Berthe, qui ne s'appelle pas Berthe en fait mais plutôt Mélanie, bien que son nom ne soit jamais prononcé, on le devine car elle parle de son origine, du grec « melanos » qui veut dire « noir ».
Noire en effet est la vie de cette fille au chômage à qui on a retiré son enfant et qui a appris à jouer la comédie de la vie devant les responsables administratifs, la dame chez qui l'enfant est placé et qui porte sur elle un jugement perceptible au départ puis qui se traduit par de l'indifférence. Berthe joue aussi la comédie devant son amant occasionnel, devant les hommes qui l'entraînent vers plus de misère. Elle joue à la dure, à l'expérimentée mais au-dedans – car il s'agit pour le lecteur de suivre sa vie intérieure comme un courant de mauvaise conscience – elle préfère repousser les échéances, s'empêcher de penser, pour ne pas craquer, pour ignorer cette vie étriquée et sinistre. de même, elle préfère ne pas voir son enfant et repousse à chaque fois les moments où elle doit le rencontrer. Ce que la gardienne prend pour de la négligence qui la fait passer pour une mauvaise mère est en fait un amour infini de son fils qu'elle préfère voir loin de sa propre misère à elle.
Le narrateur utilise le « tu » comme si le personnage se parlait à lui-même et en formait deux, le « vrai », ce qu'elle est réellement et le rôle qu'elle s'est attribué dans la vie ordinaire, au milieu de cette petite ville dont les uniques points de rendez-vous sont le parking du supermarché et son bar de « l'Avenir » dont la devise est inscrite au néon à l'intérieur : « l'avenir appartient à ceux qui se couchent tard. » L'auteur a choisi la phrase très courte et essentielle, comme survie du langage aussi. Et, cerise, sur le gâteau, la fin me semble très travaillée et soignée.
Encore un livre triste et beau.
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« Toto perpendiculaire au monde » d'Antoine Mouton,
Parution le 3 mars 2022