Trois femmes puissantes ? Quand on lit ce roman, c'est la question qui laisse perplexe...
Car franchement, comme beaucoup de babelionautes l'ont remarqué d'ailleurs, on ne voit pas de puissance qui s'exprime à travers ces 3 portraits. Quand on a l'esprit imprégné de blockbusters américains avec des héros qui escaladent des murs, frappent de nombreux adversaires (svt 1 contre 10,20 ou 2-5 contre toute une organisation), multiplient course-poursuites, cascades et qui agissent pour des buts élevés comme sauver d'autres hommes, arrêter des projets criminels, voire même sauver la planète entière... que d'écarts ! Ces 3 héroïnes font quand même pâles figures à côté. Mais venons-en à leur portrait.
Une première remarque s'impose : comment peut-on parler de portrait d'une femme dans le second récit quand Fanta brille au fond par son absence ? Qui est-elle ? Ce que l'on perçoit d'elle nous est uniquement livrée à travers le regard de son époux Rudy Descas qui, il est vrai, a l'air attaché à elle. Mais on ne peut s'empêcher de se demander quelle est la part de fantasmes et de réalité dans l'opinion qu'il se fait de son épouse. Vu que l'auteure ne mentionne aucun dialogue entre eux, qu'elle laisse Fanta dans le non-dit, on peine à se situer. Cette dernière a quitté l'Afrique pour suivre son mari, démissionnant d'un poste de professeure de lettres sans avoir retrouvé ensuite de travail en France. Certainement que Rudy a raison de concevoir cette situation comme frustrante pour sa femme tout comme l'est la sienne d'ailleurs car si lui travaille, on ne peut pas dire qu'il aime son nouveau métier. Ajouté à cela les attaques d'un oiseau querelleur (3 fois dans 1 journée), l'influence d'une mère bigote seule et passionnée par les anges, la rivalité amoureuse sourde avec son patron, le souvenir douloureux du crime d'un père qui s'est suicidé et l'incompréhension d'un fils un peu revêche. Une diversité de thèmes abordés dont on peine à voir les liens entre eux bien que l'on suppose, sans que ce soit manifeste, que Fanta joue un rôle. D'ailleurs on ne saura jamais si elle a eu ou non une liaison avec Manille comme Rudy ou sa mère le soupçonnent car ni preuve, ni aveu.
Le troisième portrait, lui, est poignant, franchement pathétique et tragique. Khady Demba est à l'image sans doute de bien des femmes africaines, écrasées par le poids des traditions, du déterminisme social. Mariée sans son consentement, victime du deuil de son mari puis du rejet de sa belle-famille, elle le sera aussi de l'exploitation par la prostitution avant d'être tuée par la répression armée qui frappe les migrants. Que de rejets, d'humiliations, de trahison, d'échecs, de misère matérielle, morale et affective ! C'est d'ailleurs bien cruel quand l'on sait qu'à la moitié du récit, elle a pris d'elle-même des initiatives en disant "Non" au passeur, en osant s'enfuir et en poursuivant, malgré des obstacles, seule ce projet de départ vers l'Europe. On peut verser des larmes en voyant son parcours et son ressenti que l'auteure exprime en nuance vu qu' elle se place ici sous son point de vue mais perso, je ne peux que faire ce constat : elle incarne l'inversion du titre, l'ironie tragique de la femme puissante. La puissance implique de l'impact sur sa vie par la réalisation de projets personnels, de l'influence sur les autres qui exécutent ordre ou suivent des conseils, de l'effet sur sa culture qui change de valeurs ou de pratiques, de l'impact sur son environnement qui se transforme selon ses actions. Khady Demba, vous l'aurez compris, n'a rien de tout cela.
Enfin, je terminerai par le premier portrait au fond qui est celui qui est le plus proche du titre, du moins en partie car là encore, puissance est un grand mot. Ceci dit, Norah a réussi à faire des études supérieures et à devenir avocate en dépit d'une famille qui ne l'a pas aidé (ni sa mère, ni son père). Elle est devenue financièrement et moralement indépendante. Si elle revient vers son père, ce père qu'elle critique tant pour le mal qu'il n'a cessé de faire autour de lui (sa mère, son frère et sa dernière épouse surtout), c'est sur sa demande. C'est lui qui la prie de revenir et non, l'inverse. Si elle ne se rappelle pas un séjour passé chez lui dans son enfance, je pense que cette amnésie est volontaire dans le récit comme pour marquer sa volonté de distance vis à vis de lui. Si elle accepte sa proposition de plaider pour son frère, c'est qu'elle sait ce dernier à tort en prison : comme la libération du frère implique l'accusation du père reconnu coupable, ce serait peut-être aussi pour elle une sorte de revanche. Reste que le récit s'arrête sans nous montrer le résultat de cette affaire. Norah est bien placée pour devenir puissante mais en fait, elle ne l'est pas vraiment encore car il reste du chemin pour qu'elle ait de l'incidence sur la vie de Sony. Après, j'ignore si elle avait réussi ou non dans les précédentes affaires qu'elle a eu à traiter vu que l'auteure n 'en parle pas.
Voilà pour le bilan de cette lecture mais je m'interroge sur l'opinion de l'auteure : a-t-elle fait exprès de faire un usage décalé de cet adjectif par désir de provocation ou a-t-elle vraiment crû que ces 3 portraits se rapportaient à des femmes puissantes ? En tout cas, le titre est assurément provocateur car il bouscule, fait réagir et peut aussi agacer, voire même révolter les esprits les plus éclairés. de toute façon le parti pris est bien entendu réaliste car ces 3 portraits au fond, résonnent comme l'écho de femmes contemporaines qui sont aujourd'hui encore globalement humiliées pour être à la fois sous la pression d'un héritage répressif très enraciné (il dure depuis si longtemps) et victimes de l'autoritarisme égoïste d'hommes, incapables de reconnaître leurs torts et de changer de conduite. On est quand même très loin de notre image traditionnelle du héros, des écarts plus marqués encore dans la période moderne quand l'on voit les perso qui se sont développés avec des héroïnes comme Lara Croft ou Diana, princesse des Amazones. Comme toujours, il n'y a que dans la fiction ou l'imaginaire, semble-t-il, que l'on a le droit et le pouvoir de devenir puissant au risque de creuser toujours plus ce fossé avec la réalité. Une réalité qui nous apparaît encore plus médiocre par effet de contraste et qui aujourd'hui, le devient davantage à cause des menaces environnementales qui frappent : catastrophes nat. et pollution qui engendrent des dégâts et durcissent tant nos conditions de vie que l'on pourrait se sentir toujours plus médiocres et impuissants. Quelle spirale infernale tout de même !