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Alfaguara (01/01/2010)
3/5   3 notes
Résumé :
publié en 2010
António Jorge da Silva, um barbeiro que acaba de completar 84 anos, e depois de perder a mulher, é entregue a um asilo.
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Que lire après a maquina de fazer espanhoisVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
À l'exception de deux courts chapitres, A MÁQUINA DE FAZER ESPANHÓIS (LA MACHINE À ESPAGNOLS), est non seulement entièrement imprimé en bas-de-casse mais, sur un total de onze signes de ponctuation que la langue écrite met normalement à notre disposition, l'auteur ne se sert en tout et pour tout, que de deux : des points et des virgules (!). Ce roman, détrompons-nous, n'a pourtant rien d'une oeuvre hermétique, ardue ou expérimentale. Et même si ce procédé, qui avait été inauguré dans la littérature portugaise par le génie éloquent de José Saramago, sera repris ici dans une radicalité encore plus prononcée du fait notamment de son utilisation exclusive des minuscules, les correspondances avec la langue et le style saillants et parfois très méandriques du grand écrivain portugais s'arrêteront en principe à ce seul aspect formel. José Saramago qui, d'ailleurs, au moment de la publication des premiers romans de Valter Hugo Mãe au début des années 2000, saluait alors à son propos, l'irruption dans la littérature portugaise d'un véritable «tsunami stylistique, sémantique et syntaxique».
Romancier, poète, auteur de livres pour enfants, parolier (et à l'occasion chanteur aussi, avec un opus enregistré en 2009), Mãe (nom d'emprunt qui veut tout de même dire «Mère» en portugais!) est né en Angola, en 1979. Paru en 2010, A MÁQUINA DE FAZER ESPANHÓIS est l'un de ses romans les plus connus. Succès absolu de critique (élu meilleur roman de l'année au Portugal et au Brésil) et largement plébiscité par le lectorat des pays lusophones, il en est à sa dix-neuvième édition en langue portugaise! Malgré cet immense rayonnement à l'extérieur de nos frontières, cette machine à succès n'est cependant toujours pas traduite et publiée en France où, à ce jour, trois autres romans de Valter Hugo Mãe ont été édités, deux par Métailié, «L'Apocalypse des travailleurs», en 2013, et «Le Fils de mille hommes», en 2016, un troisième par Denoël, «La Déshumanisation», en 2020.
L'histoire que raconte A MÁQUINA DE FAZER ESPANHÓIS, à un premier niveau de lecture et après un temps d'adaptation requis au départ par cette radicale épuration typographique, se révèle en surface assez accessible et réaliste, le contexte et le décor où celle-ci est plantée ne laissant pas d'autre part, et loin de là, le lecteur indifférent, émotionnellement et humainement parlant : António Silva, 84 ans vient de perdre son épouse Laura après quarante-huit ans d'une vie commune en parfaite entente et harmonie, durant laquelle il ne leur était jamais arrivé de passer ne fût-ce qu'une seule nuit séparés.
Le récit s'ouvre ainsi sur le choc émotionnel profond, souvent aux conséquences ravageuses, parfois insurmontables pour le survivant d'un couple très âgé ayant partagé une union fusionnelle durant de très longues années, subi ici par Monsieur Silva littéralement comme une amputation : «ce fut comme si on me disait, monsieur silva, nous vous prenons les bras et les jambes, ainsi que vos yeux, et vous perdrez aussi la voix, nous vous laisserons peut-être les poumons, mais nous sommes obligés de vous prendre le coeur et, nous le regrettons sincèrement, dorénavant plus aucune forme de bonheur ne vous sera autorisée». À la fois effondré, enragé contre l'existence et contre la Terre entière, incapable de s'imaginer continuer à vivre seul dans un lieu où tout, y compris les murs et le mobilier qui semblent pleurer inconsolables l'image de l'absente, lui rappelle incessamment la disparition de sa femme, António Silva, indifférent désormais à son propre sort, accepte sans réfléchir à deux fois la proposition que lui fait sa fille, et intègre sans tarder un établissement pour personnes âgées, le «Lar da Feliz Idade », «Résidence de la Félicité» (jeu de mots intraduisible, basé sur l'homophonie portugaise entre « Felicidade», {Félicité}, et «Feliz Idade», {Heureux Âge}) !
Honnête citoyen lambda ayant exercé toute sa vie comme barbier-coiffeur, introduit au lecteur comme une sorte d'avatar portugais de Monsieur Tout-Le-Monde («Silva» est l'un des noms de famille les plus courants au Portugal, équivalant au «Dupont» français), c'est donc avec des mots directs, dépourvus néanmoins de toute forme de complaisance ou d'auto-apitoiement, parfois crus, mais dans tous les cas percutants de sincérité et de vérité, qu'il égrènera sa souffrance, sa rage, la noirceur des pensées et la paralysie de la volonté qui l'assaillent à ce moment-là.
«au début, je pensais que le fait de me retrouver ici, c'était comme si on avait voulu me tuer, mais que le courage avait manqué à opter pour une méthode plus rapide, une méthode plus rapide mais sûrement plus honnête. on me met donc là, et l'on attend que je me fane peu à peu, loin de leurs yeux. et je n'arrivais alors même pas à comprendre pourquoi la force de ma tristesse n'était pas, à elle seule, en mesure de faire cesser de battre mon coeur, parce que je vivais dans un lieu à moi imaginaire où je suppliais ma mort à la moindre turbulence se manifestant autour de moi.»
Au fur et à mesure que le temps passe, Monsieur Silva va pourtant réussir à s'extraire progressivement de ce refuge irréel où il s'était retranché en attendant avec impatience la mort, conscient néanmoins du fait que « en mourant [il n'irait pas] retomber dans les bras de laura à nouveau et continuer dans l'éternité {leur] relation (...) mourir était une forme de justice rendue, afin d'éviter de devenir une pâle image de ce qu' {il avait été]. ce serait de pouvoir au moins garder un standing de vie émotionnelle qu'il n'était pas juste de perdre».
À faire ainsi de plus en plus souvent de petites incursions dans son nouvel environnement, il finira par quitter la zone de brouillard où le deuil de sa femme l'avait cantonné. Grâce aux expériences nouvelles qu'il vivra dans ce microcosme particulier que constitue un établissement pour personnes âgées, et notamment aux échanges et aux liens d'amitié qu'il réussira à tisser avec d'autres résidents, António Silva sera amené peu à peu à reconsidérer son parcours de vie, certains actes répréhensibles de son passé, ses choix personnels et politiques, sa vision du monde forgée en partie par un régime totalitaire, ainsi qu'à replacer enfin dans une nouvelle perspective temporelle l'idée de sa propre mort à venir.
Valter Hugo Mãe campant son histoire dans une apparente grande simplicité narrative réussit à y instiller, avec beaucoup de sensibilité, en un dosage parfaitement équilibré, empathie et ironie, humour et réflexion, cruauté du propos et compassion des sentiments.
Le récit prend peu à peu de l'ampleur, le Lar da Feliz Idade et les évènements qui ponctuent leur quotidien devenant en même temps, à un autre niveau de lecture, une allégorie de l'histoire récente du Portugal, et celle de ses pensionnaires, l'histoire de tous les «silvas» nés et ayant passé l'essentiel de leur vie adulte et active sous le régime de Salazar.
La mystérieuse «machine à espagnols», fantasmagorie complotiste créée de toutes pièces par l'imagination débridée de certains de ses pensionnaires, bientôt transformée en rumeur inquiétante, serait quant à elle, intimement rattachée aux fantasmes de devoir renoncer à une identité historique portugaise, métaphore aussi de la rivalité éternelle avec l'Espagne voisine, de la peur éveillée par la dilution en miroir des identités nationales des uns et des autres nourrie par la symétrie historique Franco/Salazar, puis par la mise du Portugal sous la férule de l'Europe, de la perte, enfin, de sa subjectivé au niveau individuel et de finir par être vidé de toute substance «métaphysique» à l'approche de la sénilité et/ou de la mort. Parmi la riche galerie de pensionnaires enfantée par Mãe, il y en a un, d'ailleurs, particulièrement emblématique à ce titre. Il s'agit d'un résident déjà centenaire, qui déclare avoir autrefois côtoyé Fernando Pessoa et être devenu un des personnages de son fameux poème «Bureau de Tabac », dans lequel le grand poète portugais l'aurait introduit en le surnommant «o Esteves sem metafísica», «Esteves sans métaphysique»...
Entre subjectivité et histoire collective, entre rêverie et réalité, entre passé à déterrer et avenir à imaginer, entre faute et repentir, entre deuil et retour possible à la vie, A MÁQUINA DE FAZER ESPANHÓIS réussit à éviter soigneusement tout parti pris idéologique ou vision manichéenne. Ses choix formels ne sont, par ailleurs, ni arbitraires, ni superflus. Ainsi, probablement parce qu'ils relèvent totalement de l'ordre impératif et du principe de réalité émanant de l'Etat qui nous gouverne, les deux chapitres narrant l'enquête menée sur place par la police suite à un début d'incendie ayant coûté la vie à deux pensionnaires de la résidence, seront les seuls et uniques passages dans le livre à arborer majuscules et ponctuations courantes. Ces choix formels viennent donner ainsi de la cohérence et une grande fluidité au récit, facilitant une transition quasiment imperceptible entre les différentes dimensions que l'imaginaire de l'auteur visite. Enfin, la langue dont il se sert fait également preuve de créativité et d'une grande originalité, naviguant décomplexée entre justesse et inventivité sémantique et syntaxique, entre préciosité et modernité.
Valter Hugo Mãe est, si je ne trompe pas, encore un auteur peu connu en France. Il mériterait largement d'être découvert par un plus grand nombre de lecteurs, et surtout par ceux qui pourraient apprécier plus particulièrement cette riche et souvent surprenante littérature portugaise.
A propos de A MAQUINA DE FAZER ESPANHOIS, que j'ai personnellement la chance d'avoir pu découvrir dans sa version originale, António Lobo Antunes, autre monument de la littérature portugaise contemporaine, avait déclaré au moment de sa parution: «la plupart des livres sont écrits aujourd'hui à destination d'un public ; celui-ci est un livre écrit pour des lecteurs».
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
ai as glórias do salazar, eram tão grandes as pontes e longas as estradas, eram tão bonitas as criancinhas a fazerem desporto e a cantarem letrinhas patrióticas. parecíamos um grande cenário de legos, pobrezinhos mas tão lavadinhos por dentro e por fora, a obedecer. divirtam-se, gentes da minha terra, não é desgraça ser pobre, punha-se a amália a dizer, que numa casa portuguesa há pão e vinho e um conforto pobrezinho e fartura de carinho, e ela que ia a frança comprar vestidos onde se vestiam as estrelas de cinema americano e se embonecava de jóias e até tinha visto o brasil e a espanha, servia para que a amássemos e fôssemos pensando que estávamos todos tão bem ali metidos, éramos todos tão boas pessoas, tão bons homens, realmente. e eu, de facto, ainda adoro a amália e ouço-a quase a chorar. se for preciso e se tivesse de escolher um só português para entrar no paraíso, talvez quisesse que fosse ela, para eternizar de verdade aquela voz, a maior voz da desgraça e do engano dos portugueses. pena não haver paraíso, já não haver amália e ter havido e sobrar para aí tanta desgraça e engano.

[ah, les gloires de salazar, nos ponts étaient vastes, longues nos routes, et tellement beaux tous ces petits enfants à pratiquer du sport et à pousser la chansonnette patriotique. nous ressemblions à un grand décor de legos, petits pauvrets cependant tout proprets à l’intérieur comme à l’extérieur, en train d’obéir. amusez-vous, gens de ce pays, il n’y a pas de mal à être pauvre, disait amália, et que dans une maison portugaise il y aura toujours du pain et du vin et un petit intérieur confortable, quoique tout pauvret, et abondance de câlins, et elle qui allait en france s’acheter des robes là où s’habillaient les stars de cinéma américain et se pouponnait dans ses bijoux, qui avait même visité le brésil et l’espagne, elle servait à se faire aimer par nous tous, et aussi pour que nous pensions nous retrouver au bon endroit et au bon moment, de si braves gens, des hommes si bien, réellement. et moi, en fait, je continue à vénérer amália et à l’écouter au bord des larmes. s’il était besoin et si j’avais à choisir un seul portugais pour rentrer au paradis, peut-être voudrais-je alors que ce fût elle, afin d’éterniser d’une fois pour toutes cette voix-là, la plus grande voix du malheur et du leurre des portugais. dommage qu’il n’y ait pas de paradis, qu’il n’y ait plus amália et qu’il y en ait eu autant et qu'il en reste encore, du malheur et du leurre.]
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não foi culpa do padre, nem da igreja e nem de deus. foi só o triste acaso de sermos miseráveis num país de miséria que não esperava de nós mais do que o brio e o sacrifício mudo. havíamos sacrificado o nosso primeiro filho, e saído com duas moedas no bolso que pagariam quatro ou cinco sopas e nos deixariam para o resto do mês à deriva da sorte. começaram os outros a benzer-se e a rezar e levaram-me para uma cadeira onde me estenderam o crucifixo que tínhamos sobre a cómoda, e esperaram que deus, ou o peter pan, entrasse na minha vida com explicações perfeitas sobre o que sucedera. esperaram que a vida se prezasse ainda, feita de dor e aprendizagem, feita de dor e esperança, feita de dor e de cidadania, feita de dor e futuro, feita de dor e deus e salazar.
[ ce ne fut pas la faute au curé, ni à l’église ou à dieu. ce ne fut que le funeste hasard d’être misérables dans un pays de misère qui n’attendait autre chose de nous que du courage et un sacrifice muet. nous avions sacrifié notre premier enfant et nous nous en étions sortis avec deux sous empochés, à peine suffisants pour payer quatre ou cinq assiettes de soupe, nous laissant ensuite livrés à notre sort pour le restant du mois. les autres ont commencé à se signer et à prier et m’ont emmené jusqu’à une chaise où l’on m’a tendu le crucifix posé sur notre commode, et ils ont espéré que dieu, ou peter pan, surgirait dans ma vie avec toutes les explications nécessaires à ce qui venait de se produire. ils ont espéré que la vie vaudrait encore la peine, faite de douleur et apprentissage, faite de douleur et espérance, faite de douleur et de citoyenneté, faite de douleur et futur, faite de douleur et dieu et salazar.]
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Vidéo de Valter Hugo Mãe
Valter Hugo Mãe - L'Apocalypse des travailleurs .A l'occasion du Festival de Manosque 2013, rencontre avec Valter Hugo Mãe "L'Apocalypse des travailleurs" aux éditions Métailié. Traduit du portugais par Daniel Schramm. http://www.mollat.com/livres/mae-valter-hugo-apocalypse-des-travailleurs-9782864249320.html Notes de Musique : 01 Pursuit of Happiness - Free Music Archive
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