J'avais cessé de nommer. J'étais le lieu seulement comme d'une avancée végétale. La proie d'un moutonnement vert, argenté sur ses crêtes par les jeunes feuilles, et qui venait à moi, en marche vers moi. Il n'y avait colline ni pente ni prairie ni bocage. Une masse fluide coulait vers moi, m'immergeant lentement.
La fine pluie qui se déplaçait en nuages bas, de l'est, en abolissant tout recul de quelque importance, en noyant les confins, même proches, rendait d'autant plus immédiat et instant ce qui m'entourait. La tiédeur humide de l'air accusait encore la continuité, le continu, mettait tout en contact. Une lumière irréelle, opaline et dorée, baignait, c'est bien le mot, toutes choses.
Je fus un temps sous l'effet de cette instance en marche, sans nommer, ni presque percevoir. En proie seulement. Envahi. Bienheureux. Délivré. N'étant pas plus, mais cela. Et de la sorte venant moi-même à moi comme du dehors, me rejoignant peu à peu.
Quand ce fut fini, quand j'eus en quelque sorte regagné mes limites, mes fonds, quand de nouveau je me reconnus, je reconnus aussi ce qui était venu... et qui s'était évanoui.
Narcisse meurt au bord de la fontaine. Sa beauté est privation. Narcisse n'en jouit pas, justement parce qu'elle est sienne. Mais ce qu'il est lui-même, il voudrait qu'un autre le soit afin de pouvoir l'aimer.
Narcisse souhaite se dépouiller de ce qu'il est, afin de pouvoir aimer. Il est par force ouvert. La souffrance de Narcisse, c'est qu'on ne peut s'ouvrir à soi.
La pensée pense. Elle ne fait rien de plus quoi qu'on imagine. Elle ne pénètre pas le réel. Simplement, elle le pense. Comme d'autres modes d'approche le racontent, lui font écho sur la toile ou le calculent...
Il y a une part en toi que tu n'habites pas. Rien d'autre à reconnaître que cette part en toi que tu n'habites pas.
Le monde, quand je le pense, est le monde où je ne suis pas.