, vous auriez tant voulu mettre le feu dans ces pins que vous aimiez tant cependant... Peut-être tout simplement pour que tout s'embrase, ce monde que vous détestiez, que tout s'embrase, les familles, les salons meurtris d'ennui dans cette ambiance étouffante, les chiens de chasse, ainsi que vous.
C'est grâce à l'écriture de François Mauriac que je suis venu à vous par le miracle de ses mots, de l'imaginaire, même si, paraît-il, vous avez existé réellement, ou plutôt le personnage qui vous a inspiré. Tant de femmes ont existé qui vous ressemblent, une seule ne suffirait pas à vous dépeindre, elles étaient multiples, ces femmes projetées dans des mariages imposées. On croirait ce monde révolu, hélas d'autres religions entretiennent le feu pour dire que ce monde n'appartient ni au Moyen-Âge, ni au XIXème siècle, ni dans les Landes engoncées de ce conformisme poussiéreux de début du XXème siècle.
Souvent, dans ces pages, je vous ai effleurée, cherchant un regard, un coin de peau, un coeur qui bat, un endroit où chavirer vers votre rivage. Dans cette atmosphère oppressante, j'ai étouffé près de vous. Pourquoi tant de distances à mon égard ? Je n'étais qu'un simple lecteur finalement... J'ai cru vous effleurer, mais je n'effleurais que des pages, que des mots...
Un récit de cent quatre-vingt-quatre pages... Comme il est inouï de découvrir tout ce qu'on peut dire en si peu d'espace finalement ! Est-ce pour cela que vous n'avez pas eu le temps, chère Thérèse Desqueyroux, de me livrer votre coeur, de me tendre les clefs de cette citadelle imprenable, au moment où vous descendiez du train, vers cette gare presque oubliée dans ce paysage de campagne. Je ne sais même pas si vous m'avez regardé un seul instant lorsque vous vous êtes retournée au dernier moment avant de cheminer vers l'enfer de cette vie qui vous attendait.
J'aime la femme que vous êtes, meurtrière, immorale, louve, ce soir par compassion ou par amour, je ne sais pas, je veux être immoral pour sauver de l'abîme ou de la boue vos pas, vos trébuchements, tendre mes bras vers ce qui reste encore de mystère en vous, inavouable, comme un secret, scellé sur votre visage immuable... C'est presque jusqu'à Paris, sur ce trottoir solitaire, que je vous aurai mal compris...
Maintenant, je sais que ce n'était pas moi qui était dans ce train d'Aquitaine, mais un certain François Mauriac, orfèvre des mots et du coeur, capable d'une écriture aussi intelligente que poétique, capable de cerner l'émoi d'un coeur. Avant cela, avant dimanche où j'ai lu ce livre, coïncidence étrange, j'ai entendu la veille sur France Culture la voix de cet écrivain, la rediffusion d'une très ancienne émission de radio, il avait la voix d'un vieil homme, la voix chevrotante, usée, presque aphone, alors que le lendemain, à travers ses mots, je me disais, ô que cet homme devait être plein de sang, de passion, dans la force de la vie, pour vouloir chercher à embraser le coeur de cette femme devenu endormi, résigné par les conventions et les arrangements d'un autre temps...
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J'ai eu envie de relire un des rares romans qui m'ont passionnée durant mes années lycée, tout en me disant que ce livre était sans doute maintenant un peu démodé compte tenu de l'évolution des moeurs et de la société. Eh bien non, en effet ce texte n'a pas pris une ride. Dénonçant les tares de la bourgeoisie de province (ici bordelaise) et ses enfermements délétères avec une virulence tourmentée que n'aurait pas désavouée Bernanos, Mauriac analyse les méandres du coeur humain avec une lucidité qui rappelle également Balzac, en plus noir. (Pour le côté obscur, voir qui vous savez...). Thérèse Desqueyroux est une maudite, une empoisonneuse ratée dont la bonne société bien-pensante -jusqu'au mari rescapé- se dépêche d'étouffer l'affaire . Mais qui, de cette société ou de Thérèse, est la plus criminelle ? Qui tue à petit feu et pratique la mort lente des âmes les plus vivantes et les plus rebelles ? Qui de l'empoisonné ou de l'empoisonneuse est le plus empoisonnant ? le poison n'est-il pas du reste un superbe symbole de ce qui détruit à petites doses ? (On en vient d'ailleurs presque à regretter que le mari s'en soit sorti, le roman eût été moins sombre...) Nulle rédemption apparente ne vient sauver Thérèse mais un abandon qui la renvoie à une irrémédiable solitude, thème cher à Mauriac. Solitude dans laquelle se trouve à la fois nos pires démons et nos possibilités de les combattre.
Il n'y aura pas de rédemption pour Thérèse, parce que la rédemption passe par le pardon accordé et que son mari et la société le lui dénient, sans même être capables de comprendre ce qu'elle leur demande, la plongeant dans une nuit dont elle ne sortira que par la mort (cf "La fin de la nuit"), dans l'espérance d'un hypothétique et autre Pardon.
Bourreau DU coeur, Mauriac l'est bel et bien. Ecrivain complexe, pris par ses propres ambiguïtés, tantôt les fuyant, tantôt les affrontant, il reste celui qui renvoie chacun d'entre nous à sa propre image avec la lucidité impitoyable d'un être exigeant face à la vérité, face à Sa vérité. Vraiment j'ai aimé cette redécouverte vécue avec plus d'expérience et de maturité, d'autant qu'une petite balade à Malagar ce week-end a largement contribué à enchanter cette expérience.


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« N'éprouves-tu jamais, comme moi, le sentiment profond de ton inutilité ? Non ? Ne penses-tu pas que la vie des gens de notre espèce ressemble déjà terriblement à la mort ? »

Je suis une femme qui se cogne la tête. Depuis si longtemps. Je suis un être. Une branche morte. Quelques frissons parcourent mon corps à de rares moments (Anna, un vent frais, une pluie tourbillonnante ou une simple photo en noir et blanc, des couleurs de deuils, de mariages, c'est selon) mais qui ne suffisent pas à me faire sentir vivante. Ou bien, est-ce dans le regard des autres que je vois la mort, cette mort qu'ils me renvoient et qui se colle sur ma peau. Qui devient mon masque. Qui m'étouffe. Jusqu'à ce que je la vomisse et la rende à celui qui m'est le plus proche. Malaise pendant cette lecture. Je ne trouve pas de réponses, je reste comme Bernard, en suspens. Thérèse ne donne pas de réponse, Thérèse n'en a pas. Elle cherche, se cherche. Se perd dans le brouillard. Et pourtant il y a bien une flammèche qui veut reprendre, qui ne tient qu'à peu mais qui suffit à maintenir un souffle de vie dans ce corps, cette chair qui ne veut pas mourir. Esprit déjà mort depuis longtemps, depuis toujours ? Rien ne pouvait lui convenir dans ce patelin, dans cette famille, aucune ligne de fuite. Juste la possibilité d'inventer, de s'inventer dans des songes. Une vie de cauchemar dont seul les rêves deviennent réalité. Responsable mais pas coupable. Non-lieu. La réponse à une non-existence
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Coup de coeur frôlé de près pour ma première rencontre avec l'Académicien français François Mauriac. Son célébrissime roman noir "Thérèse Desqueyroux" a beau n'être guère plus épais qu'un cale-porte, son récit est d'une intensité rare.

J'ai été happée, comme fascinée, par cette figure de femme au comportement schizophrénique mais qui échappe à la folie par sa grande humanité et sa quête de sens. Les pulsions meurtrières qui la font attenter aux jours de son mari, un être qu'elle comprend détester le jour même de leur union, ne trouvent pas leur justification sous la plume de l'auteur mais bien dans le regard du lecteur qui devient juge à son corps défendant et doit se fier à ses propres sentiments et à ses opinions pour absoudre ou condamner Thérèse.

La force du récit vient également du style impeccable de François Mauriac. Impactant et sobre, il sert à merveille la narration ; cette dernière nous entraîne en peu de descriptions à travers les Landes, dans les pinèdes surchauffées où menace l'incendie. L'atmosphère oppressante est parfaitement rendue par le peu de personnages mis en scène ; on étouffe aux côtés de Thérèse, on étouffe à sa place, on étouffe de sa vie imposée.

Il y a quelque chose de "Madame Bovary" dans "Thérèse Desqueyroux" et aussi quelque chose de "Thérèse Raquin", deux autres monuments littéraires. On ressent très vivement les émotions, les attentes et les désillusions de chaque protagoniste. Et si l'on ne peut dire que ce roman est haletant, du moins est-il marquant.


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Thérèse a accepté sans rechigner d'épouser l'héritier de la propriété qui jouxte la sienne lors d'un mariage arrangé par les deux familles. Bernard est rougeaud, apprécie la bonne chère et se passionne pour la chasse à la palombe. Soit, mais peut-être se comporte-t-il normalement, comme tous les hommes de ce milieu. Elle le découvre soudain sous un jour nouveau lors de son voyage de noces. Ils vont peu à peu vivre étrangers l'un à l'autre.

François Mauriac nous introduit dans la société terrienne bordelaise des années 1920 vue par Thérèse. Thérèse se retrouve rapidement prisonnière de ce milieu qui règle ses comptes en famille et redoute le qu'en dira-t-on. Solitaire, elle est également prisonnière des rêves d'une vie qu'elle imagine. L'auteur peint admirablement le décor qui l'isole du monde, ces pinèdes dans lesquelles Thérèse aime se promener. Il nous raconte, par la voix de Thérèse, des faits parfois anodins qui ajoutés les uns aux autres nous mènent irrémédiablement vers une fin tragique.

Criminelle, Mauriac nous la rend presque sympathique dans ce drame psychologique. Car qui de Thérèse ou de cette famille aurait les comportements les plus coupables ?



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Qui est-elle cette femme qui n'est ni belle, ni laide mais dont on tombe sous le charme ? Sont-ce ses silences ou, au contraire, ses avis bien tranchés qui font d'elle une femme particulière.
En tout cas, c'est une femme qui raisonne et qui ne veut pas s'en laisser conter. Elle lit, s'instruit, réfléchit et pourtant, malgré ses idées progressistes et féministes pour l'époque, elle épousera quand même un gars de la lande très attaché à ses principes et à la famille. Alors mésalliance ?
On aurait presque de l'empathie pour cette femme incomprise par son entourage. D'abord déçue par ses amitiés, la petite Clara offre son amitié mais au compte-gouttes, par son mariage ensuite, son mari propriétaire terrien n'est séduit que par la conformité de sa position sociale et les liens conjugaux, dès le voyage de noces, se révèlent sans intérêt, et enfin déçue par son père qui ne rêve que de politique et de pouvoir et l'a toujours tenue éloignée de lui.
La vie n'est-elle que ça ? Une place toute prête dans un moule élaboré par les autres ? Non, Thérèse rêve d'autre chose. Autre chose qu'elle a du mal à définir mais qui ne correspond pas à l'image de la femme bonne ménagère et soumise à son mari. Et insidieusement et presque malgré elle, elle commencera à empoisonner son mari...

Son crime n'est en rien un crime passionnel. Thérèse n'est occupée que d'elle et de ses rêves de liberté. Folie, égocentrisme ? Je n'ai pas su trancher, sûrement un peu des deux...
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Comme d'autres qui ont suivi Madame Bovary, je t'ai suivi Thérèse pas à pas dans ce roman. La ville de B.... n'a pas de secret pour moi.
En sortant du tribunal tu étais soulagée. Tu devais te sentir légère en passant entre les colonnes du bâtiment et chaque marche du large escalier de pierre te semblait douce à tes pieds.
L'ombre des tilleuls n'était plus menaçante et c'est résolument sur ta gauche que tu as pris ta route que j'ai tant aimé.
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Un livre très profond qui tente de descendre dans les méandres de l'esprit humain de ses renonciations et envies, de ses espérances et révoltes...La morale, la justice, le bien le mal, tout ce qui fait qu'on peut être tourmenté malgré une vie en apparence facile aisée...F Mauriac va au coeur du sujet, et n'hésite pas pour son époque à remettre en cause une institution aussi bien établie que le mariage...On sent dans les mots la souffrance de Thérèse et en même temps sa volonté nue de liberté qui va la pousser au-delà du raisonnable....
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Le livre est inspiré d'un fait divers, le procès d'une femme qui a tenté d'empoisonner son mari et que ce dernier a disculpé au procès, Mme Canaby. C'est un livre très ramassé, à peine un peu plus de 120 pages et 13 chapitres. Les neufs premiers se concentrent en moins de 24 heures. Après le procès, où elle bénéficie d'un non lieu, Thérèse rentre chez elle. Elle se rappelle son existence, et les raisons qui l'ont poussé à commettre son acte, pour pouvoir l'expliquer à Bernard son mari qui l'attend à la maison. Passent ainsi sa jeunesse, son amitié avec Anne, la demi-soeur de Bernard, puis le mariage décidé par la famille. Ce qu'elle perçoit comme une incompatibilité avec cet homme, son insatisfaction sexuelle, la sensation d'un étouffement et dépérissement, sa grossesse. Et un événement qui va lui faire prendre conscience de l'inassouvissement profond de sa vie : la rencontre avec un jeune homme, potentiellement tuberculeux qui vient se reposer dans la région landaise où vit Thérèse, et qui a un flirt avec Anne, auquel Thérèse est missionné de mettre fin. Il lui ouvre des horizons, les possibilités d'une autre vie. Alors sans l'avoir vraiment décidé, un peu par hasard, elle se met à empoisonner son mari, avec le médicament qui lui sert de remède pour un mal sans doute imaginaire. Il est hospitalisé, et elle accusée.

Le roman est remarquable par l'économie du récit, une façon de dire tant de choses avec si peu de pages. Cette société bourgeoise étouffante, surtout pour les femmes, qui doivent se soumettre ou périr. Les rituels sociaux, entre réunions familiales et cérémonies religieuses. Et les individus, décrits, caractérisés, en peu de phrases ou gestes, juste l'essentiel, le plus signifiant. Les événements aussi, ramassés, débarrassés de l'accessoire, du superfétatoire, du clinquant, pour aller à l'essentiel sans esbroufe. Rien de larmoyant dans cette manière de raconter, de dire cette histoire, cette femme, rien qui cherche le sensationnel, alors que cette tentative de meurtre, et aussi cette quasi façon de se laisser mourir pourrait si facilement verser dans le mélodramatique, le sentimental facile.

C'est remarquable et juste de la première à la dernière page.
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Non lieu ! Ouf, non lieu. le père de Thérèse exprime son soulagement devant ce verdict. Vous vous rendez compte, quelle horreur si sa fille avait été reconnue empoisonneuse ! son ascension vers le Sénat aurait été irrémédiablement compromise.
Et peu importe la raison pour laquelle Thérèse a commis ce geste. le père s'en fiche, sa fille est folle tout simplement !

Et dans la voiture qui la ramène du tribunal au domicile conjugal, Thérèse tente de construire sa défense pour faire comprendre son geste à Bernard. Mais cela est-il possible ?
Bernard, inspiré par l'esprit de famille, sachant toujours et immanquablement ce qu'il doit faire et ayant menti au tribunal pour l'honneur familial peut-il vraiment écouter Thérèse ?

L'un à l'autre destinés dès l'enfance par leurs parents qui voyaient d'un bon oeil s'unir les deux fortunes, Thérèse Laroque et Bernard Desqueyroux n'ont émis aucune protestation, tant les intéressaient les pins l'un de l'autre.
Et Thérèse Laroque ne savait pas du tout ce que le mariage allait lui apporter !
En tout cas, certainement pas ce dessèchement du coeur et de l'âme, cette vie étriquée auprès d'un mari exclusivement préoccupé de chasse et de mangeaille, ce mortel ennui auprès d'un compagnon qui n'en est pas un. Elle en vient même à détester l'enfant qu'elle porte, car il est une part de lui, ce lui qu'elle refuse totalement et elle s'étiole, confinée dans cette campagne loin de tout dans une existence qu'elle sent inutile.

"Inutilité de ma vie - néant de ma vie - solitude sans bornes - destinée sans issue"
Voilà ce qu'elle ressasse au long du trajet qui la ramène chez elle.

Car pour la bourgeoisie de la lande, à laquelle elle appartient, la propriété est l'unique bien de ce monde et foin de tout le reste ! et Thérèse ne se sent rien de commun avec sa parentèle.

Alors l'amour d'Anne, sa belle-soeur et amie de toujours, pour Jean Azevedo, cet amour passionné qui consume le coeur de la jeune fille, lui fait entrevoir un autre avenir et enflamme son coeur de haine... pour qui, et pourquoi ?
parce que son balourd de Bernard, qui ne pense qu'à ses pins et à la chasse n'a jamais rien su éveiller en elle, pas la moindre étincelle de désir et d'amour ?
parce que cette petite Anne, son amie, si différente d'elle et tant aimée lui a inspiré jadis une affection un peu plus que sororale, ce que son esprit ne pouvait comprendre et encore moins admettre ?

Mais qu'est-il donc advenu des rêves de jeunesse ? ces rêves d'amour fou qui se sont perdus pour Anne dans les menteuses étreintes de Jean Azévédo et pire encore pour Thérèse dans la banale étreinte conjugale d'un Bernard animé seulement par la conception de sa descendance.

Je ne prétendrai pas que Mauriac a dit "Thérèse Desqueyroux, c'est moi" (comme un certain Flaubert en parlant de son Emma Bovary), mais comme il a bien su en intégrer la défroque et nous transmettre
les émois, la rage, le désespoir de cette femme qui se sent enfermée dans une condition dont elle ne veut pas.
Bien sûr elle a choisi les pins et accepté ce mariage avec Bernard comme le souhaitait sa famille.
Mais elle n'avait pas mesuré le néant dans lequel elle allait sombrer, ces sinistres soirées dans le silence d'Argelouse, cette lande perdue avec pour seule compagnie les ronflements de Bernard et comme seul avenir l'asphyxie de son esprit !
Non, Thérèse n'est pas sympathique. Elle méprise ou ignore son entourage tant elle s'en sent différente.
Oui, Thérèse est une empoisonneuse, et à ce titre elle devrait inspirer le rejet, mais il n'en est rien ...
et c'est la compassion qui agite le lecteur pour les élans brisés de cette femme qui, sous la pression invisible de son milieu, s'est coulée dans le moule étouffant d'une vie étriquée, rien d'autre que l'antichambre de la mort.

Magistral comme d'habitude chez Mauriac !
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