Livre reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.
Il est des hasards qui font parfois mal les choses. D'autres mettraient ça sur le compte du fameux effet papillon, une chose en entraînant une autre, et ainsi de suite jusqu'à ce que, d'un événement infime, l'on parvienne à quelque chose d'énorme, de monstrueux. Ainsi d'une banale panne mécanique, qui force un jeune homme, Louis, à rebrousser chemin pour demander de l'aide. de garagiste, il n'y a plus, et d'aide il n'y a point, alors Louis dort dans le petit hôtel local, en attendant de repartir le lendemain. le lendemain, entre le café et le croissant, Louis rencontre Gontran, un bon samaritain, qui se propose de le déposer à quelques kilomètres, puisque c'est là que va Louis, pour retrouver son père dans un cabanon perdu dans la forêt. La route, cependant, s'arrête brusquement : les fortes pluies ont provoqué des éboulis - un
clapas, littéralement -, et au lieu de faire demi-tour, Louis, Gontran, ainsi que les passagers du bus qui les précédait décident de tenter l'aventure, droit devant. Sur la départementale, un pick-up s'arrête, les prend en stop, fait un détour par la ferme des propriétaires pour dépecer un sanglier. L'engrenage est enclenché.
La couverture, sans doute, annonce la couleur : un ciel sombre, un environnement rugueux entre roches à nu et forêt, et des personnages isolés qu'écrase une suite d'événements qu'ils ne maîtrisent pas. le récit d'
Isao Moutte apparaît comme un thriller à la narration bien maîtrisée et efficacement rythmée. Après avoir planté le décor - géographique, avec cette Drôme provençale et dont les reliefs annoncent les Alpes - et présenté les personnages - centrés autour de Louis, apparaissent Alice, jeune femme qui pratique la randonnée en solo, Gontran, qui part pour un road-trip en Italie du Nord, le chauffeur du bus ainsi qu'un frère et une soeur qu'attendent des parents probablement inquiets -, l'auteur introduit un élément perturbateur - la mort imprévue de l'ancienne bru de la famille, assassinée par la matrone, Maryse - qui va placer les sympathiques naufragés de la route sur la liste des témoins gênants à éliminer. Planche après planche, l'ambiance épaissit, inquiète, et l'apparente hospitalité de cette femme, avec laquelle vit ses trois grands enfants, ne fait pas illusion. S'il est très vite acquis que tous ne s'en sortiront pas vivants, la question se pose de savoir si l'un d'entre eux y parviendra. D'autant que, dans le tourbillon des événements, ceux qui parviennent à prendre la fuite retournent, hélas, à leur point de départ, dans les griffes de ce monstre à quatre têtes.
Pour réussir son premier récit,
Isao Moutte use d'ingrédients certes classiques, mais avec une certaine maîtrise. le cadre rural, par exemple, cette région semi montagneuse, concourt à la sensation d'isolement physique, que ne vient pas contredire la fête de village dans laquelle se regroupe une société fermée, hostile par nature aux étrangers. Dans cet isolement, et comme dans une poupée gigogne, la ferme de Maryse ressemble à un lieu de perdition : géographique, bien-sûr, et morale. le fait que les personnages, malgré eux, y reviennent, donnent un caractère inéluctable à la fin qui leur est promise. Enfin, les personnages cibles, traquées comme des bêtes sauvages par Maryse et ses enfants, sont aisément identifiables comme des personnes lambda ; rien de ce qui leur arrive ne leur est familier, et leurs réactions ne sont dictées que par l'instinct de survie.
Clapas est donc un bon thriller. Son découpage et sa mise en scène particulièrement cinématographiques, ainsi qu'un dessin détaillé et expressif, finissent d'embarquer le lecteur dans un moment dont il est difficile de se détacher avant d'en connaître la fin. Mais, bande-dessinée d'action et de suspense,
Clapas manque peut-être un peu de profondeur, d'un thème sous-jacent qu'un tel récit aurait pu traiter. de certains personnages, somme toute sympathiques, qui disparaissent assez vite, on ne retient presque rien. de la même façon, les dialogues visant à expliquer les raisons du ressentiment de Maryse et de ses fils pour l'ancienne bru paraissent quelque peu forcés, et perturbent le réalisme de la scène. Enfin, certaines attitudes, si elles sont justifiées d'un point de vue de la narration - par exemple, le revirement final d'un des personnages -, suscitent une moue interrogative. le plaisir n'est pourtant pas feint de lire cette bande-dessinée comme on voit un film : en se laissant guider, en se laissant effrayer.