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sur 547 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Un délire de Raphaël Schlemilovitch, jeune juif fringant qui n'a pas connu la deuxième guerre mondiale mais s'en souvient. Sa mère est folle, son père absent jusqu'à ce qu'il vienne le cherche à Bordeaux à dix-huit ans. Schlemilovitch erre, se fait engager par le maquereau Levy-Vendome pour appâter et enlever de jeunes françaises des provinces, commandées par des étrangers. Il trahit, assassine, de Haute-Savoie (Annecy), en Normandie (Fougeire-Jusquiasme) jusqu'à Vienne en Autriche. Il se fait arrêter par la police, expulser vers Israël, emprisonner dans un Kibboutz disciplinaire. Se réveille à Vienne, dans la clinique de Freud, après avoir été ramassé sur les quais du Danube.
Une cure analytique : fantasmes sur la collaboration ; mélanges temporels, anachronismes.
Le premier roman publié par Patrick Modiano, en 1968. Un livre délirant, foisonnant, difficile à analyser mais on sent déjà la patte de l'auteur avec des phrases telles que celle-ci : « Avec mon père, nous allâmes boire quelques gin-fizz au Fouquet's, au Relais Plaza, au bar du Meurice, du Saint-James et d'Albany, de l'Elysée-Park, du Geoges V, du Lancaster. C'était ses provinces à lui ».
De « La Place de l'Etoile » à « La Danseuse », Que de prodiges !
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Roman haut en couleur et délirant dans lequel le narrateur juif flirte éhontément avec les figures antisémites les plus exécrables : Rebatet, Céline, Sachs, Drieu la Rochelle, auxquels il confronte Sartre et Montaigne dans un terrible méli-mélo qui noie le lecteur perdu et haletant. Est évoquée la figure du père bien sûr, ce père double-face, l'une aryenne et profiteuse, l'autre, proie juive, la première servant de couverture à la seconde. Modiano surenchérit sur l'antisémitisme pour pousser au bout son mécanisme hideux. Il règle ses comptes : juifs et non juifs rivalisant d'ignominies pulvérisent toutes les catégories.
Cette oeuvre très déroutante au style musclé est un mélange d'autobiographie et d'imprécations hallucinatoires qu'on espère salvatrices pour l'auteur.
Modiano ne s'est pas arrêté là dans la provocation, il a introduit l'art dans sa vie en bravant les barricades pour recevoir le 22 mai 1968 le prix Roger Minier à l'hôtel Meurice des mains de Morand, Chardonne, Jouhandeau, Blondin, tous écrivains de droite ( voir le livre de Pauline Dreyfus, "Le déjeuner des barricades".) Ses sentiments lors de cette cérémonie sont un mystère que je n'hésite pas à intégrer à l'oeuvre elle-même. Il reçut également en 1969 le prix Fénéon récompensant les jeunes auteurs.
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Un récit halluciné et cauchemardesque qui met à mal la chronologie (on passe constamment de l'Occupation au début des années 60), la géographie (de Tel-Aviv on se transporte à Paris sans transition), l'usage des pronoms (récit à la 1re, puis à la 3e, à la 2e personne), la cohérence de l'intrigue, les propos des personnages (plusieurs reprennent ou pastiches des phrases célèbres de Proust, Céline, Laval…).

Mais c'est surtout les identités qui sont dérangées bien sûr avec ce personnage central, un Juif antisémite et pro-nazi, qui rencontre toute une galerie de personnages du même acabit.

La violence extrême des propos surprend, entraîne et gêne tout à la fois, étonne surtout chez Modiano qui évoluera vers plus de douceur. Restent des caractéristiques déjà bien présentes: accumulation voire liste de toponymes et de patronymes, galerie de personnages louches, grimaçants et inquiétants, aux motivations opaques et incompréhensibles, vêtus avec extravagance (costumes pastels, monocles…) ou en uniformes effrayants, faisant preuve d'un enthousiasme ou d'une légèreté hors de propos, souvent à la limite du délire, maniant une ironie grinçante qui s'ajoute à celle que contiennent certaines remarques du narrateur.

Je précise que j'ai lu le texte de la première édition, je crois qu'il a été amendé par la suite, certains passages trop perturbants ayant disparu ou ayant été modifiés.
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ça y'est, j'y suis arrivée à lire un"Modiano" en entier...Comme d'autres titres de Patrick Modiano, il m'a été difficile de "rentrer" dans ce roman...J'ai trouvé cela compliqué, déroutant. Mais, après avoir lu relu le préambule, j'ai voulu mener ma lecture à son terme....Et là, j'ai mesuré le talent de l'auteur, vraiment !
En ce qui me concerne, pour lire un autre titre de Patrick Modiano, ce qu'assurément je ferai, je choisirai néanmoins le moment. En effet, ce n'est pas une évasion mais une réflexion qui nécessite bonne distance et une certaine dose de sérénité !
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L'écriture, différente de la patte habituelle du prix Nobel ordinairement si modérée et si pudique, semble être ici celle de la liminaire révolte et de la nécessaire colère d'un nouveau venu en littérature. Ce texte inaugural apparait comme une nihiliste, anticonformiste, désespérée, droitière et très bourgeoise mise à jour des odieux secrets familiaux enfouis, perdus ou oubliés. Il est une désespérée quête de soi. Raconter la collaboration semble être pour l'auteur une façon de collaborer à son tour. le personnage central se vautre dans la même abjection que le père, il se charge d'une culpabilité qui le disculpe en partie. Dans ce premier témoignage, Patrick Modiano part dans toutes les directions, il bouscule la chronologie, entremêle les destinées et les change en leur contraire. Il y a dans ces pages un réseau subtilement brouillé de temps et de lieux, de réalité et de songe ; les parcourir, revient à faire un tour dans un infâme passé parental entremêlé d'un égocentrique présent; et les situer, oblige le lecteur à d'incessants retours en arrière. le premier roman du très jeune Patrick Modiano est l'éructation furieuse, le hurlement haineux, le cri démoniaque et fou d'un très antipathique personnage : Raphaël Schlemilovitch.


Ce roman a rencontré d'emblée un grand succès et a valu à son auteur la reconnaissance immédiate de la critique. Il est une ambiguë épopée des écrivains collaborationnistes. Sa matière est tirée de la chronique familiale, des faits divers et des archives de l'occupation. La jeunesse paradoxale de Raphaël Schlemilovitch (comme celle de l'écrivain) constitue le noyau dur du roman. C'est en effet un jeune vieillard qui est au centre du récit : il semble avoir vécu les vingt ans qui ont précédé sa naissance (l'affaire Dreyfus, les années folles, le Paris de la guerre). Une série de postures filiales de Raphaël Schlemilovitch (avec le père biologique, Adrien Debigorne, le vicomte Levy-Vendôme, le colonel Aravis ou le général Tobie Cohen) compose le texte ; et un certain nombre de figures juives vient l'alimenter : le père du narrateur et Levy-Vendôme (juifs honteux), Raphaël Schlemilovitch (juif névrosé et déchiré, juif collabo, normalien et snob), Tania (juive déportée), Tobie Cohen (juif sioniste), Dreyfus, Blum, Benda … (juifs historiques).


La fabulation mythomaniaque, l'instabilité et l'hystérie narrative de Raphaël Schlemilovitch contribuent à faire de « La place de l'étoile » une parodie scandaleuse du roman antisémite, un pastiche brillant du style pamphlétaire raciste sous l'occupation (Céline, Brasillach). le roman stigmatise la judéité « m'as-tu vu », celle qui surenchérit par défi sur l'insulte. Il dénonce l'absurdité de la caricature en prétendant l'incarner. Il traverse l'humiliation par la bravade et la vulgarité assumée. L'ambiguïté de l'imagerie antijuive du roman est le plus souvent une défense contre l'agression antisémite elle-même. Elle est sans doute aussi une provocation délibérée de l'aspirant écrivain lui permettant de s'introduire par effraction dans le champ littéraire, d'y rester et de s'y maintenir durablement. L'exagération, la parodie, le procédé de l'antiphrase supposent naturellement un lecteur connivent. Quelques exemples. Toutes les figures du roman sont déterminées par le discours antisémite. le thème de la France juive ou enjuivée est actualisé par la transformation de Jean-François Des Essarts en Jean-François Levis ; le complot juif est actualisé par Levy-Vendôme, talmudiste et trafiquant, appelant au meurtre des chrétiens et prostituant la femme française. Bien des situations sont prises à contre-pied et littéralement inversées : « Vous êtes juif par conséquent vous n'avez pas le sens des affaires », ou bien amplifiées : « J'eus envie de répondre au proviseur, malheureusement, j'étais juif. Par conséquent : toujours premier en classe ».


La part juive et non juive de l'écrivain se trouvent manifestement réunies dans le personnage de Raphaël Schlemilovitch, juif antijuif et juif collabo. Ces demi-parts semblent être à l'origine de troubles identitaires. « Partout je suis le traitre. Je suis avec des garçons de mon âge, ils ne savent pas que je suis juif … enfin à moitié … alors ils racontent des histoires antisémites … et j'ai envie de les tuer … et quand je suis avec des juifs … ils se plaignent … ils sont trop juifs … vous comprenez … alors j'ai envie de les injurier … ».* le roman refuse avec véhémence la responsabilité d'un quelconque engagement et assume une haine tous azimuts. Aussi en permanence, dans « La place de l'étoile » sont instituées des équivalences improbables entre le juif, le collabo et le nazi. Quelques exemples. Schlemilovitch veut créer une Waffen-SS juive et il revêt son costume qui lui va à ravir ; il est interné dans un kibboutz et exécuté en pantalon SS par le commandant Bloch lui-même en costume de gestapiste français – les juifs deviennent responsables sous l'uniforme nazi de leur propre extermination ; l'antisémitisme et la Shoah apparaissent comme des problèmes juifs. Il faut noter que le scandale est dans ce cas heureusement neutralisé en faisant fonctionner les paradigmes de la jeunesse et du ludisme, de la judéité et de la colère : « J'étais un vrai jeune homme avec des colères et des passions ». Raphaël Schlemilovitch sous l'étendard de la jeunesse et de la colère peut vendre sans déchoir sa plume à l'extrême droite pour se perdre dans un labyrinthe de passion et de colère judéo-français ; il peut invectiver les goys à gauche et à droite, les accuser d'être des antisémites maladroits (Brasillach), des négateurs de l'identité juive (Sartre) ; il peut s'en prendre à Israël dont l'oeuvre de régénération de la race est décrite comme récupération de l'idéal fasciste européen. Tout sera pardonné en cette veille de mai 1968 au jeune écrivain : humour de droite, attachement anti sartrien des Hussards, haine et intolérance … Modiano est devenu soudain, utilement, avec la parution de "La place de l'étoile", celui qui se souvient du passé.

* Bernard Pivot, « Demi-juif, Patrick Modiano affirme : « Céline était un véritable écrivain juif », Le Figaro littéraire, 29 avril 1968.
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Le livre qui pose d'emblée les bases de l'oeuvre à venir , même si sa forme kaléidoscopique le rend tout à fait original au sein de la bibliographie modianesque
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Le premier livre de Patrick Modiano est déroutant à souhait, tant il prend à contre-pied le lecteur, qui se demande où l'auteur veut l'emmener. Certaines pages mettent vraiment mal à l'aise, mais justement n'est-ce pas le but, car comment se sentir confortable avec tous les personnages mis en scène, au sommet de l'antisémitisme.

Très très loin de la douce légèreté de son dernier "Souvenirs dormants".

Attendons le prochain dans quelques jours

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Pas facile d'entrer dans ce roman fou, grave, drôle, profond, déjanté, désespéré, léger, terrifiant... Les 200 pages pourraient lasser au bout d'un moment, quand on en a compris le principe. Plusieurs passages sont un régal de drôlerie cynique. J'ai aimé la rencontre avec le père, cette complicité immédiate exempte de tout ressentiment et tout reproche, cette distance bravache lorsqu'ils repartent chacun de leur côté. Les personnages historiques et les auteurs de la littérature française peuplent l'histoire comme une multitude de figurants ou de seconds rôles. Modiano nous jette à la figure tout à la fois la difficulté d'être juif, la cruauté des hommes et son amour de la culture française.
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La place de l'Étoile est un singulier roman. Récit surréaliste et halluciné, il fait l'objet d'une dérive parfaitement maîtrisée entre plusieurs eaux tumultueuses : les styles alternent, le narrateur passe du je, au tu, revient au il et passe même parfois par le nous ! Les époques et les lieux se mélangent, la fiction se superpose à la réalité, le fantasme à l'histoire mais tout concourt à nous dresser un stupéfiant portrait fantasmé du juif errant au sortir de la seconde guerre mondiale.
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Le récit est construit avec de nombreux sauts dans le temps et dans l'espace ce qui en rend la lecture assez déconcertante au démarrage. Une fois que l'on a compris que tout ceci n'était qu'une farce noire mêlant réalité et imagination, on apprécie pleinement le roman. Avec ce premier livre, Modiano inaugurait son oeuvre centrée sur la guerre, la collaboration et la shoah. Dans cet ouvrage inaugural, il cite à plusieurs reprises Kafka et les Marx Brothers. Ces deux références résument bien l'esprit du roman qui se situe à mi-chemin entre ces deux univers, absurde, désespéré et drôle à la fois. Si on sort des références littéraires, j'ajouterai qu'on n'est pas loin non plus de l'univers de Tarantino dans Inglorious Basterds ou celui du Nazi Rock de Serge Gainsbourg.
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