« La vérité est trop nue, elle n'excite pas les hommes. » - Jean Cocteau - Le poète a raison.
Il a raison mais pas entièrement.
Parce que l'horreur est immense, à la hauteur du mensonge.
Le livre de Viviane Forrester est sans doute ce qui a été de mieux écrit, décrit, saisi, analysé depuis des années concernant l'état de notre monde.
Ce n'est pas un essai de stratégie économique, ni un traité politique. C'est l'annonce de la réalité. D'une vérité que nous ne pouvons, ou nous ne voulons pas comprendre, puisque tout nous empêche de la porter à la lumière de notre raison.
C'est un livre effroyablement juste. L'horreur économique. Cette horreur qui depuis des dizaines d’années ne cesse d'avaler peu à peu notre intelligence, nos rêves, nos espoirs, et si silencieusement des millions de vies.
Et que celle ou celui qui se dit ouvertement heureux, bien content, serein, celle ou celui qui se voit comme l'animal de génie que porte ce siècle divin, que ceux là, ceux qui dorment repus, au chaud, contents, ceux qui méprisent, ceux qui rejettent, ceux qui acceptent consentent participent et s'extasient devant la dictature du profit et qui rampent au pied du grand autel du mérite, à ceux là : ce livre vous congédie.
La vérité est difficile à entendre et portant elle est tellement saine à comprendre.
Il faudra bien un jour faire face à l'absurdité d'un monde qui est entrain de nous dévorer. Et si nous n'y prenons pas garde , pourrait être le grand fossoyeur.
Imaginons.
Imaginons une planète qui durant des millénaires a vu son peuple se courber sous le poids des fardeaux, s'atteler aux charrues, pousser des wagons, ramper dans les fosses, travailler comme une bête pour pouvoir espérer survivre en passant chacun de ses hivers.
Imaginez ce peuple, si peu fait pour habiter cette planète, employer son cerveau à inventer des machines capables de le décharger de sa peine.
Imaginez ces machines travaillant à la place de ce peuple, le déchargeant de son état de bête de somme.
Un peuple qui aurait pu voir devant lui pour la première fois de son histoire se dresser un espoir.
Mais le peuple na pas pensé au pouvoir des machines, et n'a pas pris garde à qui elle donnait le pouvoir de commander aux machines.
Plus de machines, moins de travail. Plus de temps libre...
Moins de peine, davantage de place pour la vie ?..
Mais le peuple n'avait pas compris.
Pas compris qu'avec leurs machines ces hommes allaient leur voler le droit de survie en faisant beaucoup et énormément de profit.
Et que ces hommes allaient peu à peu créer un empire monstrueux qui viendrait coloniser avec férocité et sauvagerie tout le village du peuple.
L'empire fut industriel et puis très vite il devint financier.
S'auto-alimentant lui même tout en imposant son droit, ses règles, et toute la cruauté de son jeu.
Et plus les machines devenaient et plus le travail disparaissait.
Et plus le travail disparaissait plus le peuple se devait d'en trouver.
La place du peuple devenait chère, de plus en plus rare, de plus en plus chère.
Un peu ici, beaucoup là bas,
un peu plus ici …
et davantage là bas.
Et puis un jour cela fut partout.
Un ordre qui marche ne se désavoue pas.
Un ordre de marche, une course folle au profit, qui ne dit pas son nom .
Qui ne se prononce pas, qui ne se dit pas.
Le désemploi.
Les hommes des machines enseignèrent et imposèrent au village un seul mot : Chômage....
Ce livre vous dira l'histoire de ce peuple, et le visage de ceux qui imposèrent la terreur au village.
Il fallait bien plus que de l'audace pour écrire ce livre, il fallait de l'intelligence et du courage, pour venir nous rappeler la réalité des faits qui se sont peu à peu imposés à nous.
Pour nous dire que nous sommes colonisés par un empire financier qui nous fait croire que les emplois reviendront, alors qu'ils ne reviendront JAMAIS.
Pour dire, qu'à force de nous répéter, de nous faire entendre que ceux qui n'en ont plus sont des charges et des parias, il nous vient méchamment dans l'idée qu'ils nous sont inutiles et qu'à ce titre on risque de donner bêtement bonne conscience à tous les crimes. Et d'oublier que chaque jour un peu plus nous avançons dans la file de ceux qui se verront sacrifiés au seul profit des maîtres de l'Empire.
Et que plutôt que de nous laisser voir les faits, de nous laisser libres d'y réfléchir, on nous gave de mensonges, de promesses, et d'illusions. Et qu'on nous prive de la seule possibilité qu'il nous reste : concevoir une autre façon de vivre.
Ce livre ne nous donne pas de solution. Les solutions sont celles que nous souhaiterons voir s’inscrire sur le visage de notre avenir. C'est à chacun d'entre nous de dessiner son futur.
Mais ce livre est un début, juste la tentative d'un éveil de notre conscience.
Pour que nous nous rendions compte dans quelle gueule d'empire nous nous sommes livrés, et dans quel infernal merdier on nous a laissés tomber si bas.
Publié en 1996, ce livre pourrait être écrit demain matin.
Reste à savoir combien seront encore là pour le lire.
Ce livre est basé sur des faits réels.
Astrid Shriqui Garain
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La délivrance du labeur obligé, de la malédiction biblique, ne devait-elle pas logiquement conduire à vivre plus libre la gestion de son temps, l'aptitude à respirer, à se sentir vivant, à traverser des émotions sans être autant commandé, exploité, dépendant, sans avoir à subir tant de fatigue ? N'avait-on pas, depuis la nuit des temps, espéré une telle mutation en la tenant pour un rêve inaccessible, désirable comme aucun ?
Ce passage d'un ordre d'existence à celui qui s'établit de nos jours, et que nous refusons de découvrir, paraissait appartenir à l'ordre de l'utopie, mais, y songeait-on, c'était pour l'imaginer pris en charge par les travailleurs eux-mêmes, par tous les habitants, et non imposé par quelques-uns, en nombre infime, qui se comporteraient en maîtres d'esclaves désormais inutiles, en propriétaires d'une planète qu'ils seraient seuls à gérer et qu'ils aménageraient pour eux seuls, selon leurs seuls intérêts, des auxiliaires humains en nombre ne leur étant plus nécessaires.
"Mallarmé is a machine gun!"
p 100
Les mitrailleuses sont violentes, parfois indispensables pour éviter le pire, mais leur violence est prévue, elle fait partie du jeu et sert presque toujours le retour éternel des mêmes changements. On aura déplacé les termes, sans changer l'équation. L'histoire est faite de ces sursauts. La hiérarchie se porte bien.
Mallarmé lu, cela suppose acquises certaines facultés qui pourraient conduire à certaines maîtrises et, par là, à l'approche de certains droits? Faculté de ne pas répondre au système dans les termes réducteurs seuls offerts par lui, et qui annulent toute contradiction. Faculté de dénoncer la version démente du monde dans laquelle on nous fige, et que les pouvoirs se plaignent d'avoir à charge alors qu'ils l'ont délibérément instaurée.
Mais pour mieux embrigader, asservir, et cela de quelque bord que soient les pouvoirs, on détourne l'organisme humain de l'exercice ardu, viscéral, dangereux de la pensée, on fuit l'exactitude si rare; sa recherche, afin de mieux manœuvrer les masses.
Nos concepts du travail et donc du chômage, autour desquels la politique se joue (ou prétend se jouer), sont devenus illusoires, et nos luttes à leur propos aussi hallucinées que celles du Quichotte contre ses moulins. Mais nous posons toujours les mêmes questions fantômes auxquelles, beaucoup le savent, rien ne répondra, sinon le désastre des vies que ce silence ravage et dont on oublie qu'elles représentent chacune un destin.
Peut être l’intérêt véritable de la publicité reside-t-il de plus en plus dans ces dernières fonctions : dans la distraction puissante qu’elle suscite; dans l'environnement culturel qu'elle sature, le maintenant au plus près du degré zéro; mais, surtout, dans le détournement du désir, dans cette science du désir qui permet de le conditionner, de persuader d’abord qu'il y en a; ensuite, qu'il y en a seulement là où il est indiqué. Et surtout pas ailleurs.
On peut compter, il est vrai, sur d’allègres impostures, telle celle qui a supprimé des statistiques 250 000 à 300 000 chômeurs d’un seul coup, d’un seul… en radiant des listes ceux qui accomplissent au moins 78 heures de travail dans le mois, soit moins de deux semaines et sans garanties. Il fallait y penser ! Se rappeler aussi à quel point il importe peu que le sort des corps et des âmes camouflés dans les statistiques ne soit pas modifié, mais seul un mode de calcul. Ce sont les chiffres qui comptent, même s’ils ne correspondent à aucun nombre véritable, à rien d’organique, à aucun résultat, même s’ils ne désignent que l’exhibition d’un trucage. Badines espiègleries ! Comme celle d’un gouvernement antérieur, quelques mois plus tôt, criant victoire, ébaubi, se rengorgeant : le chômage avait donc décru ? Non, certes. Il avait au contraire augmenté… moins vite, cependant, que l’année précédente !
Patrick Lapeyre Prix Femina
Patrick Lapeyre Prix Femina 2010 pour "La Vie est brève et le désir sans fin" paru aux éditions POL - Remise du Prix le 2 novembre 2010 à l'Hotel Crillon -Paris : Membres du Jury Femina : Diane de Margerie - Viviane Forrester - Claire Gallois - Benoîte Groult - Paula Jacques - Christine Jordis - Mona Ozouf - Danièle Sallenave - Chantal Thomas -Paule Constant - Camille Laurens - Solange Fasquelle - Prix Femina Etranger: Sofi Oksanen "Purge" éditions Stock - AFP TV