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sur 800 notes
Aujourd'hui je vois : journée de la femme. Il est même précisé quelque part, journée " internationale " de la femme. Va pour l'internationale. Japonaise, ça pourrait aller ? Haruki Murakami aux commandes, ça va toujours ? Ok, c'est parti.

Une femme. Comme des milliers — millions peut-être — d'autres femmes. Asservie plus ou moins volontaire à un rythme métro-boulot-dodo mais sans le métro et sans le boulot. Un mari magnanime. C'est pire encore parce qu'on se sent redevable de quelque chose quand on ne nous impose rien. Il va rentrer, vite, vite préparer le repas. Aïe ! c'est bientôt l'heure d'aller chercher le fiston à l'école, faut encore se dépêcher.

La maison est tout en bazar, qui va devoir ranger ? Il n'y a plus rien à manger, qui va devoir faire les courses ? Plus personne n'a quoi que ce soit à se mettre, qui va se coller à la lessive ? Et c'est ainsi que des milliers — des millions peut-être — de femmes Sisyphe roulent le rocher de leur quotidien du matin jusqu'au soir en haut de cette colline sans horizon qu'on nomme pompeusement leur vie. Des femmes rendues petites et noires par cette existence, comparable à des milliers — des millions peut-être — de bousiers laborieux qui roulent leur pilule de merde en marche arrière sans oublier d'y déposer leurs oeufs afin de les inscrire dans la danse comme dans un tambour de machine à laver et dont on ressortira toute propre, prête à salir avant un nouvel usage…

Cette vie, des milliers — des millions peut-être — de femmes la connaissent de par le monde. Pas de statut officiel sinon " femme de ", " mère de ", préposée aux corvées quotidiennes et inintéressantes au possible. Mais cette femme, là, celle de Murakami, va connaître une déveine : l'insomnie. La nuit blanche, blanche de chez blanche. Pas moyen de fermer l'oeil. Que faire ? Ouvrir un livre ? Pourquoi pas ?

Anna Karénine, un gros pavé, dans l'espoir qu'il vous assomme. Mais non, ma p'tite dame, c'est bien mal connaître notre bon vieux Tolstoï car loin de vous endormir, il va vous happer, vous extraire, vous sublimer. N'espérez pas dormir ma p'tite dame. Tiens ! c'est bizarre, la nuit est passée, et l'on n'a rien senti. Si au contraire, on s'est senti très bien, on voudrait que cela dure toujours.

La journée s'écoule comme toutes les autres. On se dit qu'on va sombrer, qu'on va tomber de fatigue. Mais non, tout va très bien. On a même méchamment envie de poursuivre la lecture qui s'avère captivante au-delà de toutes espérances. Le soir arrive et l'on n'a toujours pas sommeil. Et on continue à lire, et personne ne se rend compte de rien. Sauf que la bonniche vient d'avoir quelques heures de vie à elle, rien qu'à elle, et ça lui fait un bien fou de se sentir " elle ", et non juste " femme de ", " mère de ".

Cette déveine qu'est l'insomnie pour ceux qui vivent le jour devient une sorte de paradis pour ceux qui justement n'ont pas de vie le jour. Voilà une femme qui s'ouvre à la vie, qui fendille un petit peu la coquille dans laquelle elle est enfermée quand la vie des autres s'assoupit. Dix-sept jours que ça dure. Est-ce que ça durera toujours ? Ça, ce sera à vous d'aller le lire, la nuit, quand tout le monde dort, mesdames.

En somme, une grande nouvelle de Murakami pas inintéressante, pas non plus spécialement captivante de mon point de vue mais qui pose certaines questions essentielles et laisse à chacun le soin d'y trouver sa propre réponse ou sa propre interprétation en se gardant bien de trop orienter le lecteur. le tout joliment illustré par Kat Menschlik dans un livre à la présentation soignée des éditions 10/18. Ça vaut sans doute le coup de s'offrir une nuit blanche pour le lire, mais ce n'est qu'un avis, qui bâille avant d'aller se coucher, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Et me voilà repartie avec Murakami.
Il faut dire qu'en commentaire de mon retour sur L'étrange bibliothèque, ma Sandrinette m'a dit que c'était le dernier d'une trilogie (pas taper, Éric, j'ignorais ce fait...);
Je devais donc réparer cette horrible erreur en lisant le premier, Sommeil, donc.
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Il est dit en 4e de couverture que c'est l'une des nouvelles les plus enigmatiques de Haruki Murakami. Vu la clarté de ses autres écrits, j'étais un peu perplexe.
C'est en effet un peu la patte de l'auteur, si je ne m'abuse.
Encore une fois, rêve, réalité, paranormal, tout se mélange dans ce récit.
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Les illustrations sont sublimes, ce qui ne gâche rien. Je ne parlerai pas de la couverture, étant loin d'être amatrice de ces petites bêtes...
Chacun ses phobies. :)
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J'ai encore peu lu l'auteur, et c'est la première fois que j'ai droit à une narratrice.
Après VOX, où les femmes sont quasiment muselées, je me suis retrouvée dans le quotidien d'une femme au foyer.
Allez savoir pouquoi j'ai fait une sorte de rapprochement, dans Sommeil c'est la vraie vie de certaines femmes, pas de l'anticipation ou de la S.F.
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La vie du personnage principal, c'est la routine.
Femme d'un dentiste, mère d'un garçonnet, pour le reste... Oups, pardon, il n'y a pas de reste.
Cuisine, courses, ménage, s'occuper de mari et enfants, etc., même quand on travaille beaucoup le font aussi.
Mais je digresse.
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Un beau jour, enfin plutôt une nuit, l'héroïne ne dort pas, et cela dure pendant 17 jours.
Ce n'est pas de l'insomnie, elle ne se traîne pas en mode épuisée, elle n'a pas sommeil. Mais elle est en pleine forme.
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Alors elle qui avait abandonné un loisir qu'elle adorait, la lecture, voit soudain Anna Karénine dans la bibliothèque, s'en empare et se met à lire.
Pour elle, pour se sentir vivante.
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Encore une fois, un très bon Murakami.
Si vous ne l'avez pas lu, foncez. de plus, il est très court.
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Esthétiquement, ce livre est un bijou : papier glacé et magnifiques illustrations dans les tons bleu nuit, argent et blanc. Haruki Murakami m'a fait vivre les dix-sept nuits de totale insomnie d'une femme de trente ans, épouse d'un dentiste et mère d'un petit garçon tous deux inconscients de ce qu'elle ne dort plus du tout, une fois endormis, rien de peut les réveiller. C'est un cauchemar qui déclenche sa première nuit sans sommeil. Une histoire dont j'était impatiente de connaître le dénouement mais Haruki Murakami m'a surpris par une fin inachevée, à moi de l'imaginer.

Challenge Petits plaisirs 2016
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Au-delà d'être un texte d'Haruki Murakami, c'est en premier lieu l'objet livre qui est attirant dans « Sommeil ».
Les éditions 10/18 ont en effet orné cette nouvelle du grand auteur japonais, d'un très bel écrin aux couleurs nocturnes. Sur un support de papier glacé épais, doux et lisse, l'histoire s'inscrit à l'encre bleue et se pare de très belles illustrations signées par la dessinatrice indépendante allemande Kat Menschik.
Celle-ci, peu connue en France mais célèbre en Allemagne pour ses prouesses en arts graphiques et sa maison d'édition « Millionen », a cerné à merveille l'univers trouble et insolite de Murakami, illustrant lumineusement, par des dessins élégants déclinés dans les tons de bleu-nuit et d'argent, cette histoire ensorcelante de vie et d'insomnie.

La narratrice de « Sommeil » est une trentenaire à la vie bien ordonnée. Femme de dentiste, mère d'un petit garçon, ses journées se déroulent selon un schéma des plus répétitifs : tâches ménagères, préparation des repas, courses au supermarché, un peu de natation, quelques sorties…
Une existence confortable, sans heurt ni anicroche, qui la satisfait sans toutefois la combler pleinement. Une vie dont elle aurait pu « intervertir sans aucun inconvénient la veille et l'avant-veille. »
Un incident troublant va cependant changer radicalement les choses.
Une nuit, au terme d'un cauchemar extrêmement terrifiant, la jeune femme cesse de dormir.
Le besoin vital de sommeil et d'endormissement propre à tout être humain, a chez elle complètement disparu.
Mais loin de ressentir les affres de l'insomnie, elle se sent au contraire au mieux de sa forme, n'est nullement fatiguée, ni l'esprit somnolent.
Nuits sans repos qu'elle s'emploie à combler tout d'abord par la lecture, une activité dont elle était fervente mais qu'elle avait abandonnée en se mariant. La redécouverte des oeuvres classiques russes de Tolstoï, de Dostoïevski, lui procure un état de bonheur et d'excitation qu'elle n'avait plus ressenti depuis longtemps.

Cette période sans sommeil va durer 17 nuits.
17 nuits pendant lesquelles sa conscience s'éveille, se clarifie, son esprit navigant entre les obligations que lui impose la réalité et qu'elle accomplit mécaniquement, et la liberté - la seconde vie - que lui offre ce temps remporté sur la nuit.
Elle s'aperçoit enfin du vide de son existence, son mari et son fils lui deviennent de plus en plus étrangers…le changement d'abord subtil qui s'opérait en elle, s'amplifie au fil des jours.
Mais une vie sans sommeil ne risque-t-elle pas de détruire les fondements même de l'existence ? A trop vouloir scruter « les ténèbres éveillées », ne risque-t-on pas de s'y laisser engloutir?

Avec « Sommeil », une nouvelle datant des années 1990, Haruki Murakami nous ouvre une fois encore les portes de son imaginaire si fécond et subtil.
Et de nouveau, l'auteur japonais nous fait sortir du cadre de la normalité par ce petit quelque chose qui vient hanter le réel, s'inviter dans le tangible et se loger tout au bord du concret et du matériel.
L'emploi du fantastique (le mystère entourant l'insomnie de la narratrice) se fait ici de façon beaucoup plus ténue que dans les autres fictions de l'auteur. Il ne sert qu'à dégager la conscience des habitudes quotidiennes qui l'ont jusque-là étouffée et bridée. La narratrice, grâce à cette expérience de nuits sans sommeil, va ainsi être amenée à désentraver son esprit de toutes les chaînes que le réel lui avait jusqu'ici imposé. « C'était mon vrai moi qui se révélait. En arrêtant de dormir, j'avais élargi ma conscience ». Comme souvent chez Murakami, l'éveil de la conscience est essentiel et cette quête de soi passe avant tout par l'attention portée à la lecture.
Mais cette révélation d'un nouveau moi est généralement liée à l'idée de mort. Mort effective, physique, ou mort spirituelle, « l'éveil » ne s'épanouit que dans une forme de trépas, au monde et à soi, un adieu à la réalité telle qu'elle était conçue auparavant.
Cette jeune femme dont Murakami ne dévoile pas le nom, représentée volontairement avec un certain détachement dans ses actions et dans ses émotions afin de permettre l'identification du lecteur, symbolise avant tout notre propre rapport à ce réel prosaïque qui nous sangle dans les tendances comportementales de nos vies étroites, un vide existentiel duquel la littérature, fort heureusement, parvient bien souvent à nous libérer.
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A la première personne, une femme anone son quotidien, répétitif, ennuyeux mais pas dramatique, entre ménage, les heures ponctuées du déjeuner pour le mari, du goûter de son fils, et elle-même répète : « Nous nous en sommes sortis, nous avons réussi à survivre dans ce monde sans pitié » (p 14 et 16),
Une nuit, pourtant, elle fait un cauchemar, se réveille…. et ne peut plus se rendormir… pendant dix-sept nuits et dix-sept jours.
Au contraire de l'insomnie, qu'elle avait expérimentée quand elle était à l'université, manque de sommeil qui l'avait laissée à moitié morte durant le jour, le fait de ne plus dormir la fait revivre.
Elle qui lisait « de temps en temps », s'était aperçue assez vite qu'elle s'endormait au lieu de lire, et en « un rien de temps », s'était habituée à ne plus lire.
Alors, le temps gagné quand elle ne dort plus lui fait retrouver maintenant une vieille lecture, Anna Karénine, dont elle lit des dizaines de fois l'histoire.
En buvant du cognac et mangeant du chocolat.
A l'inverse d'Anna, celle qui avoue à son mari qu'elle l'a trompée, notre héroïne n'avoue rien à son mari, qui lui, de son côté, ne remarque rien, ni qu'elle sort du lit quand il dort, ni qu'elle change, parce que, forcément, elle a changé (en mieux, dit-elle, elle pète la forme tout le jour, remplit ses taches ménagères, tellement ennuyeuses qu'elle n'a pas besoin de beaucoup de concentration…)
La répétition des actes de tous les jours restent ce qu'ils sont, ennuyeuse, mais elle sent par ailleurs un agrandissement, un enrichissement progressif et une joie de plus en en plus grande, un élargissement de sa conscience.
Ma vie n'appartient qu'à moi, c'est ma vie, dit-elle.
Son temps, ce temps un peu endormi à se perdre dans l'inutile, se double d'un temps précieux, et elle ne veut plus dormir. C'est un choix, elle y gagne.
Et même si dormir signifiait se réparer des usures du temps, elle n'a que faire de cette répétition du sommeil chaque nuit, perdre sa vie en dormant.
Génial, puisque Murakami pose le problème du temps perdu dans les actes anodins, au détriment de la concentration nécessaire pour lire et relire par exemple Tolstoï, où chaque fois elle redécouvre un message différent chaque fois : « Comme une série de boites, chaque monde en contenait un autre plus petit, et ainsi à l'infini. Et, tous ensemble, ces mondes formaient un univers entier, et cet univers était là, attendant d'être découvert par la lecture ».
Elle répète le même livre, mais c'est à chaque fois un recommencement.
Et se demande pourquoi vivre, quel sens y a-t-il à donner à cette famille dont elle découvre le côté insupportable.
Continuer, pourquoi ?
L'autre existence possible, jour et nuit, jusqu'à la fin digne d'une nouvelle où tout est possible, et rien affirmé, c'est à nous d'utiliser nos neurones pour l'imaginer : ou elle s'en sort, et se remet à dormir, ou elle s'en sort, et continue à ne pas dormir, ou elle ne s'en sort pas, mais de toute façon elle avait envisagé être sans doute morte sans que son entourage s'en soit rendu compte.

Pour moi, la vraie fin de ce conte génial, c'est quand je lis deux chroniques coup sur coup, de @nicolak, Nicky et de @hundredreams, Sandrine, et que je vois apparaitre dans ma bibliothèque le museau d'une couverture noire avec incrustations argent, et des illustrations de Kat Menschik. Génial, je n'ai pas peur de me répéter.
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Mon premier Murakami. C'est l'histoire d'une femme qui arrête de dormir et redécouvre sa passion pour la littérature russe, le cognac et le chocolat. Ce dernier a un goût d'interdit pour une femme mariée à un dentiste.

Au fil de ses journées et de ses nuits sans dormir, elle nous dévoile sa routine qu'elle agrémente de réflexions sur sa vie, son mari, son fils. le manque de sommeil, bien loin de la fatiguer, semble doper sa conscience et l'aiguiser au plus haut point. Dans un style simple et délicat, sans prétention ni affectation, Murakami dresse un cheminement mental, à la première personne, de cette mère de famille, brillant, au ton juste, avec des réflexions sur lesquelles n'importe qui peut être amené à cogiter au moins une fois dans sa vie. Il me semble néanmoins que cette femme de trente ans ressent ce que beaucoup éprouveraient plutôt vers quarante.

Les dessins approfondissent et magnifient l'histoire, lui confèrent un côté onirique. C'est étrange, d'ailleurs : une sorte d'atmosphère d'onirisme de l'insomnie chez une femme qui éprouve un état de pleine conscience. L'auteur et l'illustrateur ont concouru ici à une belle oeuvre : rendre palpable un état d'esprit difficile à cerner et à définir.

Si vous ne l'avez pas lu, ne dévoilez pas ce qui suit : cela pourrait gâter votre lecture.


C'est donc mon premier Murakami et ce ne sera pas le dernier. Qui plus est, il me rappelle à quel point il est urgent que je découvre Anna Karénine. J'ai le sentiment de m'être laissé envelopper par cette histoire et de n'en avoir pris conscience qu'au moment d'en sortir. Elle ne me lâche pas, comme si elle s'était incorporée en moi. C'est à la fois très étrange, un peu effrayant, mais agréable et engourdissant.
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Ni une somnolence, ni un sommeil léger et encore moins un sommeil profond ou paradoxal, « Sommeil » d'Haruki Murakami est bien étrange.
Une nuit de pleine lune où habituellement Morphée n'est pas très accueillant, ce petit livre très agréable au toucher est une aubaine, un excellent dérivatif à des bâillements sans fin.

Une jeune maman au foyer perd le sommeil à la suite d'un cauchemar et raconte son insomnie de 17 jours que l'on à peine à imaginer tant la durée dépasse l'entendement. Personne, pas même son mari, ne s'aperçoit qu'elle ne dort plus d'autant qu'elle se garde bien de consulter un médecin.
Sa vie au quotidien, jusque là routinière, est bien sûr profondément perturbée.
Le lecteur, tout d'abord intrigué puis peu à peu captivé par la chronologie de cet état d'éveil permanent, se demande au fil des pages si une telle insomnie n'est pas le signe avant coureur de la folie.

Cette nouvelle très courte se lit en à peine plus d'une heure, l'auteur a bien fait les choses, comme s'il voulait éviter le moindre bâillement à ses lecteurs.
Souvent chez Murakami le réel et l'imaginaire se chevauchent, le rêve n'est jamais bien loin…

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Après les couloirs sinueux de « l'étrange bibliothèque », « Sommeil », m'a fait voyager dans un autre monde labyrinthique, celui des nuits sans sommeil.

*
Haruki Murakami n'a pas son pareil pour décrire un quotidien banal et mélancolique traversé d'étrangeté, de surréalisme et de mystère.
Ici, il raconte l'histoire d'une jeune trentenaire qui pour une raison inexpliquée, va vivre une expérience insolite : à la suite d'un rêve étrange, elle cesse tout simplement de dormir.

« Je me suis réveillée brusquement, en sursaut, comme si quelque chose m'avait arrachée au sommeil à l'instant le plus dangereux, le plus effrayant du rêve, au point de non-retour… comme si j'étais allongée, seule, au fond d'une grotte. »

Elle va restée éveillée pendant dix-sept jours et dix-sept nuits.
Sans jamais ressentir le manque de sommeil.
Sans que jamais personne ne s'en rende compte. Ni son mari, ni son fils.
La dix-septième nuit marquera une fin. Mais laquelle ?

Sans même s'en rendre compte, je me suis laissée surprendre et piéger dans la toile narrative que l'auteur tisse avec finesse et élégance.

*
Sa vie quotidienne est d'une monotonie affligeante et d'une solitude extrême : en journée, cette femme au foyer vaque à ses occupations familiales. Mais pendant ses nuits blanches, alors que tout sa famille dort, elle retrouve les plaisirs simples d'autrefois : elle se verse un verre de cognac, mange du chocolat tout en lisant et relisant Anna Karénine.

"… désormais tout ce temps m'appartenait. À moi et à personne d'autre. Rien qu'à moi. Et je pouvais l'utiliser comme je l'entendais. Personne ne viendrait me déranger. C'était un agrandissement de ma vie. Ma vie s'était agrandie d'un tiers."

Les seuls moments où elle semble revenir à la réalité est lorsqu'elle regarde son mari et son enfant dormir. C'est alors qu'elle se rend compte de l'enfermement dans lequel elle a doucement glissé au fil des années.

*
Haruki Murakami a sûrement dû se documenter sur le sommeil et le rêve.
Il exploite superbement leur fonction défensive et leur rôle de régulateur : il décrit d'une façon subtile les conflits intérieurs de la jeune femme qui s'est perdue dans une vie maritale insipide et insatisfaisante, faisant ressortir ses peurs, ses angoisses et ses désirs.

L'auteur évoque les expériences menées par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, privant de sommeil les prisonniers pour en voir les effets. Pourtant l'absence de sommeil n'inquiète pas la jeune femme et ne semble pas peser sur sa santé physique et mentale.

*
Tout doucement enchaînée à cette histoire et cet univers complexe dans lequel il est facile de s'égarer, je me suis interrogée sur le sens de ce texte avant d'écrire ce billet. Car, en plongeant dans les mécanismes du rêve, l'auteur nous entraîne dans son langage onirique et symbolique. Il nous invite également à réfléchir sur la nature de la réalité et du rêve, de la conscience et de l'inconscient, des conflits intimes et de l'harmonie entre le corps et l'esprit.

Le mystère qui entoure ces nuits blanches étend le champ des interprétations possibles. La fin ouverte et totalement inexpliquée m'a frustrée, mais après mûre réflexion, je trouve qu'elle laisse les lecteurs libres d'interpréter à leur façon les dernières pages de ce récit.

« Comme une série de boîtes, chaque monde en contenait un autre plus petit, et ainsi à l'infini. Et, tous ensemble, ces mondes formaient un univers entier, et cet univers était là, attendant d'être découvert par le lecteur. »

Sommes-nous dans les rêves et l'inconscient de la jeune femme, l'auteur décortiquant ses peurs les plus intimes ?
Sommes-nous au contraire dans une réalité qui se fragilise et se fendille, s'efface lentement et disparaît, l'auteur nous emportant aux frontières de la raison ?
Est-elle insomniaque ? Ou bien, vit-elle dans un rêve éveillé ?
En connaissant le destin d'Anna Karénine, faut-il voir dans le choix de ce roman un autre message, une nouvelle piste de réflexion ?

*
J'aime les beaux livres, j'y suis très sensible.
Les éditeurs ont porté une attention particulière à l'objet-livre. En effet, le récit est enrichi des magnifiques illustrations aux couleurs sombres et argentées de Kat Menschik. Elles sont à l'image du texte, poétiques et oniriques, chargées de symboles, totalement en symbiose avec l'écriture et l'atmosphère irréelle, sombre et envoûtante de cette nouvelle.

*
Pour conclure, même si l'épilogue m'a au départ déstabilisée et même un peu déçue, je suis à nouveau charmée par le monde instable, flottant et métaphorique de Haruki Murakami : l'auteur laisse en effet des portes ouvertes pour que le lecteur puisse parcourir les sinuosités et les recoins de l'âme humaine tout en redessinant à sa guise la réalité qui échappe à toute logique.
Une nouvelle de 80 pages surprenante à découvrir … par une nuit d'insomnie.
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Voilà dix-sept nuits que je ne dors plus. L'oreiller est crevé, j'ai du rêver trop fort.
Dix-sept nuits, dix-sept ans, peu importe, au bout d'un moment je m'y suis habitué. Après tout, ce n'est pas la fin des temps.
Alors les yeux rivés sur la lézarde du plafond, je me lève, vais au salon, me sert un verre de cognac.
Y'a une lune dans ma rue, et je n'ai pas sommeil. Alors je prends un livre, un peu au hasard, sur une étagère de ma bibliothèque. J'en prend un gros, celui qui en temps normal me tomberait des mains, mais là j'ai toute la nuit. Tolstoï, Anna Karénine.

Le soleil se réveille lentement de son sommeil. Lui a pu s'apaiser quelques heures avant de retrouver de l'éclat. Et la routine du quotidien reprend vie, le gosse, les courses, le repas. Vivement la prochaine nuit. Que je me remette à vivre, ou à lire. Vivement la prochaine lune, que je passe une nouvelle nuit avec Anna Karénine. Mais avant, il faut ABSOLUMENT que j'aille acheter une nouvelle bouteille de cognac.

Être ainsi éveillé la nuit éveillerait-il ma conscience ? Celle qui consiste à voir que ma vie est absolument vide, celle qui permet de sonder la profondeur des ténèbres. Mais à trop vouloir s'y enfoncer, arriverai-je à sortir un jour de la nuit de ces ténèbres, pousser un cri de frayeur visant à faire soubresauter les cellules de mon corps ? Dix-sept nuits, et si la prochaine fois, je prenais un bouquin de Dostoïevski ?

En attendant donc ma mort spirituelle, ou le cauchemar de celle-ci, je sors de ma chambre sans même prendre la peine de compter les moutons sauvages, ouvre la fenêtre et regarde le clair de lune, d'un bleu pur comme l'amour, danse, danse, danse blue moon, que je regarde depuis dix-sept nuits ou dix-sept ans. Un verre de cognac au coeur d'une insomnie chronique, comme celle d'un oiseau à ressort, je me penche sur l'étrange bibliothèque qui orne mon salon, comme si je ne connaissais pas tous les livres qui m'attendent et sort une dernière fois « Sommeil » d'Haruki Murakami.
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Elle avait déjà connu l'insomnie lorsqu'elle était étudiante : des nuits blanches suivies de journées passées dans une brume cotonneuse. Rien de comparable avec le phénomène qui la touche alors qu'elle aborde la trentaine. Cette fois, elle va passer dix-sept nuits sans sommeil, sans même avoir besoin de sommeil. Dix-sept nuits durant lesquelles cette épouse et mère va vivre une vie parallèle. Ses journées seront semblables à toutes les autres : ménage, courses, préparation du repas, piscine. Ses nuits seront son jardin secret, des moments privilégiés passés à boire du Cognac, dévorer du chocolat et relire des classiques de la littérature russe.

L'insomnie comme une revanche sur la vie. Pour cette femme aux journées monotones, à la vie en sommeil, les nuits vont devenir autant de possibilités d'être libre. Pendant que son mari et son fils dorment du sommeil du juste, elle peut enfin être elle-même et s'adonner à ses passions secrètes. Loin de l'abrutir, cette insomnie la revitalise, la tonifie. Elle est plus belle, plus en forme que jamais. Elle atteint la pleine conscience.
Lire une nouvelle de Murakami, c'est toujours pénétrer dans un monde étrange et onirique, se laisser porter par le fantastique, savoir que l'on ne va pas avoir toutes les réponses. Il joue ici avec la question de l'éveil et du sommeil, de la vie et de la mort, du songe et de la réalité et met en avant les bienfaits de la littérature qui est bien souvent une façon de s'évader de la tristesse du réel…
La fin est ouverte, il faudra imaginer la suite. Court, mais bon !
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