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EAN : 9782070305056
80 pages
Gallimard (23/03/2006)
3.9/5   207 notes
Résumé :
Quand il arrive à Castelnau, un village au fin fond de la Dordogne, tout près de Lascaux, le narrateur a vingt ans. C'est son premier poste. Derrière le rideau gris des pluies de septembre, entre deux dictées, le jeune instituteur s'abandonne aux rêves les plus violents - archaïques, secrets et troubles comme les flots que roule, en contrebas des maisons, la Grande Beune.
Dans ces contrées où se rejoue encore dans une forme ancienne l'origine du monde, le se... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (40) Voir plus Ajouter une critique
3,9

sur 207 notes
J'avais lu dans les années 90 Vies minuscules de Pierre Michon et j'en avais gardé un souvenir un peu mitigé. Cette année, la fête du livre de Bron, dans la région lyonnaise, m'a donné l'occasion de lire ce très court roman : La Grande Beune du même auteur. Et je suis bien embarrassée pour porter sur ce live un jugement équitable, d'où l'absence de notation.
Je n'ai pas été dérangée par l'absence d'intrigue à proprement parler. le narrateur est l'instituteur d'un petit village de Dordogne, Castelnau près de Lascaux. La Grande Beune, rivière toute proche, la pluie qui tombe une bonne partie de l'année font que les paysages se perdent dans une liquidité qui les noie. de très belles évocations d'ailleurs de cette omniprésence d'une nature personnifiée mais peu hospitalière courent dans tout le roman. C'est un des points forts de l'écriture de l'auteur.
Mais qu'en est-il du héros de cette histoire, ou plutôt devais-je dire de ce conte érotico poétique , car si certaines scènes sont très ancrées dans le quotidien de ce petit village des années 60, celles qui constituent le "noyau dur" du récit relèvent vraiment du conte onirique.
Que penser en effet de cette rencontre, un dimanche après-midi, entre le narrateur et la buraliste, une femme qui suscite en lui de violents fantasmes sexuels mais qui ne lui accorde aucun regard car elle se consume d'amour pour un homme du village. Un amant qu'elle a rencontré de toute évidence ce dimanche après-midi. Sa rencontre avec le narrateur constitue l'acmé du roman et c'est un des passages les plus réussis sur le plan de l'écriture. Par un entrelacs subtil entre une scène de chasse primitive soigneusement décrite et une scène érotique mêlée de violences sexuelles mais évoquée de façon allusive, l'auteur suggère très habilement combien cette cruelle découverte est ambivalente pour le narrateur. Voir dans cette femme "une pauvre femme" et en même temps une victime consentante qui le défie du regard est le dilemme auquel il est confronté.
Et c'est là pour moi où le bât blesse car dans tout le roman et à travers le portrait de la buraliste émerge une vision de la femme qui me dérange, tour à tour vue comme "vénus callipyge", déesse inaccessible mais aussi comme "louve" ou "garce". Il n'y a pas de place pour une femme qui ne soit pas fragmentée, dissociée et autre chose que mère ou proie d'un désir masculin brutal qui fait de celui qui l'éprouve un chasseur impitoyable.
Ceci dit, les qualités de l'écriture de ce court roman sont indéniables : la richesse et la diversité du lexique, la scansion de la phrase, l'art de suggérer sans dire, le sens de la formule, tout cela est très présent et on pourrait presque le lire deux fois rien que pour mieux en savourer le style.
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Il y a des textes dont la beauté enivrante exonère de toute intrigue construite sur une suite millimétrée d'évènements, des textes dont le style absorbe de manière voluptueuse l'histoire. La Grande Beune de P. Michon en fait assurément partie.

La Grande Beune n'est pas un roman, c'est une fable. Une fable qui déploie tous les rêves charnels d'un jeune instituteur muté pour son premier poste à Castelnau, village isolé, figé dans le temps, coincé entre les grottes de Lascaux et la Grande Beune qui crache des pêches miraculeuses. Dans cette campagne vivotant au rythme de ses habitants, le jeune instituteur se consume de désir pour Yvonne, la buraliste.
C'est ce désir que P. Michon déploie tout au long de l'oeuvre ; un désir fou, brutal, animal qui obsède le narrateur. « Au milieu des galops de pluie » et de l'épais brouillard, l'auteur nous plonge dans un désir envahissant qui pare la rivière, la forêt et même les grottes préhistoriques d'une sensualité rare : c'est ainsi que, sur « les lèvres de la falaise », le narrateur s'égare dans ses rêveries en regardant « en bas la Grande Beune couler dans son trou ».
Tout est bestial, à l'image des peintures rupestres recouvrant les parois des grottes.

C'est une oeuvre qui n'a rien de conventionnel.
Avec une écriture complexe mais mélodieuse, P. Michon fait de cette oeuvre, certes une exaltation de la sensualité, mais qui n'obéit à aucun code du romanesque. On se laisse embarquer dans les divagations du narrateur en abandonnant tout repère. Les émotions primaires du narrateur bousculent la trame du récit et rendent même toute intrigue superflue.
Avec des phrases qui s'étirent toute en longueur jusqu'à épuiser le souffle, le rythme se décline en un style tout en représentation, visuel : une écriture faite d'entrelacs qui ne cessent de se croiser et s'enchevêtrer. Une écriture qui aurait pu faire écho aux peintures rupestres recouvrant les parois des grottes préhistoriques, mais la poésie de Michon est autrement plus lumineuse.
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J'ai relu La grande Beune que j'avais initialement lue lors de sa parution il y a plus de vingt-cinq ans, et la magie a de nouveau opéré. Ce livre m'avait laissé un souvenir tenace et sa puissance m'a encore une fois été révélée. Ce fut mon entrée dans l'oeuvre de Pierre Michon.
La grande Beune est un long poème en prose qui relate l'arrivée d'un jeune instituteur dans un village de Dordogne, les quelques habitants rencontrés, les enfants de l'école, et avant tout une histoire de passion érotique fantasmée qui suscite chez lui de sombres émois et désirs de possession. Mais Yvonne la buraliste n'est pas libre car elle entretient une liaison orageuse, dont son corps garde les traces, avec un pêcheur du coin.
L'ambiance est poisseuse, aqueuse. L'eau, qui tombe infiniment, s'infiltre partout, imbibant les intérieurs et les paysages et les nimbant de brouillard. le cours de la rivière, la Beune, dessine les vallons et les côteaux. Son débit rythme la vie des villageois qui consacrent du temps à la pêche et à la préparation de grands poissons sauvages.
Sur ce fil narratif ténu, Pierre Michon dresse, à partir de scènes visuelles, une composition comme un peintre le ferait devant sa toile, avec de magnifiques coups de pinceaux combinés à un art du détail.
Il nous fait pénétrer dans les mondes ancestraux enfouis, dans le dédale des grottes abritant les peintures pariétales, dans les demeures troglodytes construites au bord du cours d'eau. Il évoque les traditions de ces contrées, au travers notamment de la procession des enfants qui porte la dépouille d'un renard.
Le violent désir pour la buraliste ne dépare pas dans le tableau, relevant du même primitivisme et de la même mythologie.
Grâce à un style unique, Pierre Michon parvient à décrire des scènes saturées de sensations, perceptions, impressions. La langue est saccadée, heurtée, impétueuse, sinueuse, à l'image de la rivière qui donne son titre au roman.
J'ai hâte de lire La petite Beune.


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Quel ennui! A ce point, ça m'arrive rarement mais que 78 pages peuvent être longues!

Je n'ai absolument pas adhéré à cette histoire. Et encore moins au narrateur, instituteur de vingt ans en 1961, affecté pour son premier poste dans le petit village de Castelnau, dans le Sud-Ouest. Ses délires érotomanes et vains à propos de la belle buraliste - nommée Yvonne ou "le beau morceau" (ça ne fait pas du tout quartier de viande...) - deviennent très vite lourds et fastidieux. Certes ses vingt ans pourraient l'excuser. Mais ne pouvant avoir la mère, mortifier son enfant, élève de sa classe, est d'une mesquinerie inique absolue.

Le style n'a pas racheté le fond; j'y suis restée insensible. Je découvrais Pierre Michon avec ce (heureusement) très court roman. A mon goût, vraiment pas un bon souvenir de lecture. Ça arrive; on ne peut tout apprécier.
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Honnêtement, j'ai un peu de mal à commencer cette critique. Ceci pour deux raisons. La première, c'est que ce livre m'a été offert et recommandé par un ami.
Et déjà, là, je m'arrête et m'interroge : Pourquoi avoir précisé "par un ami" ? Qui d'autre qu'un ami peut-il vous offrir un livre ? Un livre n'est pas un cadeau de civilité, comme une boite de chocolat ou un bouquet de fleurs — d'ailleurs, on m'offre assez peu de fleurs. Comme le parfum, le livre est un cadeau des plus personnels avec la différence qu'il est personnel à celui qui offre. Il peut révéler ses goûts et ses couleurs, sa façon d'aimer, ses détestations. Il engage sinon son honneur, mais parfois sa réputation — pas à tous les coups, bien sûr, mais quand même. Que celui qui, offrant un livre, accepte ainsi de s'exposer, éventuellement d'être jugé, est bien une preuve d'amitié.
Mais j'y pense : pourquoi à "offert" ai-je ajouté "et recommandé" ? Quelqu'un, même quelqu'un qui ne serait pas de vos amis, vous a-t-il dit un jour : "Tiens, je t'ai apporté un livre. Il est sans intérêt, creux et ennuyeux ; en plus, il est mal écrit et n'a rencontré aucun succès" ? Non, bien sûr ! Parce que, quand on offre un livre à un ami, c'est qu'on l'a aimé, — le livre, pas l'ami, parce que l'ami, normalement, on l'aime encore — ou que, sans l'avoir encore lu, on a lu d'autres ouvrages de son auteur. Alors, en véritable ami, on veut partager le plaisir qu'on a connu ou dont on est certain qu'on le connaitra.
"Recommandé" et "ami" étaient donc deux précisions inutiles. "Ce livre m'a été offert" eut été suffisant. J'allais dire "parfaitement suffisant", mais à quoi sert le "parfaitement", le "suffisant" se suffisant à lui-même ? (Tout le monde ne peut pas écrire comme Chardonne1, n'est-ce pas ?) Avec ce souci, d'ailleurs redondant, du détail, je n'ai fait qu'alourdir le texte et noyer un peu plus le poisson, comme je suis en train de le faire depuis la deuxième ligne.

Donc, ce livre m'a été offert, par un ami, cela va de soi comme expliqué plus haut, et c'est la première des deux raisons qui me gênent pour rédiger ma critique. En effet, si vous avez suivi toutes mes circonvolutions à base de prétendues réflexions sur le livre et l'amitié, vous avez deviné qu'elle comportera au moins quelques réserves, cette critique. Ouf ! C'est dit : ce livre, je ne l'ai pas vraiment aimé ! Non, je m'exprime mal : ce livre a des qualités, mais je ne les ai pas appréciées. On comprendra peut-être pourquoi un peu plus loin.
La deuxième raison, la voici. Je suis le type qui a passé son temps à gueuler sur tous les toits et tous les tons que "l'histoire, on s'en fout ! c'est le style qui compte !" Vous vous souvenez ? Eh bien là, non, et pourtant, du style, il y en a ! Alors je suis gêné, vous comprenez ?

Dans ce très court roman (ici, le "très" n'est pas inutile : le roman fait 78 pages), la situation de départ est prometteuse, le scénario intéressant, les décors étranges, les personnages forts, l'atmosphère oppressante, le désir charnel et les passions violentes. En 1961, le narrateur, instituteur, prend son premier poste dans un village du Périgord, pas loin de Lascaux. Une grande, belle et sensuelle jeune femme brune, Yvonne, mère célibataire, y tient le bureau de tabac. du jour où il voit Yvonne pour la première fois, l'instituteur est possédé par un violent désir charnel, attisé chaque jour davantage par le mystère qui entoure la belle Yvonne. Il devine qu'elle a un amant et cherche parmi les hommes du village quel est celui qui soumet Yvonne, et qui occasionnellement la frappe. le narrateur a une jeune maitresse, Mado, gentille fille qui ne se rend compte de rien et qui ne compte pas. Il finit par découvrir qui est l'amant, un homme du village, plus âgé, assez quelconque et pêcheur émérite. L'instituteur se venge en persécutant le fils d'Yvonne. le roman de se termine dans une étrange scène d'éventration de poissons, tandis qu'Yvonne prend un bain (?)

Tout cela devrait donner au moins deux bonnes heures de bonne lecture.
Eh bien, non, pas vraiment ! Tout est mangé par le style ! Bon, alors le style ! Qu'est-ce qu'il a le style ? Pour vous le faire comprendre, j'ai choisi deux extraits, splendides.

Dans le premier, le narrateur fantasme sur Yvonne :

(...) mon désir n'avait pas décru. J'imaginais dans la salle sang de boeuf aux odeurs de mégots, de futaille, de salpêtre, tous les buveurs partis vers la nuit noire à quoi nul ne résiste, la buraliste cédant aussi à cet appel, se dressant sur son lit, jetant son imper sur son dos pour accourir là en tordant ses chevilles sur ses hauts talons, la reine, entrant comme le vent, à deux mains tremblantes ouvrant l'imper, et, à ma seule disposition sous l'oeil réfléchi d'Hélène derrière son comptoir, jetée nue sur les tables poissées, sur le flipper éteint, y secouant ses sequins, y perdant ses yeux blancs, dans toutes les postures enfin où se puisse le plus largement connaître son poil corbeau, ses cuisses orgeat, ses fesses de nacre, jouissant immodérément sous un renard, ses cris d'orfraie tombant, dévalant la falaise, étonnant les braconniers accroupis sur la Beune. Je l'étripais. (...)

Dans le second, l'instituteur et Mado suivent la pauvre lumière d'un homme qui les guide au travers d'une enfilade de cavernes :

(...) On avait peur de se cogner la tête. Tout était gorgé d'eau, les argiles, détrempées, blêmes collaient aux semelles, les pluies de cet hiver pourri s'égouttaient là-haut, ruisselaient en mille endroits ; je pensai aux énormes vidanges de cinquante siècles qui s'étaient engouffrées là-dedans, quand se débâclaient les grandes glaciations. Il faisait plus doux que sur terre : cette chaude haleine ajoutait comme toujours au malaise d'être plus bas que les morts, comme si vous soufflait dessus une bête pendue à ces voutes, rampant à l'aise sur ces sables pourris, toujours vous précédant hors du faisceau de la lampe mais par-dessus son épaule braquant sur vous son mufle et vous attendant au tournant, une grande abstraction ambulante, chaotique et toute prête à s'incarner pour peu que la lampe s'éteigne, quelque chose de plus aigu qu'Anubis et plus épais qu'un boeuf, le miasme universel à tête de mouton mort, à dents de loup, tout droit sur vous dans les ténèbres et vous regardant. (...)

Et là, vous vous dites : "Quelle écriture fiévreuse, foisonnante ! Quelle force des images ! Quelle poésie ! Ce style, quelle richesse !"
Eh bien, oui, justement ! Quelle richesse ! Soixante-dix-huit pages comme ça, nourries de longues phrases à la construction piégeuse, pleines d'embûches, de virages en épingle et de longues montées abruptes sans jamais de descente, jamais de pause ni de roue libre, non seulement c'est exténuant, mais ça obscurcit le récit. C'est pourquoi, malgré tous ses passages remarquables, j'ai eu un peu de mal à avaler ce roman, un peu comme j'aurais eu de mal à finir une trop large portion de cuissot de sanglier périgourdin à la Royale. Trop riche !

Un dernier mot : en lisant cette critique, et plus précisément sa première partie, vous avez peut-être trouvé que le style que j'utilisais n'était pas très fluide : bourré d'incidentes, de clins d'oeil au lecteur et autres artifices dont l'utilité est de tourner autour du pot et le résultat d'entraver la lecture. Que Chardonne me pardonne, mais ce n'était pas une critique aisée.

Note 1
"Pas d'adjectifs ; le moins possible ; ils affaiblissent un style naturellement fort, vif, savoureux. L'adjectif, c'est comme les bijoux. Une femme élégante ne porte pas de bijoux (ou bien c'est un solitaire. Les lieux communs, c'est pour les bonnes.) [...] Pas de mots qui sont de la bourre, "par conséquent", etc. fausses liaisons, etc. Jamais de métaphore ; pas la moindre. Pas de mots superflus. Ils n'ajoutent rien ; ils affaiblissent. Si vous dites : “Je vous déteste fortement.” C'est plus faible que “Je vous déteste.” le moins de mots possibles."
Jacques Chardonne

Lien : https://www.leblogdescouthei..
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critiques presse (1)
Lexpress
22 août 2011
Dans un court roman inspiré par un affluent de la Vézère, Pierre Michon a saisi la poésie d'une terre encore hantée par les animaux de Lascaux.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on les invente ; seules m’emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l’instant d’abominables pensées dans le sang. C’est peu dire que c’était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c’était du lait. C’était large et riche comme Là-Haut les houris, vaste mais étranglé, avec une taille serrée ; si les bêtes ont un regard qui ne dément par leur corps, c’était une bête ; si les reines ont une façon à elles de porter sur la colonne d’un cou une tête pleine mais pure, clémente mais fatale, c’était la reine. Ce visage royal était nu comme un ventre : là-dedans les yeux très clairs qu’ont miraculeusement des brunes à peau blanche, cette blondeur secrète sous le poil corbeau, cette énigme que rien, si d’aventure vous possédez ces femmes, ni les robes soulevées, ni les cris, ne dénoue. Elle avait entre trente et quarante ans. Tout en elle était connaissance du plaisir, celui sans doute qu’on entend d’habitude, mais celui aussi qu’elle dispensait à tous, à elle-même, à rien quand elle était seule et ne se voyait plus, seulement en posant là le gras de ses doigts, en tournant un peu la tête et alors les sequins d’or qu’elle avait aux oreilles touchaient sa joue, en vous regardant ou en regardant ailleurs, et ce plaisir était vif comme une plaie ; elle savait cela ; elle portait cela avec vaillance, avec passion. Allons, on ne peut en parler ; non, ça n’est pas né de l’argile : c’est comme le battement furieux de milliers d’ailes en tempête et il n’y a pas pourtant de matière plus comble, plus lourde, plus enferrée dans son poids. Le poids de ce mi-corps somme toute gracile en dépit de l’évasement des seins était considérable. Des paquets de cigarettes bien rangés derrière elle l’auréolaient. Je ne voyais pas sa jupe ; c’était pourtant là derrière le comptoir, démesuré, insoulevable.
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C'était Lascaux au moment où les célibataires accroupis épousent leur pensée, conçoivent, brisent les bâtons d'ocre et touillent le charbon de bois dans une flaque, se taisent, le chapeau à andouillers posé à côté d'eux ; et peut-être qu'alors ils le prennent et le font tourner dans leurs mains, le chapeau, que doucement ils le regardent et pensent à leur petite enfance, pensent fortement qu'ils auront à mourir, qu'ils aiment les femmes et manger, bluffer avec des andouillers sur la tête, mais que des dieux cléments et insatiables en cet instant, les regardent, respirent par leur bouche, ont leur joie, et vont tout à l'heure les jeter avec cette joie contre ces murs, debout, incertains de leur propre volonté mais sûrs de leur main, traçant de grandes vaches rouges plus blessées que des femmes, comme elles bondissantes et joyeuses, traquées.
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Dans la salle chez Hélène, le soleil se couchait au-delà de la Beune, d'autres nuages très noirs, se penchaient comme des servantes venaient ; l'amour qui meut les étoiles émouvait les étoiles là-derrière, les fardait, les parait comme des Esther, les dénudait pour que toutes blanches elles se montrent dans un instant ; des rayons caressaient le poil roux du renard, des petits enfants dans la campagne voyaient luire un caillou rajeuni et c'était un biface qu'ils m'amèneraient demain, avec quelque chose comme de l'amour ; là-haut sur la place la buraliste frémissait des fêtes brutales de la nuit, sa main peut-être tremblait fugacement sur un paquet de Marlboro, sa jupe caressait ses cuisses. "Honey" quand le soleil descend, quand la nuit vient, quand l'âme des femmes est nue comme leur main.
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les hommes descendaient dans les grottes et faisaient des peintures. Pas tous les hommes : ceux-là seulement qui avaient la main plus déliée, l’esprit plus prompt ou contourné, les cœurs célibataires qui allaient la nuit chercher sens dans les flaques des Beune, ne l’y trouvaient pas et ramenaient à la place des pierres opaques qui font sens, des mots et des combinaisons de pierres et de mots qui font sens, et de ces combinaisons du pouvoir
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Et les hommes qui étaient ce dieu des rennes, après les huit jours de charivari, de sang, de vive force dans les goulets, d'écorchage, salaison et boucan, ces petites jours d'avril qui leur permettraient le reste de l'année de ne rien faire, regarder, parler, de s'emplir le ventre, de jouir de leurs femmes et d'aimer les petits enfants qui en sortaient, les hommes dit-on, et il semble que c'est vrai puisque le carbone 14 a daté tout cela sans réplique comme l'aurait fait un barbichu, quand ils étaient las des enfants et des femmes, des palabres sous une hutte sang de bœuf avec leurs grands chapeaux pleins d'andouillers et de plumes, les hommes descendaient dans les grottes et faisaient de la peinture.
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