Être membre d'un jury littéraire a ceci de particulier – et d'intéressant – qu'il oblige à la lecture d'ouvrages vers lesquels nous ne serions pas obligatoirement allés. Il en est ainsi pour moi du dernier roman d'Éric Metzger "
Les écailles de l'amer Léthé". Sans trop savoir pourquoi, je serais passée à côté et pourtant c'eût été dommage.
C'eût été dommage parce que, sans que ce soit véritablement un coup de foudre, j'ai beaucoup aimé ce récit et à plus d'un titre. J'ai aimé l'histoire de cet homme solitaire qui traîne sa peine et son indécision jusque dans les animaleries. C'est là qu'il tombe devant un aquarium dans lequel se débat, seul, un poisson combattant, un poisson aussi seul que lui. Et, sans trop savoir pourquoi, il répond "oui" à la serveuse lorsque celle-ci lui demande s'il le prend. Il repart ainsi avec un poisson dans un sachet d'eau "minérale" et un bocal carré, une amphore et une algue décoratives.
Ce drôle d'énergumène aime lire à haute voix et un jour s'aperçoit que son poisson Cookie – vous saurez pourquoi ce nom en lisant le roman – apprécie la lecture, enfin un certain type. Il aime
Baudelaire, la poésie, les romans. le poisson arrête de tourner et le regarde (l'écoute ?), puis retourne à sa valse aquatique dès la fin de la lecture. Un poisson littéraire, vous imaginez ?
Foutraque, drolatique, sont les adjectifs qui me viennent tout de suite à l'idée pour qualifier ce roman. Mais je pourrais aussi ajouter poétique, littéraire, émouvant. Car, je l'avoue, il est facile en le lisant, de passer du rire aux larmes. J'ai ri aux éclats à cette réflexion "Hélas, la fin de l'année (avant l'imbécile "3, 2, 1, bonne année !")…". Mais j'ai eu la gorge serrée à la réflexion d'une connaissance d'Antoine "Et votre petite fille, vous n'en parlez jamais…" et puis un peu plus loin, "Nous avions regardé des appartements…et patatras. La taule s'était froissée, les corps tassés, le noir et l'oubli imposés." Car la construction est intelligente. Elle sème au fil des pages des petits cailloux, des allusions qui permettent de comprendre la personnalité du personnage, sa dérive, ses chagrins dissimulés, ses envies de boire et sa dépression.
Je l'ai aimé aussi pour l'écriture, belle, pour la manière qu'a l'auteur de triturer les mots, d'en inventer "la situation devenait alarmangoissante…", pour l'hommage à la littérature (avec bibliographie en fin d'ouvrage), pour l'humour qu'il distille encore après la fin de l'histoire avec les références des vins bus tout au long de cette lecture. Il s'en est vraiment fallu de peu, de très peu, de quelques passages trop longs – à mon gré – plus ennuyeux – à mon regret – pour que ce récit ne figure pas au plus haut. Mais je garde de cette lecture le plaisir de l'inattendu, des mots qui dansent, des sentiments qui se cachent.
Bref, comme le narrateur, "Je n'avais jamais vu un poisson sourire. Peut-être que je suis un poisson."
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