Autour de Crime et châtiment
Dostoïevski est à Wiesbaden, grevé de soucis et de dettes. L'année 1865 est particulièrement pénible. Dostoïevski a perdu sa première femme le 21 mars 1864, puis son frère Michel le 10 juillet de cette même année. Il a chevaleresquement assumé les dettes de feu son frère, mais il a fallu mettre fin à la publication de leur revue commune, l'Epoque. Tout semble écroulé, avorté (1). Il s'abandonne à son démon : le jeu. Il perd au jeu, l'hôtel cesse de lui faire crédit -"Ce matin on m'a annoncé à l'hôtel qu'il est interdit de me servir le dîner, le thé ou le café; Je continue de jeûner, voici deux jours que je me sustente de thé, le matin et le soir ; et, chose curieuse, je n'ai plus du tout envie de manger. Malheureusement on me persécute et parfois on me refuse un bout de chandelle pour le soir". (Lettres à AP Souslava des 22 et 24 août 1865).
C'est alors qu'est né le projet de Crime et châtiment et l'idée d'en proposer la publication à Kathov, l'éditeur du Messager russe, récemment encore un ennemi notoire et une des cibles de la revue des frères Dostoïevski (2).."
(1) "Et voici que je suis brutalement resté seul et la terreur m'a pris. Toute ma vie, d'un coup, s'est scindée en deux. Dans une première moitié, que je l'ai déjà parcourue il y avait tout ce pour quoi j'ai vécu ; dans la deuxième moitié, encore pleine d'inconnus tout est hostile, tout est nouveau et il ne me reste littéralement plus aucune raison de vivre" (Lettre à AE Wrangel du 22 février 1865).
(2) Au début des années 1860, Kathov défendait des positions libérales très anglophiles. Dostoïevski s'insurgea plus d'une fois contre le mépris de Kathov à l'égard des institutions russes et de "l'indigence" de la littérature russe. Mais l'insurrection polonaise de 1863 avait changé Kathov en un conservateur virulent..
C'est dans ces conditions épouvantables, insoutenables que Dostoïevski poursuit l'écriture de Crime et châtiment qui se révélera être sa meilleure oeuvre et une oeuvre majeure de la littérature mondiale ..
Wiesbaden est en Allemagne, près de Francfort.
Chapeau bas Monsieur Fédor Dostoïevski !
Rencontre en ligne avec Georges Nivat, à l'occasion de la parution, aux Éditions des Syrtes, de Kotik Letaïev, d'Andreï Biely.
Enregistrée le 10 juin 2021
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Paru en 1917, Kotik Letaïev est une autobiographie poétique, épopée intérieure de l'enfance sur les trois premières années de la vie de son auteur, Andreï Biely. le héros, Kotik (diminutif de Konstantin qui signifie également chaton) Letaïev est un enfant précoce qui, depuis son plus jeune âge est familiarisé avec les trésors de la culture. Un jour, poussé par une nostalgie toujours plus grande, il part vers l'inconnu. le récit, à la première personne, a d'une part le charme naïf d'un discours enfantin au travers duquel se recompose la ville Moscou de la fin du XIXe siècle, et d'autre part l'inquiétant surréalisme d'un parcours initiatique conduisant sa victime par le dédale des mythes.
Adepte de la théosophie de Steiner, l'écrivain, alors âgé de 35 ans, se sent revivre sa première naissance. Il couche cette expérience sur papier, avec comme résultat ce récit hors du commun, qui commence dès avant la naissance, dans le ventre de sa mère.
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Georges Nivat est historien des idées et slavisant, traducteur spécialiste du monde russe. Professeur honoraire à l'université de Genève, il a été l'un des traducteurs d'Alexandre Soljenitsyne.
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KOTIK LETAÏEV, d'Andreï Biely
Roman traduit du russe par Georges Nivat
416 pages - 20 €
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