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Éric Vauthier (Préfacier, etc.)Cécile Noguès (Illustrateur)
EAN : 9782916141411
133 pages
L'Arbre vengeur (20/06/2009)
3.08/5   6 notes
Résumé :

Très extraordinaire mais parfaitement délicieux, comme un buffet froid, quand l'histoire est racontée avec un détachement et une cruauté parfaite par Catulle Mendès, l'un des plus talentueux représentants de l'esprit fin de siècle français. Digne successeur du Villiers des " Contes cruels ", il exerça son humour souvent grinçant, son cynisme mâtiné d'absurde avec une verve et une habilet... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
La nouvelle est assurément le genre des idées, quoique des idées courtes, condensations, subliminalités, révélations – même si la plupart des romans ne sont que nouvelles inutilement allongées et qui n'eussent eu de valeur qu'en tant que récits brefs (et encore, pour le peu qu'ils racontent…) –, c'est ainsi, je crois, le genre le plus légitime à réaliser les intrigues, à représenter, à incarner et à synthétiser les idées narratives : j'entends qu'en sa conception toute originelle – la transcription scénarisée d'image ou de rêve –, la nouvelle projette une densité qui ne cherche pas à atermoyer en facticité et dont l'efficacité réside en sa réduction aux effets, ce qui implique une vue exacte et un vocabulaire juste à destination d'une intensité. Tout s'y ramasse et intrique pour valoriser l'idée, mais le roman fait souvent accroire au génie en multipliant l'épanchement superflu qu'on tend à confondre avec le témoignage fécond : c'est qu'on mélange mal à propos le sage et le disert, et qu'à tort la longueur paraît gage de profondeur.
Ainsi la nouvelle sans idée forte ne dispose-t-elle d'aucune justification hors l'exercice : ce n'est pas le lieu des développements lourds, des représentations élaborées, des digressions complexes ; une sorte de légèreté artiste, de virtuosité suggestive, doit procéder pour l'essentiel de la teneur même de l'inspiration, et l'on peut considérer, comme je le remarque chez Mendès, que les mises en scène et relation de la vision consistent surtout en une mécanique qu'un savoir expert, qu'une dextérité virtuose, déroule en logique performante de spécialiste. Sans doute, on me contestera d'écrire : À partir d'une idée, il existe une façon indiscutablement supérieure de raconter la nouvelle, choix des scènes et modalités de narration, de sorte que des nouvellistes confirmés écriraient environ le même texte et ne discuteraient pas la victoire d'un d'eux. C'est, si l'on préfère, le rôle de l'orfèvre, artisan dont la confrérie reconnaît les meilleurs : dès qu'il reçoit la pierre précieuse, qui fait largement la puissance de son travail, la taille n'est pas tant question de personnalité que de pertinence, et il existe bien une façon de ciseler qui conserve au joyau le plus de matière et donne la plus intense rutilance à son eau. Il faut être un amateur, un novice, un profane, pour ne pas comprendre pourquoi telle pierre nécessite telle ciselure : libre au débutant de croire ce qu'il veut, les spécialistes en général ne s'y trompent pas, parce qu'ils ont le goût affiné par l'expérience et savent ce qui est à la fois le plus difficile et le plus excellent – il ne s'agit d'ailleurs pas de l'affirmer avec autorité et péremptoire : il y a bel et bien des critères précis relevant de la perfection des effets, il existe une science des gemmes qu'on appelle l'orfèvrerie.
Or, pour le professionnel-à-nouvelles se produit comme pour celui de poésie : la matière première devient rare cependant que le temps presse d'en trouver. L'oeuvre étant courte, il ne peut longuement ménager des transitions comme aux vastes entreprises ni exposer incidemment des anecdotes inutiles, publier des décorations pour faire patienter, ou insérer une considération accessoire, comme il arrive aux romanciers. Il a besoin de ressources rapides, bien enchaînées, si par exemple il écrit chaque semaine pour un journal, et probablement, en l'occupation de ses jours, il ne dispose pas d'assez de rêve ou de vision pour lui fournir la richesse surprenante qu'il lui faut. Alors, le nouvelliste écrira régulièrement par défaut sur des idées inférieures, conscient de sa faiblesse thématique qu'il compensera au moyen de techniques ajustées – et combien de nouvelles ne sont que démonstration de style et rigueur narratologique –, mais il est manifeste que de nettes différences sont sensibles en la qualité des idées, que toutes n'étaient pas destinées à la publication, que beaucoup sont d'une pauvreté qui ne servit qu'un entraînement et non une oeuvre, et même que la plupart ne valaient que pour études en attendant des imaginations plus originales et exemplaires. C'est ainsi presque toujours que, parmi les bijoux que ses doigts ont formés, certaines pierres sans aucun doute ne méritaient pas d'éclore.
Il faut du temps pour une nouvelle ; paradoxalement il en faut davantage, rapporté à la durée d'écriture, que pour un roman : avant d'écrire, elle nécessite une longue préparation, et, lorsqu'elle est en cours d'écriture, elle est déjà sur le point de s'achever – je crois que rarement on passe plusieurs jours à rédiger une nouvelle. Elle est l'accomplissement presque instantané d'une idée qu'il faut avoir préalablement murie, faute de quoi, dans le moment même d'écrire, l'intrigue ne suffit pas, et la rédaction ne se justifie pas : le récit est alors mort-né. Il est vrai que tout texte narratif requiert un travail de planification, mais lorsqu'on écrit oeuvre plus longue, on n'ignore pas que le temps des appesantissements permettra et offrira des délais où une autre idée peut naître ou se compléter ; or, une nouvelle est par nature sans délai possible, et si un moment on n'a rien à retranscrire, si l'enchaînement ne vient pas conçu et prévu avec justesse et précision, assurément cesse-t-on d'écrire, ou ce n'est pas une nouvelle qu'on rédige, car il n'est pas question d'une simple circonstance, d'un détail, d'une réflexion, qui manque, mais le récit n'étant que brièveté et densité, c'est une pièce même, toujours capitale de l'histoire, qui fait alors défaut.
Avant que le premier mot ne figure sur la feuille, l'auteur doit non seulement scruter minutieusement la vertu foncière de son idée – sa nécessité – mais explorer et inspecter avec méticulosité ses conséquences et ses aspects, circonscrire méthodiquement et à fond tout ce que l'idée initiale peut induire de surprises et de profondeur, au risque ou d'appauvrir un potentiel insoupçonné – et c'est terrible de voler une idée au monde et de la publier piètre, cependant de se l'approprier de sorte que nul n'osera plus en faire, par crainte du plagiat, l'idée galopante et supérieure qu'elle aurait dû être (c'est une idée sacrifiée à jamais) –, ou de découvrir trop tard qu'il y avait quelque chose de mieux à faire de l'idée déjà découpée et agencée, qu'on ne peut rétablir sans le découragement de tout reprendre à zéro, certainement avec les reliquats de traits médiocres, trop enracinés, dont on n'osera plus aisément se défaire. On peut ajouter après coup au roman d'abondantes pages, même des chapitres entiers ; comme sa composition appartient au temps long, il s'accroît spontanément d'évolutions intérieures que l'auteur, sous couvert de progression psychologique des personnages, s'autorise à mesure qu'il se complète lui-même et évolue, et c'est ce qui fait que les romans ne conservent pas toujours le même ordre d'idée du début à la fin, ce qu'on impute complaisamment à une planification de gradation : c'est qu'alors le romancier s'est trouvé, aux heures nombreuses de son ouvrage, des pensées supplémentaires, induites par la maturité que proposent des mois de profusion, et qui ne doivent rien au fulgurant effort du travail préliminaire. Ce qui s'est passé, en somme, c'est que, par exemple entre le mois de mars et de décembre où l'auteur a écrit son roman, il a fait une visite étonnante, fut témoin d'un fait significatif, ou observa un songe ou un phénomène qui lui permit de donner à l'histoire une direction neuve compatible avec celle qu'il voulait premièrement lui donner, ou bien qui la supplante de façon si évidemment supérieure que, sans nulle impression de gâchis, il remplace avantageusement sa conception d'origine. Mais ce n'est qu'exceptionnellement qu'on élabore ainsi une nouvelle, son idée ne reste guère dans un tiroir ou sous des piles de notes en attendant qu'on lui trouve une innovation valeureuse, le temps de la maturation lui manque généralement pour s'éclaircir ou se sublimer, et quand l'idée est venue, la volonté s'oppose à la conserver de côté, quelques heures de préparation serviront le plus souvent à la parfaire avant de la recopier, mais il faut que la cogitation accélérée soit alors méthodique, un processus attentif et conscient, car, sitôt la nouvelle écrite, la retouche en est une contradiction, surtout chez le professionnel, le journal étant déjà tiré à tant d'exemplaires et, il faut l'avouer, son format ne s'accompagnant presque jamais de la pensée qu'on a affaire à l'oeuvre maîtresse de son existence littéraire – la multiplication des nouvelles dans un recueil est en soi une façon de se tranquilliser de l'échec d'une ou plusieurs d'entre elles (rarement un livre de nouvelles comporte-t-il uniquement des récits de qualité, et même, rarement ne comporte-il pas de récits nettement ratés).
Pour toutes ces raisons, la plupart des nouvelles des professionnels sont aussi bien faites que de maigre intérêt. C'est indéniablement le cas chez Mendès : on lui trouve ce commun aux nouvellistes de style comme Maupassant de ne pas manquer en l'art de raconter, de choisir les scènes, de débuter avec force, d'exprimer exactement, avec un ajustement presque parfait, les idées qui ont motivé ses récits – la mécanique est presque sans faille – ; cependant, avec plus de distance, on trouve que les pensées-mêmes à l'origine de ces neuf intrigues sont trop légères, assez médiocres à vrai dire, pour subjuguer le partisan de génies, le chercheur non de tares mais de vertus ; en somme : c'est très bien fait, ce n'est pourtant pas fort, c'est environ ce qu'on peut faire de mieux sur un canevas limité. Ici, tantôt un homme s'aperçoit-il que son ombre n'a pas de tête, tantôt, une fille refuse-t-elle d'escroquer un joli passant ; ailleurs, le passager du navire naufragé décide de se laisser noyer, ou un solitaire entend durant la nuit se répéter une toux sans corps en un lieu sans compagnie… Encore est-ce la sélection des éditions « Arbre vengeur »… Je n'insinuerai pas que ces textes sont entièrement dénués de réflexion, mais je me porte garant que, comme la plupart des récits de ce genre, elles furent motivées davantage par l'envie ou le besoin d'écrire que par le puissant appel de la supérieure nécessité. La facture est belle, et certes quel façonnage ! même psychologiquement, c'est juste – il est vrai qu'on n'en fait plus de tels à présent, que Mendès est au moins un exemple de style à l'attention des pseudo-professionnels écrivains d'aujourd'hui… :
« Il me serait difficile, monsieur l'Aumônier, d'exprimer à quel point je fus troublé par cette découverte que mon ombre n'avait pas de tête ! Je me précipitai vers l'endroit de la route où tout à l'heure s'interrompait l'image, supposant qu'il y avait là quelque brusque crevasse dans laquelle le chef avait pu disparaître, coupé par le bord. Non, pas de creux. Un terrain lisse et continu. Et, plus loin, devant moi s'effilait mon ombre décapitée ! D'un effroi instinctif, je portai mes mains à mes joues, à mes tempes : je touchais, je touchais encore ma peau, charnue, poilue, vivante : je vis, sur la route, la noirceur de mes paumes tâter le contour absent de rien. » (pages 36-37)
« Maintenant, après les premiers effarements de la peur, les plus couards se rendaient compte de la situation, reprenaient courage, sûrs de sauver leur peau. Les passagères elles-mêmes ne tremblaient plus ; les unes se hâtant de fourrer dans leurs sacs, dans leurs poches, des objets précieux tirés des malles et des caisses, de sorte que le pont, avec les robes et les linges des coffres ouverts, avaient le désordre d'un jour de mise en vente dans un magasin de nouveautés ; les autres, qui tenaient des enfants par la main, observant d'un air curieux les préparatifs méthodiques du sauvetage, debout près de l'escalier par lequel on descendrait dans la chaloupe, pas émues, avaient l'air d'attendre leur tour à côté de l'omnibus qui va partir. Sur cette tranquillité souriante, où l'inquiétude se résolvait dans le ouf ! de l'avoir échappé belle, sur le va-et-vient discipliné des matelots qui prenaient leur temps, le soleil d'hiver, entre le double azur immense de la mer et du ciel, mettait sa clarté fraîche, pure, heureuse. » (page 60)
« Une fois, allant de Bruxelles à Bruges, je regardais, le front collé à la vitre du wagon, le soleil splendidement se coucher dans les nuées, pareil à quelque magnifique roi étendu sur un bûcher de brasillantes pierreries, entre le flamboiement de ses robes d'hyacinthe et de ses écharpes d'or ! Devant l'horizon embrasé viraient éperdument les quatre ailes d'un moulin, mi-parties de noirceur opaque et de vide aérien ; elles semblaient se mouvoir dans le céleste incendie, tant elles en étaient proches ; elles bouleversaient, arrachaient, entraînaient l'irradiation astrale ; et leur éblouissant mouvement giratoire, gigantesquement semblable à ces pièces d'artifice qu'on appelle précisément des soleils, jetait à gauche, à droite, des lambeaux de rayonnement frangés de rubis et d'améthystes, des loques de météore. » (page 96)
… mais cette gravure experte ne laisse à la mémoire qu'un divertissement agréable que, d'une façon finalement remarquable et dès lors sensible, vient précisément compenser l'envolée stylistique comme éclat de rehausse, tandis qu'une neutralité de ton trouverait l'histoire terne. Avec le recul du faiseur d'histoires – dont je suis, et je tiens à confesser que je ne prétends pas que toutes mes nouvelles méritaient d'être diffusées –, on découvre aisément la simplicité ou la pauvreté des ressorts, l'idée banale et creuse, sur commande, seulement enjolivée, qui sert de fondement à une intrigue dont la garniture parvient au premier regard à atténuer l'anodin ; ce sont comme des exercices, intermédiaires en attendant la lumière époustouflante, l'illumination – mais cela « ronfle », sentant l'acquis d'une technique confortable et sans risque.
La littérature devrait toujours susciter chez l'artiste l'angoisse de l'échec par ambition du superbe, comme acte dont on espère produire le maximum d'effets tangibles, de réalisations inédites, de foudroiements abasourdissants. Et Lovecraft par exemple, même s'il n'y réussit pas toujours, tenait en particulier à réaliser l'impression de « terreur cosmique » qu'il évoque avec espoir en ses textes théoriques, mécontent sans doute quand il ne parvenait parfois qu'à insinuer des craintes convenues, quoique plaisantes mais dont le lot antérieur des nouvelles fantastiques était déjà diversement fait : la nouvelle, même toute pièce littéraire, ne s'accomplit pleinement qu'en volonté dure, acharnée, d'un apport distinct, innovation fondamentale où l'auteur espère l'inflexion de tous les récits après lui, comme s'il était un seuil, au point qu'un écrit modeste me fait inévitablement l'impression d'un écrit raté. Or, la nouvelle est telle que, pour la juger, il faut se placer au coeur de l'inspiration qui l'a créée, et vérifier si l'idée était assez nécessaire et spectaculaire, au lieu de s'interroger simplement si son rendu est techniquement satisfaisant.
Or, ce recueil est de ceux qui satisfont. Il ne faudrait jamais écrire mu par un devoir, ou alors garder par-devers soi les pièces moins nobles et n'en produire que les plus scintillantes et merveilleuses quintessences : ne pas résister à être en tout impressionnant, à aspirer au génie – en quelque chose l'art véritable se départit du simple artisanat. Je parle ainsi, cependant ne me suis pas toujours abstenu de présenter des récits moins achevés quant à la qualité de l'idée – à moi aussi on trouve nécessairement des différences. Pourquoi ? et pourquoi ne m'en blamé-je pas tant ? C'est que n'étant pressé par nul bouclage, au moment de concevoir je me suis le plus souvent empêché de garder l'idée, sélection qu'on ne peut pas deviner en lisant les seuls textes qui sont restés, de sorte que pour une nouvelle déroulée, dix au moins m'ont paru insuffisantes, que j'ai ignorées ; ainsi en laissé-je intact l'embryon à ceux qui, après moi et peut-être mieux, sauraient les transformer en créatures subtilisées. Ce sont mes avortons, j'en ai beaucoup et non seulement je ne les expose pas, mais je les tue avant même de leur donner naissance.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Joli texte. Excellente maison d'édition. Elle fait de l'oeil parfois aux fin-de-siècle. Elle fait du pied au Chat rouge et aux Âmes d'Atala.
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
Au total, le lecteur serait autorisé à accuser de puérilité, ou d'impertinence mystificatrice, ou de déplorable ingéniosité, l'écrivain qui, après l'avoir attiré, alléché, troublé, exaspéré même par une accumulation de miraculeux effets, tout à coup se déroberait à lui en révéler les causes, et, finalement le laisserait, comme on dit, le bec dans l'eau.
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Video de Catulle Mendès (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Catulle Mendès
Un extrait de l’émission « Heures de culture française » diffusée le 10 février 1959 sur France III Nationale. Intervenant : Gabriel Timmrory.
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