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Montaigne : Essais - Flammarion tome 1 sur 3

Alexandre Micha (Préfacier, etc.)
EAN : 9782080702104
446 pages
Flammarion (23/07/1993)
  Existe en édition audio
3.92/5   197 notes
Résumé :
« Ce ne sont mes gestes que j'escris ; c'est moy, c'est mon essence. Je tien qu'il faut estre prudent à estimer de soy, et pareillement conscientieux à en tesmoigner : soit bas, soit haut, indifferemment. Si je me sembloy bon et sage tout à fait, je l'entonneroy à pleine teste. De dire moins de soy, qu'il n'y en a, c'est sottise, non modestie : se payer de moins, qu'on ne vaut, c'est lascheté et pusillanimité selon Aristote. Nulle vertu ne s'ayde de la fausseté : et... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
[Remarque du 29 novembre 2015]
Montaigne n'écrivait pas pour la postérité, mais pour "ses parents et amis", le cercle de ses contemporains et de sa classe sociale. Il ne croyait pas que son livre lui survivrait longtemps, car il voyait bien autour de lui les rapides transformations de la langue, lui qui baignait dans un univers linguistique mouvant et varié (gascon, latin, français). Il pensait que le temps rendrait vite sa prose incompréhensible, car elle n'avait pas la stabilité lapidaire du latin. Contre toute attente, c'est le latin qui s'est retiré de la scène, et le français qui a gagné sur lui, et sur le gascon : aussi lisons-nous Montaigne, avec d'énormes difficultés, exagérées au-delà du raisonnable par des éditions qui reproduisent l'orthographe et la ponctuation du temps (ou plutôt, les caprices graphiques du temps). La difficulté s'accroît de ce qu'il écrit à partir de deux sources : la littérature antique, surtout latine, et l'observation de moeurs et de temps révolus, les siens. Pourtant, dans sa fonction de passeur, Montaigne est unique : il rend actuels et parlants pour tous les temps les auteurs de la Grèce et de Rome, en leur prêtant sa voix et en entremêlant entre leurs citations la voix de sa méditation. Aussi le lecteur aura-t-il tout intérêt à se laisser naturaliser, au prix d'un effort, à l'univers de Montaigne, pour trouver le plaisir lucide d'y évoluer à sa guise. Ce plaisir, ou cette lucidité, seront décuplés si ce lecteur vit en des temps de division et de conflits civils et religieux, comme il semble que ce soit bientôt notre cas.

[Relecture d'octobre 2022].
Seule la mort a interrompu l'entreprise de Montaigne : il écrivait, puis ajoutait, allongeait et réécrivait par-dessus ses écrits, faisant siens les mots de Virgile, "vires adquirit eundo", il augmente ses forces en avançant. Il n'y a de même aucune limite à la relecture des Essais de Montaigne : ceux du livre I, comme du livre II, cherchent moins à transmettre un savoir derrière lequel ils s'effaceraient, qu'à donner à l'esprit de l'exercice, une gymnastique de réflexion, de méditation et de jugement, qui vaut pour elle-même et n'a d'autre but qu'elle-même.

L'auteur ne cesse de mentionner, citer, traduire et paraphraser les Anciens, qui souvent prescrivent, enseignent ou ramassent le sens en de fortes formules latines. Montaigne, loin d'imiter ces poètes et prosateurs qu'il cite et admire, évite de prescrire, d'affirmer et d'enseigner, de "former l'homme", comme il dit. Il se contente de se confronter à leurs pensées, et de nous y confronter en même temps, pour voir ce que cela donnera. Il s'éprouve au contact des grands Anciens, et nous, lecteurs, nous nous éprouvons au sien, afin de voir plus clairement nos contradictions, nos insuffisances, nos erreurs. L'essai est bien une école de doute méthodique et de scepticisme : quand le lecteur aura compris qu'il ne sait rien, il pourra commencer à apprendre quelque chose.

Qu'avons-nous à faire, aujourd'hui, de toutes ces vieilles pensées stoïciennes, épicuriennes et autres ? Combien de remarques, considérations et jugements de 1580 nous parlent encore ? On pourrait décréter que le contenu des Essais est périmé, inutile et vain, ce que Montaigne n'était pas loin de penser lui-même. Mais il ne s'agit pas du contenu, il s'agit de la méthode de l'essai telle qu'il l'invente : cette méthode d'examen humaniste des certitudes acquises, ne vieillit pas. Il suffit de prêter l'oreille aujourd'hui au bavardage de tous ceux qui l'ignorent, qui ne sont pas passés par le crible de la discipline humaniste : on comprendra vite toute l'actualité de Montaigne, écrivant et méditant dans sa tour au milieu des passions idéologiques déchaînées.

Dernier paradoxe : on aime Montaigne pour sa langue, lui qui exigeait que le mot s'efface derrière l'idée et que l'on ne prête aucune attention au style ni au langage. Mais on n'apprend bien sa méthode qu'en apprenant à parler et à penser selon ses propres termes, et en comprenant que le plaisir de lire sa prose fait aussi partie de l'apprentissage.

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« Je suis dégoûté de la nouvelleté » disait Montaigne. C'est sûrement là son expression la plus paradoxale, car le titre « Les Essais » suggère déjà l'audace du renouvellement. L'écriture elle-même, ses enchaînements impromptus, son style truculent, confirme la joie d'une pensée en mouvement.
On pourrait aussi parler d'un retour à une vie simple, délaissant les affaires, juste attentive à son bon plaisir. Mais son plaisir est aussi manifestement une nouvelle disponibilité pour s'étonner du contraste entre le « branle » du monde qui l'entoure, et les conceptions triviales qu'on en fait.De son environnement immédiat jusqu'aux découvertes du nouveau monde, tout devient matière à enquête ; englobant parfois dans l'incertitude jusqu'à ses propres propositions.

L'audace de ces essais a de quoi stimuler des générations de lecteurs, alors que les conditions actuelles sont objectivement plus favorables qu'à l'époque de Montaigne : nous pouvons vivre et entreprendre sans craindre d'être mobilisé pour une nouvelle guerre, écrire sans craindre de finir au bûcher ; nous pouvons partager nos idées, instantanément, à grande échelle, ce n'est plus l'apanage d'un petit nombre ; nous pouvons dépasser l'introspection, recueillir les commentaires, expérimenter, et de là régénérer nos croyances.

Il faut donc qu'il y ait, aujourd'hui, des dispositions anciennement incorporées, pour expliquer l'attitude conservatrice et individualiste. Or, c'est bien l'attitude de l'Institut Montaigne, think tank néolibéral, qui, dans sa vision du « bien commun » d'un petit nombre, se contente de variations autour de son idée fixe, productiviste, à savoir nous « embesogner » plus longtemps. L'actualité de ces dernières semaines, nous rappelle qu'il s'agirait cette fois de supprimer des congés.
La référence de ce think tank peut embarrasser les amoureux de Montaigne, mais au chapitre « de l'âge », ce dernier ne proposait-il pas déjà de nous « embesogner » plus tôt et plus longtemps ?
Parmi d'autres surprises du même genre, on note aussi la décision de Montaigne de renoncer finalement à publier le livre de son ami La Boétie, le « Discours de la servitude volontaire », écrit à l'âge de 18 ou 16 ans. Mais le plus piquant, c'est que Montaigne fait précisément, de ce jeune âge, un critère pour en diminuer l'intérêt. Jusqu'en 1588, il propose « dix-huit ans » avant de rabaisser à « seize ans ». Les commentateurs posent alors la question « Faut-il voir dans ce changement d'âge une manière de diminuer davantage la portée théorique – et éventuellement subversive aux yeux de certains lecteurs du « Discours de la servitude volontaire ? ».

Le génie de Montaigne, c'est sans doute que ses propositions, aussi contradictoires et surprenantes soient-elles, paraissent toujours sincères, contrairement à celles de l'Institut Montaigne. le rapport à l'argent n'est pas non plus le même, voici ce qu'en disait Montaigne : « Je vis du jour à la journée, et me contente d'avoir de quoi suffire aux besoins présents et ordinaires ».

La lecture des Essais m'a immédiatement rappelé les Oeuvres complètes de Tchouang Tseu. On y retrouve en effet, la truculence, la provocation d'une forme de non-agir, et la vertu subversive de la joie.
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On a beaucoup parlé de Montaigne pour son progressisme, somme toute à replacer dans son contexte historique (on connaît ma défiance pour tout ce qui sort de son institut :P) : dire qu'il est le premier à placer sur un pied d'égalité sa culture avec toutes les autres serait oublier bien vite la fervente foi catholique qui imprègne sa plume. La véritable modernité des essais, c'est de choisir délibérément la forme grotesque, celle sans plan préétabli, permettant de divaguer et de digresser jusqu'à ce qu'on ait vidé tout ce qui nous passait par la tête. C'est sans doute à cause de ça qu'on l'a souvent comparé à un blogueur (et j'étais moi aussi sur le point de le faire dans cette critique avant de me rendre compte qu'on l'avait déjà dit au moins deux fois avant moi) : Montaigne veut la réflexion brute, à l'état pur, pleine de scories mais d'une richesse inégalée. Chacun peut prendre un bout de pensée et l'emmener où il veut : comme il le dit lui-même, il y aurait une infinité d'essais à développer à partir de ceux déjà écrits.
Mais c'est aussi ce qui rend la lecture des "Essais" difficile par instants : trop de richesse et de méandres finissent par égarer, surtout quand nous ne possédons plus vraiment la même culture. Entre une érudition latine nous tartinant des citations de toutes sortes (et toujours en VO dans la version papier), un désir d'ordre et de soumission condamnant fermement toute forme d'ambition ou de trop grand plaisir, une ou deux réflexions sur la femme qui feraient frémir plus d'un de mes compatriotes chevelus, Montaigne est un représentant du XVIe siècle dans ce qu'il a de plus ardu, complexe, controversé. Son érudition nous amène aussi bien vers des sommets de sympathie que de scepticisme. Quand tout va mal, on perd vite le fil de ces gigantesques paragraphes pour nous abandonner au désespoir de ne jamais retirer du livre que quelques faits divers de la Rome antique ; quand tout va bien, on rit, on pleure, on découvre des traits communs inattendus avec notre façon de penser, on apprend dans toutes les disciplines, théologie, ethnologie, philosophie, stratégie militaire. Ce tome 1 montre toutes les difficultés de sa prose mais aussi ce qui en fait sa grandeur : un esprit constamment aux aguets d'une idée nouvelle, la confrontant sans relâche à celles anciennes, curieux de tout, résigné à la mort mais jamais las de vivre.
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Inutile de tourner autour du pot, je ne vais pas me compliquer la vie à pondre un billet structuré, où je dissèque le fin du fin de l'oeuvre. Il en est dont c'est le métier. de plus j'ai comme l'impression que le sieur Montaigne a usé de cette méthode, navigant comme il lui a plu dans ses idées, rabotant et ajoutant, laissant filer ses opinions et ses souvenirs.

En 2003 j'ai dû crier famine chez ma voisine, n'ayant plus de livres à me mettre sous la dent. Celle-ci avait du lourd chez elle, un Victor Hugo, un Tolstoï, un Proust, et le livre III des essais. Oui, cela fait un poil 'je pars sur une île déserte' mais justement elle avait bien prévu le coup. J'ai tout lu.

Puis quand même il fallait bien que je lise sérieusement ces Essais in extenso; j'ai acheté à vil prix 'chez l'abbé' un exemplaire des éditions rencontre Lausanne, et comme depuis un bon mois, le soir chez moi c'est 'classique', je suis tombée dans la marmite. Huit jours plus tard, terminé ! (restent les livres II et III, on verra).

L'avantage de posséder un exemplaire est de ne pas avoir de date de retour à la bibli et donc de lire sans pression les environ 1200 pages des Essais, voire de décider des coupures et pauses. le désavantage est d'avoir une version brut de pomme, où les moult citations latines et grecques du sieur Montaigne ne sont pas traduites, et pas de notes en bas de pages. Les caractères typographiques sont ceux usités de nos jours, heureusement, mais pour ce que j'en sais l'orthographe et la grammaire sont celles de Montaigne, sauf que plus de f comme s, plus de &, mais ça reste quand même parfois un peu embrouillant et j'avoue ne pas avoir tout compris à 100% Mais baste, c'est tellement plaisant et savoureux que je ne désirais pas un français trop actuel. Les citations plus loin montreront à quoi je me suis colletée.

Mon correcteur orthographique devient fou, d'ailleurs.


"Au lecteur
C'est icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'avertit dés l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ny de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. (...) Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contantion et artifice: car c'est moi que je peins.(...) Ainsi, lecteur, je suis moy-mesmes la matière de mon livre: ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain."

Le ton est donné, c'est à prendre ou à laisser. Les chapitres vont se succéder, sur des sujets divers, Montaigne parle de lui, de ses amis, il évoque des personnages célèbres, de son temps ou de l'antiquité. Les exemples cités sont-ils tous véridiques? Je ne sais.

"Aussi en l'estude que je traitte de noz moeurs et mouvemens, les tesmoignages fabuleux, pourveu qu'ils soient possibles, y servent comme les vrais. Advenu ou non advenu, à Paris ou à Rome, à Jean ou à Pierre, c'est toujours un tour de l'humaine capacité, duquel je suis utilement advisé par ce récit."(p 124 ch21)

Franchement il a réponse à tout!

Au hasard, ch 25 p 155
"Nous ne travaillons qu'à remplir la mémoire, et laissons l'entendement et la conscience vuide. Tout ainsi que les oyseaux vont quelquefois à la queste du grein et le portent au bec sans le taster, pour en faire bechée à leurs petits, ainsi nos pedantes vont pillotant la science dans les livres, et ne la logent qu'au bout de leurs lévres, pour la dégorger seulement et mettre au vent.
C'est merveille combien proprement la sottise se loge sur mon exemple. Est-ce pas faire de mesme, ce que je fay en la plupart de cette composition? Je m'en vay escorniflant par cy par là des livres les sentences qui me plaisent, non pour les garder, car je n'ay point de gardoires, mais pour les transporter en cettuy-cy, où, à vray dire, elles ne sont plus miennes qu'en leur première place."

J'adore ces images, et cette façon de ne pas se rater lui-même!

J'ai lu avec intérêt le ch 26, de l'institution des enfans
"Qu'il ne luy demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu'il juge du profit qu'il aura fait, non par le tesmoignage de sa mémoire, mais de sa vie. (...) C'est tesmoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l'a avallée. L'estomac n'a pas faict son operation, s'il n'a faict changer la façon et la forme à ce qu'on luy avoit donné à cuire."(p 170)

"Pour revenir à mon propos, il n'y a tel que d'allécher l'appétit et l'affection, autrement on ne faict que des asnes chargez de livres. On leur donne à coups de foüet en garde leur pochette pleine de science, laquelle, pour bien faire, il ne faut pas seulement loger chez soy, il la faut espouser."(p 198)

Beaucoup d'élan et de vivacité dans cette prose, des images plaisantes et bien trouvées, et des expressions qu'on n'attendrait pas là.
"Il en a sa brassée toute comble, il n'en peut saisir davantage.'
"Une voix pour tous potages"
"Il n'y a si fin d'entre nous qui ne se laisse embabouiner de cette contradiction"
"Le cul entre deux selles"

C'était fatal, j'ai enchaîné avec le livre second. A suivre.
Lien : http://enlisantenvoyageant.b..
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Ne serait-ce que pour constater à quel point les angoisses d'un homme du 16e siècle sont semblables aux nôtres, ce livre vaut la peine d'être lu. Avec un regard curieux et inquisiteur, Montaigne analyse la société qui l'entoure et jette sur celle-ci la lumière compréhensive d'un homme intelligent.
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Citations et extraits (204) Voir plus Ajouter une citation
Ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu'accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié de quoi je parle elles se mêlent et confondent l'une à l'autre, d'un mélange si universel, qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais [N. B. : Étienne de La Boétie], je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en répondant : " Parce que c'était lui ; parce que c'était moi. "

(Ce que nous appellons ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu’accoinctances et familiaritez nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos ames s’entretiennent. En l’amitié dequoy je parle, elles se meslent et confondent l’une en l’autre, d’un melange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoy je l’aymois, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en respondant : Par ce que c’estoit luy ; par ce que c’estoit moy.)

Chapitre XXVIII : De l'Amitié.
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En l'amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l'une en l'autre, d'un mélange si universel, qu'elles effacent, et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer, qu'en répondant:
Parce que c'était lui, parce que c'était moi.
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Comme nous voyons des terres oisives, si elles sont grasses et fertiles, foisonner en cent mille sortes d'herbes sauvages et inutiles, et que, pour les tenir en office, il les faut assujettir et employer certaines semences, pour notre service ; et comme nous voyons que les femmes produisent bien toutes seules des amas et pièces de chair informes, mais que pour faire une génération bonne et naturelle, il les faut embesogner d'une autre semence : ainsi est-il des esprits. Si on ne les occupe à certain sujet qui les bride et contraigne, ils se jettent déréglés, par-ci par-là, dans le vague champ des imaginations. [...]
L'âme qui n'a point de but établi, elle se perd : car, comme on dit, c'est n'être en aucun lieu, que d'être partout.

Chapitre VIII : De l'oisiveté.
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Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà. La crainte, le désir, l'espérance nous élancent vers l'avenir, et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.

(En V. O. : Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au delà. La crainte, le desir, l'esperance nous eslancent vers l'advenir, et nous desrobent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour nous amuser à ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.)

Chapitre III : Nos affections s'emportent au-delà de nous.
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« Au lecteur

C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit dès l'entrée que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ai eu nulle considération de ton service, ni de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ai voué à la commodité particulière de mes parents et amis : à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, ce que par ce moyen ils nourrissent plus entière et plus vive la connaissance qu'ils ont eu de moi. Si c'eût été pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me présenterais en une marche étudiée. Je veut qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention et artifice : car c'est moi que je peins. Mes défauts s'y liront au vif, et ma forme naïve, autant que la révérence publique me l'a permis. Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier, et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre : ce n'est pas raison que tu emploies ton loisir en un sujet si frivole et si vain : adieu donc.

De Montaigne, ce premier de mars mille cinq cent quatre-vingt. »

66 – [Le Livre de poche n° 1393, p. I]
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