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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
La grande écriture de Pierre Michon sublime un texte qui aurait pu se trouver limité à une parade érotique entre un jeune homme et une femme plus mûre, s'il eût été écrit par certains écrivaillons d'aujourd'hui peu capables d'exprimer la quintessence des émotions du désir.

Le jeune instituteur nommé à l'automne de l'année 1961 dans le bourg de Castelnau, en Dordogne, est très vite en proie à un fantasme, né de la vision quotidienne d'une buraliste trentenaire, à la peau blanche, qui va traumatiser ses sens jusqu'à l'accomplissement toujours différé, mais enfin assouvi, de son désir contenu.

Plusieurs centres d'intérêts émanent de cette courte lecture : la saison automnale puis hivernale décrite avec un style magistral par Pierre Michon, l'atmosphère paléolithique avec la caverne aux gravures disparues, la pêche à la truite, la carpe, le brochet, la friture, et, surtout, la toute puissance du désir, la tentation suggérée par la femme, dans cette ambiance saturée de testotérone, le tout avec une certaine lenteur qui emporte paisiblement le lecteur.

La réunion des deux rivières, Grande Beune et Petite Beune, sous le titre Les deux Beunes, présente la première publiée en 1996, la seconde en 2023 que l'auteur parvient à intégrer comme la suite aboutie de la première. Tout est beau dans ce livre, la nature, les femmes -- elle sont trois --, les hommes, pêcheurs, routiers, les écoliers, l'ensemble dans un véritable roman d'atmosphère, de perceptions, d'émotions, de véritable littérature.



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Des vies minuscules sous le prisme magnifique des lunettes métaphoriques et puissamment érotiques de Pierre Michon, des lunettes au charme désuet, certes, aux reflets cependant un tantinet réactionnaires, archaïquement virils, à la monture donc quelque peu lourde portée trop longtemps…La fin suffisamment ébranlante heureusement pour les faire valser, ces lunettes…

J'aime ces plumes surannées, qui parlent avec une certaine poésie des territoires reculées de la France, de la ruralité. L'auteur qui excelle en la matière est pour moi Pierre Bergounioux que j'ai découvert avec Miette et Catherine. C'est une plume exigeante, ciselée, travaillée. Une plume qui demande de la concentration, un face à face entre le texte et son lecteur quasi amoureux, patient et attentif. Un peu d'inattention et seule une lueur de soupirail luira dans les cerveaux embrumés. Un talent d'orfèvre pour façonner et sertir la bassesse humaine, la dépression, les états de décrépitude, l'hypocrisie, la solitude, le dégout de soi. le phrasé est tout en circonvolutions, en détours, en détails et précisions toutes proustiennes pour tenter de capter le temps, essayer de l'approcher, de saisir sa relativité, fugacité et éternité, ainsi que ses cycles.

Pierre Michon se situe dans la même veine quant à l'écriture ciselée. Les deux Beune est un court livre composé de deux textes écrits à plus de vingt-cinq d'intervalle, et dont la première partie a déjà été publiée en 1996. La couture entre les deux parties, La Grande Beune et sa petite soeur dernière née, La Petite Beune est très discrète, quasiment invisible.
La Beune est une rivière qui coule au coeur d'un village du Périgord, territoire des grottes préhistoriques, dont la célèbre grotte de Lascaux. Dans ce village, le narrateur est un tout jeune instituteur de vingt ans, il vient d'être nommé dans l'école du village et vient d'arriver. Il fait petit à petit la connaissance d'une poignées d'âmes, petites gens tour à tour sublimes et ridicules : il y a Hélène, femme âgée qui tient l'auberge dans laquelle notre instituteur loge et où les hommes se retrouvent pour parler chasse, pêche, pour boire du calvados et manger de la charcuterie ; il y a Mado, la petite copine qui vient avec sa Dauphine certains jours lui rendre visite, cette voiture emblématique leur servant de lieu exiguë pour leurs tristes et rapides ébats ; il y a Jeanjean, exploitant du coin dont la grange abrite l'entrée d'une caverne peut-être préhistorique ; il y a Jean le pêcheur, fils d'Hélène, dont la passion est de traquer sans cesse les poissons dans la Beune ; et surtout la charismatique Yvonne, la buraliste, femme plantureuse et callipyge qui obsède le narrateur, fantasmant de pouvoir la posséder, au point de ne penser qu'à elle, d'aller chaque jour au bureau de tabac et de l'attendre sur les chemins sylvestres. le narrateur est tellement mû par son désir, par ses fantasmes que son regard n'est que sensualité et sculpte un paysage entièrement saturé de signes érotiques, comme un long poème d'amour. Ces descriptions sont sublimes, de véritables moments de grâce, d'une sensualité à couper le souffle qui laissent entrevoir la part animale frémissant sous la part civilisée. Souvent le narrateur « enfile le pont » pour se retrouver sur « l'autre lèvre » de la berge.

« Je revois ce brouillard. Je revois ce fourreau que tissaient les eaux perfides et tricoteuses de la Beune, et qui le long de la falaise montait gainer les peupliers, l'auberge, l'église. le monde avait mis ses dentelles pour que je les froisse, il m'aguichait de toutes les façons ; le monde est une femme. J'entrai en lui et fus un autre : peut-être est-ce là la cause de tout ce qui suivit ; car les causes, c'est du brouillard'.


Pierre Bergounioux, évoqué précédemment, dresse de beaux portraits de femmes, que ce soit Catherine, femme indépendante et libre auprès de laquelle il a oublié d'être digne, et dont l'abandon laisse le narrateur totalement anéanti, vautré comme une bête, ou que ce soit Miette, qui a réussi à s'élever au-dessus de sa condition précaire de femme à une époque où cela allait de soi, par son silence et son impassibilité qu'elle a préféré aux plaintes et aux larmes. Par sa force aussi lors des quatre années de guerre, tenant son monde à bout de bras. Mais qui restera simple miette de conscience perdue sur les hauteurs de la campagne limousine. Pierre Bergounioux situe son récit dans les années 50/60 pour Catherine et avant même pour Miette.
Pourtant Pierre Michon, lui, fait de la femme l'objet exclusif du désir masculin tout en situant son action à la même période. Certes il situe justement son récit à une époque, celle des années 60, où ce regard sur la femme pourrait se justifier, c'est ce que je me suis dit en début de lecture où la beauté des phrases a compensé cet état de fait. Certes son objectif est précisément de parler du désir, du fantasme viril. C'est vrai. Pourtant, au fur et à mesure de la lecture, les métaphores de possession, de prise, d'emprise, de ventre, de pénétration, qui ont pu me plaire au début du livre, ont fini par me gêner au fur et à mesure de ma lecture. du moins à me lasser. Comme un plat du terroir roboratif plaisant de prime abord, devenant presque indigeste à la fin. Bon, la toute fin m'a renversée, je dois bien l'avouer.

« Elle lâcha le flipper, elle tourna les talons et vivement amena dans le brouillard ses façons de glamour, ses aplombs de grue, son fourreau de nuit sous quoi régnait, absconse, la fente considérable ».

Le pire c'est le pauvre personnage de Mado, cette petite copine qu'il utilise comme exutoire pour ses besoins de mâle, femme maigre et sèche (selon lui), amoureuse de Baudelaire, qui déclame des alexandrins à Hélène, de façon quelque peu ridicule selon lui et fait mal l'amour avec ses petits cris de souris. Très gênée par la représentation de la femme que nous offre Pierre Michon, celle-ci doit être élégante, à talon haut, avec jarretelles, pour susciter le désir. Quant à l'objet du désir, Yvonne, c'est à une véritable réification à laquelle nous assistons. Elle n'est rien d'autre qu'un corps, que des bas de soie, une peau de lait…Même dans le deuxième texte, contemporain, cette femme ne sera qu'une femme passive et apeurée vers laquelle Jeanjean, son amant des bois, qui semble même la fouetter si j'ai bien compris, n'accorde quasiment aucun regard.

L'écriture, heureusement est là et compense, en partie seulement à mes yeux, ces éléments gênants. Les passages sublimes alternent avec d'autres tellement travaillés qu'ils ont tendance à noyer leur propos. Pourtant j'aime les écritures alambiquées, j'aime les aventures de l'écriture davantage que les écritures d'une aventure. Or, j'ai alterné dans cette lecture entre des moments de réelle admiration (et ils sont nombreux heureusement) et quelques moments d'ennui à chercher ce que voulait dire l'auteur.


Au final, ce livre est un beau livre dans lequel l'utilisation incessante des métaphores magnifie les paysages et les lieux d'une façon étonnante, totalement singulière, même si cette utilisation est parfois excessive, dégageant une ambiance rurale telle que nous pouvons en sentir les odeurs, notamment les odeurs putrescines, rien qu'en le lisant. Cette utilisation massive des métaphores traduit également les obsessions, l'obsession sexuelle du narrateur, mais aussi l'obsession littéraire de Pierre Michon pour son histoire ce qui revient au même, nous le sentons confusément. Obsession sur la rivalité entre civilisation et animalité, travaillée, retravaillée, au point d'avoir greffé un second texte au premier, laissant une cicatrice certes discrète mais emblématique. Je ressors un peu mitigée de cette lecture avec cependant en tête des images périgourdines magnifiques, et des sens totalement émoustillés par l'érotisme qui se dégage de ce texte, à l'image d'ailleurs de la photo présentée en jaquette, terriblement sensuelle…La toute fin est torridement inoubliable…Oui, Pierre Michon m'a clairement bousculée.

« L'accouplement est un cérémonial. S'il ne l'est pas c'est un travail de chien ».

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Il faut se laisser emporter par le courant de cette langue un peu surannée, souvent poétique, furieusement libre et tumultueuse. Pierre Michon écrit avec jubilation, tout à son affaire : l'expression d'un désir juvénile et souverain. Qui mieux qu'un vieil homme aguerri pouvait en raconter l'emprise ? Yvonne occupe son âme (« Elle ne souhaitait pas faire l'amour, elle voulait le commettre. Elle aimait ce comble de la civilisation »).
Son image fantasmée est déclinée à tous les temps et sous tous les angles, tel un chef d'oeuvre dont l'exégèse jamais ne lasse. Des paysages de fable, des enthousiasmes puérils, des saillies irréelles, d'infinies concupiscences, il y a quelque chose d'émouvant à voir l'écrivain, au crépuscule de sa vie, en raviver les souvenirs les plus ardents. L'histoire en devient accessoire : un jeune homme obsédé par une femme plus âgée que lui, soumise à des rivaux, aux flancs d'une rivière, à l'orée d'une grotte oubliée dont les fresques rupestres, brutes et mystérieuses, crient les origines de l'humanité.
Pierre Michon célèbre l'éternel féminin, aux confins des lettres, concédant sans ciller qu'une incandescente beauté surpassera à jamais les autres préoccupations, et qu'il est vital de s'y conformer pour faire triompher la vie et la vérité.
Bilan : 🌹🌹
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Ce livre regroupe « La petite Beune » paru en 1996 et « La grande Beune » texte plus récent, un additif ou une suite comme on voudra. le narrateur, tout jeune instituteur, est nommé dans un petit village du Périgord. Très vite il fait la connaissance d'Yvonne, pour qui il ressent un immense désir charnel. C'est la montée de ce désir qui nous est contée là et son accomplissement. Autour de ce couple en train de se faire peu à peu, gravitent quelques personnages et règne une nature et une histoire omniprésentes.
L'intérêt du livre se résume essentiellement au style et aux images fulgurantes qu'il charrie. On peut trouver cela trop écrit et artificiel. Tout dépend de ce que le lecteur cherche. Ce livre ne fait que 150 pages, et franchement cela vous lave les pupilles : une cure de style de temps en temps peut s'avérer nécessaire après tant de lectures plates, grossières et provocantes ou au français saccagé.
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Les deux Beune rassemble deux courts romans, La grande Beune paru en 1996 et La petite Beune paru cette année 2023. La petite fait suite à la grande et le tout fait 151 pages

Livre un.
Je dirai volontiers que l'histoire n'a aucune importance. Bien sûr, je suppose que Pierre Michon n'est pas en terre inconnue, et que ses personnages sont peut être inspirés de ces voisins de paliers.
La grande Beune vaut surtout, mon point de vue , par le style et les émotions qui par les jeux de mots et de phrases feront vibrer en vous je ne sais quoi de résonnant et de raisonnant.

Le narrateur instituteur prend donc son premier poste dans un village du Périgord. Rapidement il est ébloui par la buraliste 30-40 ans et tel un ado d'antan, ceux d'aujourd'hui sont gavés d'internet plus ou moins porno, cet ado d'antan a donc du mal à contrôler ses pulsions du bas ventre dès que des effluves d'Yvonne à ses narines frétillent sous carpe.

P 11. Début du livre en fait. C'est à Castelnau que je fus nommé, en 1961 : les diables sont nommés aussi je suppose, dans les Cercles du bas ; et de galipettes en galipettes ils progressent vers le trou de l'entonnoir comme nous glissons vers la retraite.
Aïe. Pas compris. Sont ce les cercles de Dante et à 20 ans glisser déjà vers la retraite. Qu'y a t il derrière cette phrase, et derrière bien d'autres dont je fais l'impasse à la compréhension.
En parallèle, les grottes préhistoriques, les peintures rupestres, les pêches truite carpe et autres brochets pas vu pas pris, et des locaux que je vous laisse découvrir.

P 41. elle avait sur la droite ainsi découverte, épargnant le grain de beauté mais le poignant au plus plein, largement bourgeonnant au cou, fleurissant plus bas sous le carrick et effleurant la joue d'un pétale abjecte, la marque épaisse, boursouflée de sang noir et plus meurtrie qu'un cerne, plus mâchée que ses lèvres, que laissent avec éclat les fouets.
Lisant vite, je ne comprends rien. Relecture lente, pas clair. Re re lecture, peut être une griffure près de son grain de beauté.
Et le narrateur qui tombe en pamoison. Pauvre ado.

Livre deux.
Sur mes gardes, je prends le temps de lire. 35 ans ont passé. Disons le vite, c'est plus limpide, attention néanmoins certaines phrases sont longues et digressantes, le fil du rasoir est vite perdu si vous avez sauté un poil trop loin.
De plus Pierre Michon se concentre aux dépens des truites et des grottes, un peu trop sur la relation narrateur-Yvonne.

P142. Je me souvins d'un autre temps, quand moi même à tâtons m'appliquais à cliquer les pinces des subordonnées sur la chair de la phrase, à enfiler des désinences sur l'hameçon du verbe ; à tailler les silex du sens.
Ouf malgré l'âge, 87 ans, l'auteur n'a rien perdu de son style qui enchante mes oreilles et auquel je n'y comprends goutte du moins en première lecture.

Obsédé, obsession, des reprises du livre un sous le jour du livre deux laisse à croire qu'Yvonne était de braise également et qu'en ces temps incendiaires faire attention est la moindre des choses.

Les deux Beune.
Un état d'esprit qui a évolué avec le temps. Un vieux Monsieur-narrateur qui peut être souhaite conclure pour une dernière fois. Un style ardu tout aussi qu'ardent. Les temps ont aussi changé et les femmes potiches, c'est terminé. Quant à l'avenir des impétrants, il n'y en a pas. Et fallait il consommer.

La phrase de la fin ainsi que j'aime à les citer. C'était du lait.
Chaud, froid, de vache de brebis d'amendes ou de coco, nature ou chocolat, nuage pour ma noisette bref à vous de goûter.
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Les deux Beune regroupe la Grande Beune parue en 1996 et la Petite Beune en 2023.

On y rencontre le jeune narrateur, un jeune instituteur nommé, dans les années 1960, dans une région ponctuée de grottes aux peintures indéchiffrables et des personnages forts dont Yvonne, la buraliste dont la peau pâle et la liberté éveillent chez le jeune instituteur un désir primitif et violent.

L'écriture très exigeante de Pierre Michon, peut rendre fastidieuse la découverte de ce roman mais lui confère une tension propre à sublimer le désir et ses atermoiements. Résister ou céder, aimer ou renoncer ?

Ce dyptique est un chef-d'oeuvre, tout est absolument sublime : l'écriture absolue, les métaphores puissantes, les personnages explosifs, les paysages hivernaux, l'atmosphère lourde, la nature sauvage. C'est un texte fulgurant, épuisant qui en découragera plus d'un mais qui mérite d'être lu et apprécié à sa juste valeur.

Un chef-d'oeuvre incontestablement mais qui ne m'a pas embarquée malgré la sublime écriture.
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