AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782246792963
446 pages
Grasset (01/01/1929)
3.75/5   10 notes
Résumé :


Dédiée au constructeur de l’automobile de Mirbeau, l’Angevin Fernand Charron, cette œuvre inclassable n’est ni un véritable roman, ni un reportage, ni même un récit de voyage digne de ce nom, dans la mesure où le romancier-narrateur n’a aucune prétention à la vérité documentaire, ne se soucie aucunement de vraisemblance, et mélange allègrement les registres du vécu, du rêve et de la fantaisie.
Que lire après La 628-E8Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
A l'exception du Journal d'une femme de chambre, je ne connaissais rien d'Octave Mirbeau, et on parlait surtout des films tirés du roman. Intrigué peut-être par le titre, j'ai tiré ce volume un peu au hasard d'un rayonnage bien garni.
Que peut bien représenter un titre comme 628-E8? Pas même un modèle d'automobile, juste une plaque d'immatriculation ! Octave Mirbeau commence par dédier ce « récit de voyage » à son constructeur, puis nous avertit : ce journal de voyage contient sa part de rêves, d'associations d'idées. Et pour moi, c'est justement ce qui fait sa valeur. Mirbeau revendique sa liberté de conteur, et nous offre une salade composée : descriptions de paysages, de jeux de lumière, portraits de villes en perspective historique, sociologie, politique, anecdotes, dans un désordre sans doute bien réfléchi.

Mirbeau me touche surtout parce qu'il sait s'émouvoir avec compassion, oubliant sa situation de bourgeois aisé amateur de progrès et du confort de l'automobile. La conversation qu'il prétend avoir eue avec un survivant des pogroms russes, ayant vécu des scènes abominables et rejeté de partout en est un exemple typique et térébrant. Mais il met aussi son intelligence et son humour au service d'anecdotes légères (ou pas si légères : son portrait du roi des Belges n'est pas vraiment innocent si on y fait attention), ou révélant des faits passionnant sur les peintres ou auteurs qu'il a fréquentés ou étudiés.

Une lecture bien plus prenante que ce que j'attendais, qui n'a pas répondu à mes questions sur l'état du tourisme automobile en 1905 (routes, carburant, pneumatiques, panneaux sont à peine évoqués), mais hautement recommandable à force de sensibilité, de culture et de réflexion.
Commenter  J’apprécie          140
628 – E8 est le numéro d'immatriculation d'une C-G-V (Charron – Girardot – Voigt, marque française disparue dans les années 30), magnifique automobile qu'Octave Mirbeau vient d'acquérir et dont il fait un vif éloge, heureux de la liberté qu'elle lui offre lors de grands voyages sur les routes dans des conditions hasardeuses : pannes à répétition, pneus crevés, difficultés pour s'approvisionner en essence. En compagnie de son chauffeur, il décide de se lancer dans un grand périple à travers la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne avec retour par l'Alsace et la Lorraine devenues allemandes à l'époque (1905).
Ce livre n'est pas un guide touristique du début du XXème siècle, mais une suite d'impressions fugaces et souvent surprenantes. Ainsi Rocroy (en France) semble une ville quasiment morte malgré un passé prestigieux alors que Givet (en Belgique) est une cité ultra fortifiée très vivante. Mirbeau n'apprécie ni l'architecture ni l'ambiance de Bruxelles mais reste en admiration devant le charme suranné des « délicieux » villages hollandais situés entre Gorinchem et Dordrecht où il s'étonne de découvrir un musée des Boers que personne ne visite, pas même Krüger. En effet, notre auteur de sensibilité anarchiste profite de ce récit de voyage pour nous faire partager ses indignations (le sort des Noirs du Congo colonisés par les Belges ou celui des Boers massacrés par les Anglais avides des richesses du sous-sol sud africain). Les digressions de toutes sortes ne manquent pas et représentent un des principaux attraits de ce livre. Ainsi, tout un chapitre est-il consacré avec humour à l'occupation des chaussées par chevaux, boeufs, moutons, chiens, volailles et même humains, toutes créatures qui ne laissent pas facilement la place aux nouveaux bolides. Plus sérieuses sont les remarques sur les Alsaciens qui souffrent de la présence allemande alors que l'on n'a jamais autant construit et embellit leur contrée. Ils se plaignaient tout autant de la présence française. Pour eux, l'Allemand est un « schwein » (porc) et le français est un « welch » (belge), c'est tout dire ! La seule solution convenable selon Mirbeau aurait été l'autonomie. Mais l'Histoire en a décidé autrement par le biais de deux guerres imbéciles. Plus émouvant enfin est le chapitre consacré aux amours De Balzac et de Mme Hanska et à la mort tragique et solitaire du grand écrivain. Un livre passionnant à bien des égards, ne serait-ce que pour établir des comparaisons géopolitiques à un siècle de distance.
Lien : http://www.etpourquoidonc.fr/
Commenter  J’apprécie          50

Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Il faut bien le dire — et ce n’est pas la moindre de ses curiosités — l’automobilisme est une maladie, une maladie mentale. Et cette maladie s’appelle d’un nom très joli : la vitesse. Avez-vous remarqué comme les maladies ont presque toujours des noms charmants ? La scarlatine, l’angine, la rougeole, le béri-béri, l’adénite, etc. Avez-vous remarqué aussi que, plus les noms sont charmants, plus méchantes sont les maladies ?… Je m’extasie à répéter que la nôtre se nomme : la vitesse… Non pas la vitesse mécanique qui emporte la machine sur les routes, à travers pays et pays, mais la vitesse, en quelque sorte névropathique, qui emporte l’homme à travers toutes ses actions et ses distractions… Il ne peut plus tenir en place, trépidant, les nerfs tendus comme des ressorts, impatient de repartir dès qu’il est arrivé quelque part, en mal d’être ailleurs, sans cesse ailleurs, plus loin qu’ailleurs… Son cerveau est une piste sans fin où pensées, images, sensations ronflent et roulent, à raison de cent kilomètres à l’heure. Cent kilomètres, c’est l’étalon de son activité. Il passe en trombe, pense en trombe, sent en trombe, aime en trombe, vit en trombe. La vie de partout se précipite, se bouscule, animée d’un mouvement fou, d’un mouvement de charge de cavalerie, et disparaît cinématographiquement, comme les arbres, les haies, les murs, les silhouettes qui bordent la route… Tout, autour de lui, et en lui, saute, danse, galope, est en mouvement, en mouvement inverse de son propre mouvement. Sensation douloureuse, parfois, mais forte, fantastique et grisante, comme le vertige et comme la fièvre.
Par exemple, je vais à Amsterdam… Quand j’ai un ennui, un dégoût, simplement, pour ne plus entendre parler de M. Willy et de M. Bernstein, je vais à Amsterdam. Je décide que j’y resterai huit jours, huit jours d’oubli, huit jours de joie… Il me faut huit jours, bien pleins, pour revoir, un peu superficiellement, mais avec calme, cette admirable ville. Si huit jours ne me suffisent pas, j’en prendrai quinze… Je suis libre de moi, de mon temps… Rien ne me retient ici ; rien ne me presse là-bas.
Commenter  J’apprécie          30
Je serais un pauvre homme, je me sentirais presque aussi dénué de sensibilité et d’imagination qu’un auteur dramatique de ce temps, si je disais que je suis entré en Hollande, sans angoisse.
Bien au contraire, le cœur me battait fort et, longtemps avant la frontière, mes yeux s’ouvraient tout grands, vers l’horizon désiré. J’étais très ému, il ne m’en coûte rien de l’avouer. Et, voyez l’ironie des choses, je roulais sans m’en douter, depuis une dizaine de kilomètres, sur la terre néerlandaise, que j’étais toujours dans l’attente du choc… Aux tristes emblaves, aux sables stériles, aux boqueteaux chétifs que nous traversions, comment l’eussé-je reconnue ? Nous serions peut-être arrivés à Dordrecht, nous croyant toujours en Belgique, si un paysan, interrogé, ne m’eût crié, avec un orgueil farouche et d’une voix violente, en frappant le sol de ses lourds sabots :
— Nidreland !… Nidreland !
Ah ! il avait bien sa patrie à la semelle de ses sabots, celui-là !
Il nous fallut faire demi-tour et regagner la frontière pour nous mettre en règle avec la douane, que j’avais si lestement brûlée. On ne badine pas avec la douane en Hollande.
Je n’en étais que plus impatient de franchir cette zone sans caractère et de revoir le pays clair et uni, conquis sur l’eau, c’est-à-dire sur l’élément le plus fuyant, le plus cruellement impitoyable ; impatient de retrouver ces villages vernis et fleuris, réfugiés sur les digues, comme des inondés qui se pressent sur les hauts talus des champs, et ces villes lustrées qui débordent d’abondance, et l’immensité translucide de ces ciels mouvants, et ce printemps si vert, avec son soleil pâle et son éclatante passementerie de tulipes.
J’eus beaucoup de peine à faire comprendre au douanier ma distraction. C’était un colosse, avec une poitrine plate et un ventre proéminent. Il portait un haut képi bleu, mathématiquement cylindrique. Fort de ce képi, il m’expliqua que les frontières étaient des frontières, qu’on n’entrait pas en Hollande comme dans un moulin. Sans aucun respect pour les recommandations, pour tous les papiers réglementaires dont j’étais muni, il fouilla la voiture de fond en comble, me fit déposer une grosse somme d’argent. Finalement, en roulant de gros yeux, il déclara qu’il en référerait au ministre des Digues.
Le ministre des Digues !… Quel délicieux pays !…
Commenter  J’apprécie          10
Je serais un pauvre homme, je me sentirais presque aussi dénué de sensibilité et d’imagination qu’un auteur dramatique de ce temps, si je disais que je suis entré en Hollande, sans angoisse.
Bien au contraire, le cœur me battait fort et, longtemps avant la frontière, mes yeux s’ouvraient tout grands, vers l’horizon désiré. J’étais très ému, il ne m’en coûte rien de l’avouer. Et, voyez l’ironie des choses, je roulais sans m’en douter, depuis une dizaine de kilomètres, sur la terre néerlandaise, que j’étais toujours dans l’attente du choc… Aux tristes emblaves, aux sables stériles, aux boqueteaux chétifs que nous traversions, comment l’eussé-je reconnue ? Nous serions peut-être arrivés à Dordrecht, nous croyant toujours en Belgique, si un paysan, interrogé, ne m’eût crié, avec un orgueil farouche et d’une voix violente, en frappant le sol de ses lourds sabots :
— Nidreland !… Nidreland !
Ah ! il avait bien sa patrie à la semelle de ses sabots, celui-là !
Il nous fallut faire demi-tour et regagner la frontière pour nous mettre en règle avec la douane, que j’avais si lestement brûlée. On ne badine pas avec la douane en Hollande.
Je n’en étais que plus impatient de franchir cette zone sans caractère et de revoir le pays clair et uni, conquis sur l’eau, c’est-à-dire sur l’élément le plus fuyant, le plus cruellement impitoyable ; impatient de retrouver ces villages vernis et fleuris, réfugiés sur les digues, comme des inondés qui se pressent sur les hauts talus des champs, et ces villes lustrées qui débordent d’abondance, et l’immensité translucide de ces ciels mouvants, et ce printemps si vert, avec son soleil pâle et son éclatante passementerie de tulipes.
J’eus beaucoup de peine à faire comprendre au douanier ma distraction. C’était un colosse, avec une poitrine plate et un ventre proéminent. Il portait un haut képi bleu, mathématiquement cylindrique. Fort de ce képi, il m’expliqua que les frontières étaient des frontières, qu’on n’entrait pas en Hollande comme dans un moulin. Sans aucun respect pour les recommandations, pour tous les papiers réglementaires dont j’étais muni, il fouilla la voiture de fond en comble, me fit déposer une grosse somme d’argent. Finalement, en roulant de gros yeux, il déclara qu’il en référerait au ministre des Digues.
Le ministre des Digues !… Quel délicieux pays !…
Commenter  J’apprécie          10
Le plus comique - tout est toujours le plus comique en Belgique - c'est l'armée belge.
Commenter  J’apprécie          00

Lire un extrait
Videos de Octave Mirbeau (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Octave Mirbeau
Le livre est disponibles sur editions-harmattan.fr : https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_ecrivains_decadents_et_l_anarchisme_une_tentation_fin_de_siecle_alexandre_lecroart-9782336410142-78065.html ___________________________________________________________________________
La fin du XIXe siècle est marquée par une série d'attentats anarchistes. Ces actes récoltent le soutien d'écrivains d'avant-garde comme Paul Adam, Octave Mirbeau et Rémy de Gourmont. Ces affinités avec l'anarchisme étonnent, venant d'écrivains résignés et élitistes qui rejettent la politique au profit de la littérature. Cet ouvrage examine l'influence qu'a exercée l'imaginaire de la décadence sur ces écrivains. Véritable mythe de la fin du siècle, la décadence donne naissance à une esthétique littéraire : le décadentisme. Mais elle agit également sur les anarchistes, qui y voient l'occasion de faire émerger une société nouvelle. Cette analyse jette ainsi un regard nouveau sur les liens entre politique et littérature. La bombe et le livre se superposent, l'utopie anarchiste et l'imaginaire décadent se télescopent. Ce cocktail détonnant laisse entrevoir une intense période de création littéraire et d'ébullition politique. Il questionne les représentations du progrès et de l'histoire, et signale l'émergence de l'artiste d'avant-garde, révolutionnaire en art et en politique.
Retrouvez nous sur : https://www.editions-harmattan.fr/index.asp Les librairies L'Harmattan près de chez vous : https://www.editions-harmattan.fr/index.asp Faire éditer votre livre : https://www.editions-harmattan.fr/envoi_manuscrits
Facebook : https://www.facebook.com/Editions.Harmattan/ Twitter : https://twitter.com/HarmattanParis/ Instagram : https://www.instagram.com/editions.harmattan/
Bonnes lectures !
Crédit : Rudy Matile, la prise de son, d'image et montage vidéo
+ Lire la suite
autres livres classés : villegiatureVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (28) Voir plus



Quiz Voir plus

Voyage en Italie

Stendhal a écrit "La Chartreuse de ..." ?

Pavie
Padoue
Parme
Piacenza

14 questions
600 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature , voyages , voyage en italieCréer un quiz sur ce livre

{* *}