Ce livre, reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique (que je remercie ici), m'a interpellé sans vraiment me convaincre.
Premier constat, le livre est réellement difficile d'accès. Quel contraste avec l'oeuvre de
Viviane Forrester,
l'horreur économique, lu quelques semaines plutôt ! En un seul livre, l'auteure parvient à nous faire changer de regard, desciller les yeux sur la réalité du monde moderne, déjouer les illusions qu'entretiennent savamment nos élites politiques. Et ce en des mots simples et accessibles à tous.
Ici, le ton est tout autre. La lecture de l'essai demande un effort constant. Ce livre, écrit à 4
mains, utilise toute une batterie de termes techniques qui ne sont nulle part définis (biopouvoir, biopolitique, national-développementisme, gouverner l'interdépendance ?...). Car
GlobAL est l'application à un cas particulier des conceptions sociopolitiques de
Toni Negri précédemment élaborées dans deux oeuvres majeures : Empire et Multitudes.
On considère souvent aujourd'hui ces oeuvres comme les Bibles de l'Altermondialisme. Pourquoi ? Très certainement parce que
Toni Negri remplace la vieille classe ouvrière par ce qu'il nomme la Multitude. Concept qui inclu la classe ouvrière mais l'élargit aux chômeurs, comme au travail immatériel. Beaucoup peuvent donc s'y reconnaître. Jusqu'aux classes moyennes, que l'on présente enfin comme une nouvelle force politique émergente. Ce qui est étonnant au premier abord, c'est que Negri place également au sein de la Multitude les « communicants » (vous savez, ceux qui nous farcissent la cervelle des pubs les plus débiles les unes que les autres, ceux qui nous invitent prestemment à jouer notre rôle de consommateurs sans scrupules...). Negri considère la montée en puissance des communicants comme positif. A aucun moment n'est posée la question de savoir si cela ne favorise pas plus l'ordre établi que l'inverse...
C'est ici que l'on tombe sur un autre aspect de l'ouvrage auquel on peut ou non adhérer : son caractère résolument optimiste.
GlobAL se veut en effet comme un message d'espoir, l'affirmation que l'on peut changer les choses, envers et contre le pessimisme ambiant.
Voici pour la forme. Passons au contenu.
Pourquoi l'Amérique Latine ? Pourquoi centrer cette analyse sur cette région ? A priori parce que celle-ci a connu pendant de longues décennies des dictatures militaires implacables (Brésil, Argentine, Mexique...). Les vieux impérialismes américains et européens plaçaient leurs marionnettes à la tête des états du sud. Pour contrer cela, une frange de la gauche prônait une politique national-développementiste, qui ne fit que renforcer les pouvoirs en place.
Or, depuis les années 1990-2000, il y a du nouveau au Sud (gouvernement Lula, Kirchner...). Selon les auteurs, l'impérialisme ne serait plus à l'oeuvre dans cette région. Negri écrit que l'impérialisme n'est que nationalisme « au-delà de ses propres frontières ». Ce qui se joue aujourd'hui, Negri le présente sous le nom d'Empire. L'Empire, c'est l'idéologie néolibérale qui se répand à travers le monde, y compris en Amérique latine. Elle est un biopouvoir supra-national, indépendant des nations. Negri évacue donc le concept léniniste d'impérialisme et lui substitue un nouveau terme pour expliquer les développements historiques récents de l'Amérique latine.
Selon les auteurs, « la crise argentine de décembre 2001 est paradigmatique du passage d'une économie fordiste à une économie post-fordiste ». le travail industriel, massivement ouvrier, tend à disparaître (même constat chez
V. Forrester) au profit d'une massification de l'intellectualité, d'une centralité du travail vivant. le travail industriel, au fondement de la civilisation tel que nous l'avons connue, est en passe d'être remplacé par le travail créatif, imaginatif, intellectuel (services, communications...). On ne crée plus aujourd'hui simplement des biens de consommations. On crée des modes, des affects, des tendances... C'est ce que les auteurs appellent le biopolitique.
C'est cela qui change tout ! Aussi radicalement et essentiellement que lors du passage du moyen âge à la modernité, nous entrons dans une nouvelle ère, dans la « Post-modernité ».
Aussi l'Empire ne repose pas sur l'aliénation salariale seule. Il prend appui aujourd'hui non seulement sur ce qu'on mange, mais aussi et surtout sur ce qu'on pense. C'est la face sombre de la Post-modernité : le biopouvoir. Mais la contrepartie est évidente. En faisant cela, la société post-moderne offre également de nouvelles opportunités d'éducation et de culture. C'est précisément cela qui se passe en Amérique latine. Cette région du monde connaît une transition accélérée du moderne au post-moderne et là est l'opportunité.
Les auteurs en veulent pour preuve les manifestations insurrectionnelles de décembre 2001 en Argentine. Car même si le travail salarié (et ses organisations syndicales) tend à disparaître, les manifestations de 2001 ont prouvé que l'on ne pouvait pas en conclure à l'affaiblissement des mouvements sociaux. de nouvelles formes de luttes apparaissent, qui ne supposent plus seulement la classe ouvrière, et s'organisent différement (internet, réseaux sociaux...). Ce sont aussi bien des ouvriers que des piqueteros (chômeurs) ou des salariés travaillant dans les services. Aussi bien des inclus, que des exclus. Ce que Negri nomme la Multitude.
Contre Hobbes et Rousseau, la multitude sans souverain est affirmée comme « le contraire du chaos, de la violence et de la guerre civile. En Argentine, là où commence la multitude s'arrête le pouvoir (de terreur!) et le chaos des marchés ». Acabo el miedo, finie la peur, disent les Argentins !
Les manifestations ont ouvert un espace de démocratie défiant l'Etat de siège déclaré. Elles ont entraîné la démission du président et permis une démocratisation du pouvoir d'Etat argentin.
C'est sur cette note extrêmement positive que se termine l'ouvrage et, personnellement, je reste sceptique. Bien que l'Amérique latine semble sortir la tête de l'eau, il me semble qu'on ne peut pas encore crier victoire, le rivage semble encore loin à atteindre. Et comment être sûr que ces mouvements sociaux, si puissants soient-ils, ne se fourvoient, pire ne se fassent trahir en raison de l'absence d'une politique clairement établie ? La seule ligne politique défendue par les auteurs est de tourner le dos au national-développementisme qui n'a « jamais été en aucune manière un moteur de développement social ». Mais avait-on besoin de tant d'appareillage conceptuel pour en arriver à cette conclusion qu'une partie de la gauche défend déjà depuis bien longtemps ?