Je la contemplais, muet, comme si javais sous les yeux un instrument de précision extrêmement rare dont j'aurai entendu vanter les mérites sans l'avoir jamais vu. C'était bien elle, c'était Shimamoto-san
"Il y a des choses dans la vie qu'on peut changer et d'autres non. Le temps, par exemple, est irrattrapable. Il est impossible de revenir sur le passé."
Quand on ne réfléchit qu'au moyen de gagner de l'argent, (...), la vie s'use avant qu'on ait le temps de s'en rendre compte.
Un léger sourire s'était mis à flotter au coin de ses lèvres, comme une petite fumée qui monte tranquillement par un jour sans vent.
Abandonnant l'espoir d'être un jour quelqu'un de spécial, je devins un être ordinaire.
Je n'arrivais plus à étudier le fond de la question. Le fil de mes pensées s'était coupé sans bruit.
Shimamoto-san se taisait toujours.
- Tu es là, poursuivis-je. Tu as l'air d'être là. Mais qui sait si tu es là en réalité ; c'est seulement ton ombre. Le véritable « toi » est peut-être ailleurs. Peut-être même qu'il a disparu il y a longtemps. Je finis par ne plus rien y comprendre. Même quand je tends la main pour vérifier si tu es vraiment là, tu te dissimules derrière tes formules magiques : « peut-être », « quelque temps ». Tu crois que ça va durer longtemps comme ça ?
- Quelque peu. Entre-temps.
Je souris.
p.210
J'étais plus jeune, plus affamé, plus solitaire que maintenant. Mais j'étais vraiment moi-même. A cette époque, je ressentais en profondeur chaque note de la musique que j'écoutais, chaque ligne des livres que je lisais, comme si elle pénétraient intimement en moi.
La principale différence entre nous était qu'elle avait davantage conscience que moi de s'envelopper d'une carapace pour se protéger du monde extérieur. (...) En d'autres termes, le mur défensif qu'elle avait construit autour d'elle était bien plus haut et plus solide que le mien. Mais ce qui se trouvait derrière ce mur était étonnamment semblable à ce qui existait en moi.
Une chose ne tourne pas rond, dérape et en entraîne une autre dans un domaine différent. Et tout continue à aller mal, sans fin. On a beau se débattre, on ne peut plus ressortir du trou. Jusqu'à ce que quelqu'un survienne et vous hisse à la surface.