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sur 893 notes
Grâce à son talent d'écrivain, Octave Mirbeau donne la parole à Célestine, mais plus que ça, il lui donne un corps et une âme.
Car oui, Célestine est une voix, une voix qui porte pour exprimer ses émotions, ses révoltes et ses joies, trop rares pour elle. Elle parle et nous faire revivre un monde, la maîtrise du langage, du beau langage, étant un code qui révèle la position sociale de chacun - mais les codes peuvent être pervertis : la bonne cherche à imiter les airs de la grande dame, la grande dame jure comme une domestique quand elle se laisse aller. Ainsi, le passage sur le dîner mondain chez les maîtres snobs est un régal.
Célestine est aussi un corps, une femme désirante qui affirme ce qu'elle désire - ou ceux qu'elle désire. C'est une fille trop gentille, qui veut plaire à ses amants même quand elle ne les aime pas beaucoup, qui apprécie la sensualité des parfums d'alcôve comme l'odeur du crottin.
Et Célestine est une âme, mise à nus devant nous, qui nous livre ses émotions. Elle rit rarement mais se moque beaucoup - elle a l'ironie féroce sans être cruelle sur les défauts des autres. le récit de l'agonie de Monsieur Georges est un très beau passage littéraire, plein d'émotions.
Ce livre est donc une très belle découverte !
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Pour moi le Journal d'une femme de chambre c'est d'abord le film avec Jeanne Moreau. Mais cette lecture m'a surprise car ce roman est beaucoup plus fort, à la fois drôle et tragique. Il y a un ton un peu cynique qui est assez difficile à transcrire en images.
Célestine est une femme de chambre parisienne. Elle arrive dans sa nouvelle place, en Normandie, dans une maison bourgeoise qui n'est pas tout à fait comme les autres. Elle n'a pas eu le choix étant obligée de travailler. Tout au long du livre, elle revient régulièrement à ses souvenirs alors qu'elle rêve du présent avec Joseph le jardinier, manipulateur et antisémite. Leurs rapports sont ambigus mais ce qui domine Célestine c'est sa volonté de s'émanciper, de changer de condition sociale.
Octave Mirbeau montre très bien la personnalité de cette jeune femme déterminée et la façon dont elle fait de ses atouts (son charme et sa clairvoyance) des armes redoutables, décidée au pire pour aller au bout de son rêve.
C'est aussi le portrait sans concession d'une époque inégalitaire où le pouvoir et le droit sont aux possédants. Célestine se fait à l'image des gens simples et de bons sens mais aux pulsions sombres du patriotisme, à la soif de l'ordre associé à un antisémitisme primaire.
Ce « journal d'une femme de chambre » est un portrait passionnant porté par une très belle plume.


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Dans ce roman, Octave Mirbeau donne la parole et la plume à Célestine donc, une jeune femme qui vogue de place en place de domestique, et qui n'a ni les yeux ni la langue dans sa poche. Dans un récit qui prend la forme d'un journal, Célestine raconte son quotidien dans une nouvelle maison, et glisse dans ses souvenirs plus ou moins cocasses, plus ou moins coquins aussi. Grâce à elle, nous nous immergeons dans une époque, dans les secrets d'alcôves de familles qui voudraient être bien sous tout rapport et dont on découvre rapidement qu'elles cachent toutes manigances et mesquineries.

Le format du roman (journal) offre un léger, très accessible. Célestine est une femme du peuple : il serait saugrenu de la voir employer un langage châtié. Mirbeau réussit à nous plonger dans son cynisme quotidien et dans son hypocrisie de façade. Si, pour moi, le journal d'une femme de chambre était avant tout symbolisé par une paire de bottines, j'ai rapidement compris pourquoi, et rapidement découvert que le roman ne s'arrêtait pas à un fétichiste des chaussures : dans chaque maison qu'elle fait, Célestine a bien des choses à raconter sur les pratiques sexuelles de ses maîtres, mais aussi des domestiques !

Avec ce roman, j'ai découvert un romancier à l'univers digne de Zola. Sans concession pour la bourgeoisie, il pointe les travers des plus riches, de ceux qui profitent de leur position pour exploiter de nouveaux esclaves. Il montre les défauts d'une société qui laisse de côté les plus précaires, précaires qui n'ont plus que leurs yeux pour croquer avec ironie ce monde qui les entoure. Un classique particulièrement moderne et enlevé !
Lien : http://croqlivres.canalblog...
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Le personnel de maison, au XIX ° siècle (250000 bonnes à tout faire à Paris....) , et avant, n'était pas à la fête. Beaucoup de romans nous ont présenté maintes femmes de chambre, et autres servantes, exploitées, maltraitées, sous-payées, abusées,....
O.Mirbeau par ce magnifique livre publié en 1900, nous plonge dans le milieu de la petite bourgeoisie d'alors, qui ne s'embarrassait pas de scrupules quand ils s'agissait d'utiliser cette chair humaine disponible et bon marché. L'originalité de ce livre consiste en ce qu'il s'agit d'un journal: Célestine nous raconte ce qu'elle vit dans sa dernière place, mais aussi tout ce qu'elle a vécu dans quantités de situations antérieures, toujours précaires, et toujours conditionnées aux caprices des maîtres. Parmi ceux-ci, les appétits sexuels du Monsieur ou du fils de la maison, s'ils ne sont pas les seuls, étaient monnaie courante - selon Célestine - et faisaient partie, ou presque, du marché. Madame, souvent, fermait les yeux; elle-même n'était pas sans vices: tout cela s'équilibrait.
Célestine observe tout cela, notamment l'humiliation de ses comparses, et connaît elle-même ce triste sort, et la totalité des brimades et agressions liées à la relation déséquilibrée maîtres/employés. Mais ce n'est pas une sainte: spectatrice d'un monde où tout est médiocre, étriqué, hypocrite, elle saura - en partie - s'en défendre, et rendre les coups. Cette caractéristique ambigüe du personnage constitue un des intérêts majeurs du roman, Mirbeau ne s'étant pas contenté de décrire le malheureux sort d'un oie blanche.
De plus, l'écriture est parfaite, colorée, imagée. C'est un vrai bonheur que de tourner ces pages.
Le cinéma (et, hélas aussi, les choix de photos de couverture retenus par beaucoup de maisons d'édition) n'ont voulu retenir que ce que l'on voit par le petit bout de la lorgnette, c'est-à-dire ce qui relève du sexe. Pourtant, le roman est infiniment plus riche et complexe. C'est lui qu'il faut lire, pour ses grandes qualités, et oublier les adaptations intéressées et vulgaires qui en ont été tiré.
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Mirbeau a un grand talent pour la nouvelle, qui se voit paradoxalement dans ce roman, fait de chapitres et d'anecdotes aisément lisibles comme des histoires à part entière cousues ensemble, dans une forme de "journal" assez peu convaincante et peu travaillée. Il prend le masque d'une femme de chambre pour décrire, cercle après cercle, l'enfer bourgeois où son personnage se débat et se complaît. Cet enfer est essentiellement sexuel, et le roman est un catalogue hilarant de toutes les perversions et pratiques étranges dont la narratrice est le témoin. La satire de la classe dominante est féroce, impitoyable, drôlatique, même si l'on comprend mal que la sexualité bourgeoise, malgré son hypocrisie, soit ridiculisée d'un côté, et louée d'un autre côté quand la sensualité de l'héroïne est présente. La méchanceté de ce roman est réjouissante et son amoralité fracassante assure au lecteur un plaisir de tous les instants.
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A travers les déboires , les aspirations et les états d'âmes de Célestine c'est un portrait au vitriol de la France de la fin du XIXème siècle qui nous est conté. Mirbeau dénonce les faux semblants, les ridicules et les préjugés d'une société bourgeoise où les riches assouvissent leurs pulsions et caprices sur les domestiques tandis que les serviteurs se font les complices des perversions des maîtres. C'est un brin outrancier, mais c'est tellement réjouissant...
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C'est incroyable et purement délectable, que de se plonger dans ce type de lecture. Tout d'abord, j'aimerais attirer ton attention, oh toi cher lecteur de ma critique sur le fait que ce journal l(auteur en soit un homme !
Et c'est cela précisément qui m'enthousiasme absolument ! Malgré l'incommensurable talent de Mirbeau, on soupçonne qu'une femme ne pourrait avoir ce genre de pensées ! Ou ?.. Serais-je en train d'attribuer aux femmes tant de vertus de chasteté et de bonté dont elles pourraient se trouver étrangères ? Enfin je peux y croire !
J'ai été simplement embarqué dans le giron de cette histoire théâtrale, qui narra toutes les bassesses de l'âme humaine !
C'est là encore la marque indéniable qui atteste qu'un être humain n'est lui même que dans les petits besoin vils qu'il assouvit de temps à autres !
Et cela ne'est pas sans rappeler un certain Maupassant, que le même appétit dévorant, avait animé lui aussi !
C'est pourquoi, je demeure enchantée de cette lecture, même si j'ai le sentiment d'avoir vu sous me yeux se dérouler une charmante farce littéraire, dont je me vois étourdie et surtout ravie !
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Le roman sous style d'un journal d'une femme de chambre, donne un état critique et nauséabond des "bonnes attitudes" de la bourgeoisie. Etonnée qu'en 1900, le livre ait eu autant de succès, et impressionnée que la bourgeoisie n'ait pas réussi à interdire la diffusion du livre, j'ai cherché par ailleurs les raisons de réussite de diffusion. J'ai découvert que le roman était d'abord un feuilleton de journal quotidien "L'écho de Paris". Cette forme a peut-être permis à Mirbeau d'ouvrir une plaie où il glissait "la maladie". Une maladie où les conséquences est la réflexion et l'analyse que le lecteur se faisait par lui-même à chaque fin de feuilleton.
Mirbeau fait une description sans concession de la bourgeoisie française peinte comme manipulatrice, hypocrite, esclavagiste honteusement et sans scrupule. Il nous dévoile des Maîtres ingrats, égoïstes, parfois très bêtes, imposants des dictas qu'ils ne supporteraient pas de s'appliquer à eux-mêmes, Puis il nous donne la nausée par l'intermédiaire des pensées de ses bourgeois. Mirbeau essaie aussi de secouer cette France d'en bas qu'il voit trop fataliste, pas assez combative par peur du changement.
On découvre une Célestine, une soubrette, plus audacieuse que ses aînées qui analyse, se pose des questions sur sa condition. Elle compare les raisons de son statue de femme de chambre, "femme à tout" si elle laisse faire les maîtres chez qui elle travaille. Elle a travaillé dans plusieurs maisons, refusant beaucoup de choses en partant voir ailleurs.
Même les anciens serviteurs qui réussissent à s'exclure de leur condition se dépêchent d'appliquer les coutumes des bourgeois, tant les profits sont importants au dépend d'autres êtres humains. Célestine est intelligente plus jeune et plus cultivée que ses aînés, mais aussi de certains de ses maîtres chez qui elle travaille.
Réussira-t-elle à trouver le bonheur de se sortir de sa condition ?
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Le Journal d'une femme de chambre est beaucoup plus un ouvrage érotique qu'un texte par exemple social sur la condition de domestique entre les XIXe et XXe siècle – je doute que les critiques l'aient beaucoup remarqué rien qu'à constater le succès qu'il obtint à sa parution, presque toute renommée depuis cent cinquante ans ne devant sa fortune ou qu'à la racole ou qu'au malentendu –, même s'il inclut une portée pédagogique sur les usages des employés de maison – c'est selon moi surtout un prétexte à popularité qui réussit bien –, en ce que l'essentiel du texte, fondé sur la psychologie singulière et même assez distante de la narratrice ne se liant guère à ses semblables, se focalise sur le thème central et fédérateur de l'intimité et des rapports sexuels, d'une sensualité omniprésente et grisante, et plutôt à la manière, ai-je trouvé, des récits de la fin du XVIIIe siècle, c'est-à-dire comportant une relative finesse évocatoire de masques et de marivaudages, de préciosités mondaines mêlées de scandales sous-jacents et recelés, plutôt qu'un réalisme plus grossier et prosaïque de l'époque de Zola et de ses dévoilements un peu plus « triviaux » – on attendrait en vain, autant le dire d'abord, des scènes « explicites », et j'ai déjà exprimé par ailleurs comme je trouve dommage et hypocrite la tendance des écrivains à se saisir d'un sujet sans l'ambition d'en développer totalement la teneur. Pour sentir la contention élégante contredite de suggestions fauves, lire par exemple la description suivante, celle d'un livre d'images lubriques trouvé dans un salon et laissé au regard des serviteurs par la maîtresse, peut-être justement à dessein qu'on les consulte : « Rien que d'y penser, j'en ai chaud… Des femmes avec des femmes, des hommes avec des hommes… sexes mêlés, confondus dans des embrassements fous, dans des ruts exaspérés… Des nudités dressées, arquées, bandées, vautrées, en tas, en grappes, en processions de croupes soudées l'une à l'autre par des étreintes compliquées et d'impossibles caresses… Des bouches en ventouse comme des tentacules de pieuvre, vidant les seins, épuisant les ventres, tout un paysage de cuisses et de jambes, nouées, tordues comme des branches d'arbres dans la jungle !... » (page 76) Devine-t-on avec quel étalage plaisant et magistral, pourtant superflu, Mirbeau déploie ses affolantes évocations ? On trouverait que l'intrigue entière n'est qu'un prétexte à induire des tentations et à traduire des échauffements, parce que parmi les nombreuses places que la narratrice a occupées, il n'en est aucune qui fut dénuée de suggestions de cet ordre, et très peu qui ne se placèrent pas d'emblée sous le signe du désir : la narratrice est d'ailleurs – Célestine – indiscrète, railleuse, impudique, impertinente, ludique, libertine, pleine d'aiguillons et d'une sensualité généreuse et d'épiderme, qui aime les odeurs d'étoffes coquettes où elle se plonge et la nudité des maîtresses qu'elle déshabille, autant de concessions littéraires faites au siècle d'une éducation plus généralisée, – j'entends qu'enfin la soubrettes n'est plus la jeune sotte religieuse et prude utilisée contre sa volonté et son « âme », et qui permet de voir les « dessous » des maisons riches avec un regard instruit, reculé et dur, éloigné de la morale naïve qui « conviendrait » pour une subalterne dans le but de dépeindre avec respect et fidélité les sociétés bourgeoises ou aristocrates dont elle est au service. Il y a un évident voyeurisme en ce journal dont le principe est, en rendant la parole à ces « souris » indiscrètes et qu'on ignore, de dévoiler les moeurs des maisonnées et d'offrir une vision directe sous le déguisement de leurs corrections de façade, révélant avec plus ou moins d'affection ou de blâme, comme des rumeurs vérifiées, leurs privautés et leurs vices, infidélités surtout et puis duretés et avarices, tout ce qui relève du couple et que les « salons » et les « tables » – publics – ne décèlent pas et dissimulent – on trouve le ressort à l'origine par exemple des Liaisons dangereuses. Mais l'honorable lecteur prétextera que ce qui l'intéresse le plus, c'est l'étude du rapport spécifique que les femmes de chambres entretiennent avec leurs maîtres, leurs collègues et les différents interlocuteurs chargés de les placer ou de les accueillir le temps du placement…
le récit principal suit, par intervalles de plusieurs jours, la découverte d'une maison où Célestine doit s'adapter aux règles compliquées et paradoxales, souvent absurdes et mauvaises, de ses maîtres, mais cette narration est régulièrement interrompue de récits enchâssés, au gré des à-propos évoqués par la situation, sur les emplois antérieurs de Célestine, nombreux et peut-être invraisemblables, anecdotes éloquentes où s'exacerbe sa langue pointilleuse et redoutable, ses observations satiriques, ainsi que ses émois irrépressibles de femme belle et séduisable. Ces analepses servent évidemment, de façon sans doute trop artificiellement méthodique, à détailler la variété des circonstances auxquelles sa profession confronte une femme de chambre, et elles constituent un répertoire probablement didactique à l'excès, en dépit de leur « portrait en actes » – je veux dire que l'auteur ne se contente jamais de décrire « en théorie » les contingences d'un métier et qu'il les met toujours en scène avec verve et vitalité –, pour dénoncer les injustices récurrentes infligées à une condition le plus généralement méprisée de demi-esclaves possédés et résignés à leur sort, sans échappatoire : là se retrouve la tonalité rousseauiste d'une « Lettre au Comte de Lastic » par exemple, à travers les rapports successifs sur : l'exploitation dont sont coupables les bureaux même de placement, la forme des entretiens d'embauche si intrusifs et humiliants, les défenses explicites faites aux femmes de chambre de concevoir des enfants, les dédains outrés des employeurs pour les rares évolutions du droit et des moeurs des domestiques, les abus poussés contre la pauvreté même qui ne réclame jamais et subit tout, ainsi que les faiblesses de ce petit peuple parallèle de commis méritant plus ou moins le sort où son manque de probité la condamne ; en somme les ignominies banales de tout un peuple diversifié qui, de longue date et quelle que soit sa classe, est toujours sûr de sa légitimité et a bonne conscience – anecdotes achevées les plus souvent en articles de morale socialiste, ironiquement incisifs, et dirigés contre les riches.
Mais il faut souligner que ces analepses sont utiles et même nécessaires à compenser le manque de péripéties du récit principal, et même le défaut d'intrigue, où presque rien n'arrive, ce qui n'est pas illogique mais quand même impatientant. Mirbeau ne semble pas avoir planifié un canevas de progression et d'élucidation au sein du tissu principal, de sorte que quand des événements rares arrivent, ils n'obtiennent pas leur explication, et que le dénouement est un ratage de petit-confort auquel aboutit Célestine et qui correspond plutôt à une déchéance de sa mentalité leste qu'à un aboutissement de sa sensualité et de son esprit subtil et acéré. Quand elle a fini de nous instruire commence précisément l'instant où elle a cessé de constituer pour le lecteur une enseignante acceptable, elle s'est rangée à l'incohérence bizarre d'une situation de bourgeoise contentée à des infimités, réduite à une utilisation, à un emploi. La médiocrité du dénouement contrebalance, je trouve, la finesse aérienne, piquante et désirable, de toutes les émoustillantes audaces d'une tonalité d'excitation continuelle – même si, à l'heure où je termine Mort à crédit écrit seulement trente ans plus tard, je mesure comme il eût été peut-être permis d'aller plus loin dans la peinture de la réalité des plaisirs.
C'est pourtant, à mon avis, par sa psychologie de la sensualité féminine que se distingue le plus l'admirable pénétration de Mirbeau dans ce récit : Célestine est une femme avant d'être une profession, elle a les duretés et les tendresses de son sexe magnifié sans exagération et sans complaisance, une sorte de perversité spontanée autant qu'une espèce de maternité pitoyable, et ses élans sincères de tentation et d'amour s'opposent à ses jeux de calcul et de domination, à ses séductions et à ses retraits manipulateurs, en quoi elle présente, au sein d'un esprit encore logique, une variété de sensations et de sentiments qui font d'elle – j'ose m'aventurer un peu – une des premières femmes complètes de la littérature dénuées des ces préconceptions d'auteur qui les y rendent factices et d'une désespérante fixité, enfin une femme vraie et mouvante plutôt qu'un type déterminé, tant intellectuelle qu'impulsive, bouillonnante que glacée, une femme des effets et de l'humeur. Par exemple, est-ce qu'on vit souvent auparavant, dans le roman, des vérités profondes de la femme exposées si justement comme celles-ci : « Lorsqu'un homme me tient, aussitôt la peau me brûle et la tête me tourne… me tourne… Je deviens ivre… je deviens folle… je deviens sauvage… Je n'ai plus d'autre volonté que celle de mon désir… Je ne vois plus que lui… je ne pense plus qu'à lui… et je me laisse mener par lui, docile et terrible !... jusqu'au crime !... (page 96) ? Ou, sur un sujet similaire : « Moi, quand je suis encore sous le frisson du bonheur, j'aime à retenir dans mes bras longtemps, longtemps, le petit homme qui ma l'a donné… Après les secousses de la volupté, j'ai besoin – un besoin immense, impérieux – de cette détente chaste, de cette pure étreinte, de ce baiser qui n'est plus la morsure sauvage de la chair, mais la caresse idéale de l'âme… j'ai besoin de monter de l'enfer de l'amour, de la frénésie du spasme, dans le paradis de l'extase… » (page 169) Ou encore, plus subtil et moins avouable, sis au fond même de la conscience féminine disons « historique » (en dépit des cris de scandale que pousseront quelques représentantes contemporaines d'une féminité reconstruite et ainsi désincarnée), l'appel en elle de la protectrice violence : « Mais il y a autre chose, il y a tout ce que je découvre en Joseph de nouveau et de profond… et qui me bouleverse. Ce n'est pas l'harmonie des traits, ni la pureté des lignes qui crée, pour une femme, la beauté d'un homme. C'est quelque chose de moins apparent, de moins défini… une sorte d'affinité et, si j'osais… une sorte d'atmosphère sexuelle, âcre, terrible ou grisante, dont certaines femmes subissent, même malgré elles, la forte hantise… Eh bien, Joseph dégage autour de lui cette atmosphère-là… L'autre jour, je l'ai admiré qui soulevait une barrique de vin… Il jouait avec elle ainsi qu'un enfant avec sa balle de caoutchouc. Sa force exceptionnelle, son adresse souple, le levier formidable de ses reins, l'athlétique poussée de ses épaules, tout cela m'a rendue rêveuse. L'étrange et maladive curiosité, faite de peur autant que d'attirance, qu'excite en moi l'énigme de ces louches allures, de cette bouche close, de ce regard impressionnant, se double encore de cette puissance musculaire, de cette carrure de taureau. » (page 118) Cette réussite de la volupté intérieure est un triomphe d'écrivain, particulièrement d'un écrivain mâle parvenu à s'immiscer dans des pensées de femme – c'est ce qu'après ces extraits la lectrice confirmera ou infirmera à sa guise –, parce qu'en échappant aux précédentes pudeurs « de lettres » teintes d'incompréhensions surtout misogynes, Mirbeau atteint l'essence de la féminité au lieu de l'établir uniquement comme un rapport à l'homme ou à la société – Mme Bovary par exemple est un rapport indirect, ses impressions sont toujours des transpositions caractérisées d'appris et de convenus –, en sorte que le titre même de l'ouvrage – le Journal d'une femme de chambre – est presque une tromperie ou une erreur, car ce n'est point surtout le journal d'une femme-de-chambre, mais bien davantage le journal-de-chambre d'une femme : nuance primordiale qui fait de ce récit narrativement un peu mal élaboré, je crois, un des premiers spectacles littéraires d'un être à la fois de réflexions et d'envies qui ne soit pas à destiné à se conformer surtout à un concept de femme, c'est-à-dire que la femme y est en balance constante, en lutte perpétuelle et indécidable, entre méditations et instincts – cette femme est un humain. C'est assurément, si j'y songe, ce qui confère à ce récit son caractère de profonde sensualité, d'humanité et de vitalité, de moiteur organique et vibrante, cette disposition à ne pas s'en tenir à un carnet d'édification propret avec sa thèse décontextualisée à redémontrer : où je tiens qu'une oeuvre qui sait parler complètement de la femme vraie, qui ne nie pas une partie de son sujet, qui la représente toute, quel que soit l'art de son intrigue, transmet nécessairement le désir – de l'aimer.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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Très belle écriture, chapitres courts et forme de journal, découverte de la société de l'époque et du traitement des domestiques.
Célestine, l'héroïne, a un ton très sarcastique, les personnages ne sont pas manichéens.
Fascination par Célestine de la force, du crime. Intéressant parallèle entre désir et dégout, amour et haine.

Lu dans le cadre du club de lecture d'Antastesia, j'ai très envie de lire les autres oeuvres d'Octave Mirbeau.
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