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Tokyo. Pour s'extirper d'une vie dont elle est absente, Ruriko s'enfuit pour rejoindre le chalet familial.
Ici, dans cet environnemental, tout est vivant. La forêt bruisse, les murs se racontent, les instruments vibrent, l'air et l'eau, l'hiver et la neige, les sons, cette latte de bois qui geint sur la terrasse et révèle tous ces flous du passé, la famille, la jeunesse et les jeux, les frères et les soeurs, les cousins...
Un soir que Ruriko est alertée par des coups frappés à la porte, des cris stridents et répétés, elle s'échappe par une porte dérobée à l'arrière de l'habitat. Et, en pleine nuit dans la forêt mouvante, elle court parmi les ombres. Mais le danger est au-devant plutôt qu'en arrière. Ce n'est qu'un jeune homme éméché, qui, ayant trop bu tambourine à la porte d'une maison qui n'est pas la sienne. Tandis que Ruriko vole dans les bras de Nitta, il la reçoit avec toute la tendresse, la douceur dont il est enclin. Soignant ses pieds blessés, coupés par des herbes folles et la comblant à mesure de sa demande. Elle, qui fut privée si longtemps d'attention auprès d'un mari violent et dispensant ses élans ailleurs.
Mais, même si Nitta est aimant, il partage un amour plus fort encore avec Kaoru. C'est une complicité de tous les instants, une gestuelle, un langage et une expression dont sera étrangère à jamais, Ruriko. Elle le découvre lorsque Nitta est à la fabrique des clavecins. Quand Kaoru joue ‘'les tendres plaintes'' et que corps et âme, tous les deux, ils se vouent à leur passion. de la création instrumentale à l'édification du clavecin né de leurs mains, jusqu'à la naissance du son.
Et quand les doigts de Nitta effleurent avec sensualité toutes les parties de cet instrument, dont aucun des recoins ne lui échappe, Ruriko est troublée.
Elle s'émeut parce qu'elle rêve que ses mains parcourent son corps, à elle. Il n'est pas un endroit de sa peau qui ne crie cette pulsion, ce besoin. Toutes ces années de vide, de non-vie. Et quand cette nuit d'amour avec Nitta se rappelle à son souvenir, elle n'aura plus d'écho. Au moment des ébats, lors de leur seconde étreinte, l'image de Kaoru se fixe et envahit l'instant. Dans un halo de lumière, la jeune femme lui intime cruellement qu'elle occupe la première place auprès de Nitta.
Et puis, il y a Dona. le baveux, l'affectueux, le généreux qui remue la queue. Il est au coeur de l'histoire, en notre compagnie. Celle que lui prête l'auteure en l'associant au trio. Toute une réalité affective, de celle que partage généralement l'ami de l'homme, en présence. Cela va des caresses qu'il s'auto-prodigue lui-même en se frottant à une jambe ou en reposant sa tête sur des pieds avenants, laissant ça et là, un mince filet de bave. Ce regard expressif et tendre qu'il projette en toute circonstance, y compris, quand piteux, il s'éloigne, nécessiteux et atteint de cécité ou poitrinaire s'époumonant. On viendra chacun son tour lui verser, qui une goutte de lait dont-il se pourléchera les babines en couinant en guise de remerciement, ou réajuster sa couette dans son panier.
Puis, un jour, Kaoru et Nitta sont prosternés devant le résultat de leur travail. Un travail de longue haleine, un travail qui a demandé beaucoup de temps et de soins. Ayant construit de concert, un clavecin dont le son est défectueux, ils vivent ensemble cette situation comme un échec, voire comme une tragédie. Tandis qu'ils se consacrent alors à une sorte de cérémonial en brûlant le clavecin, banni de toute destinée possible, Ruriko arrive et comprend qu'en aucun cas, elle ne pourra de près ou de loin s'immiscer dans leur intimité.
Désespérée, elle s'enfuit alors en courant avec Dona qui, en bon éclaireur la précède et la mène dans une plaine, auprès d'un arbre au tronc creux, dans lequel, doucement, elle s'introduit pour penser à Nitta. Sans le savoir, elle se trouve dans un lieu bien connu de lui. Son lieu de prédilection, un endroit mis à découvert par Dona où curieusement, Ruriko s'imagine qu'il viendra la rejoindre. Elle y pense si fort et même de toutes ses forces. Un peu comme le font de jeunes adolescents rêveurs. Mais Nitta ne viendra pas. Et, à y bien réfléchir, ne sont-ce pas toujours les femmes qui introduisent les conditions et les circonstances propices à la réunion de deux êtres ? Nitta la reçoit et l'aime sans compter, mais uniquement lorsqu'elle vient à lui. Jamais, il ne s'improvisera de lui-même, en quelque partition où l'amour eut pu se jouer.
Et quand, une ultime fois, Ruriko entend jouer la douce mélodie qui résonne en son coeur, ‘'les tendres plaintes'' d'un amour impossible, ses mains comme des notes courent sur le corps de Nitta, chaque muscle et chaque veine de sa peau vibrent et s'animent...
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A la lecture de ce beau livre « Les tendres plaintes », je ressens profondément ce qu'offre la culture Shinto afin d'évoquer l'immuable. Ce qui est important c'est le ressenti, la sensation, une notion indéfinissable du tout, du prégnant. Oui, "La vie est courte et le désir sans fin". Délicatesse, onirisme, entrelacement secret entre douleur et douceur, sensualité, dualité entre simplicité apparente et complexité en profondeur, voilà quelques ingrédients de ce livre apaisant.

Ruriko, jeune femme tokyoïte, trompée, battue, blessée par son mari, quitte du jour au lendemain le foyer conjugal pour s'isoler dans la maison familiale, un chalet en pleine forêt. Pour mieux se concentrer aussi, Ruriko étant calligraphe et travaillant sur la biographie étonnante d'une nonagénaire. Là-bas, les sons, notamment cette latte de bois sur la terrasse qui geint ou encore le bruissement du vent, les vibrations de l'air, de l'eau et des instruments de musique, la lumière, les paysages sylvestres et montagnards, sertissent les souvenirs de jeunesse et des anciens liens familiaux.

Mais finalement cette fuite va surtout lui permettre de rencontrer Nitta et son assistante Kaoru. Nitta habite près du chalet, et tous deux se consacrent à l'art méticuleux de la fabrication des clavecins. Peu à peu vont naitre entre les trois personnages une forme de complicité, les trois, à leur manière, portent une histoire douloureuse. Trois coeurs discrètement cabossés pour lesquels le retrait, le refuge, le retour aux choses simples, les mélodies sont nécessaires. S'unir pour de tendres plaintes. Enfin en façade. Car ces plaintes sont en réalité plus violentes, envahissantes, que ne le laissent présager la politesse convenue toute japonaise ainsi que l'écriture épurée. C'est sans doute le charme de ce livre, et souvent de la littérature japonaise : nous faire deviner, en vibrations discrètes, la violence que crie l'inconscient sous l'apparat de sérénité, de calme et d'osmose. J'ai également retrouvé dans ce livre, comme dans beaucoup de livres de Haruki Murakami, l'art de dompter l'inconscient en réalisant son art (la calligraphie pour Ruriko, la fabrication de clavecins pour Nitta et Kaoru), ces gestes appris et structurants, orchestrés avec minutie et perfection, avec concentration. J'ai chaque fois l'impression moi-même de me redresser et de m'aligner à l'évocation subtile de ces gestes. Comme ceux du quotidien (cuisiner, laver, ranger), ils permettent de nous ancrer dans l'instant présent.

Le regard de Ruriko sur ces deux amis est sensuel, aussi bien sur Nitta, dont elle s'éprend, que sur son assistante : « La peau de Kaoru serait douce comme un pétale qui vient de s'ouvrir. Selon l'orientation de son visage, la couleur de ses iris changerait subtilement, chaque cheveu de sa coiffure recevrait la lumière, et nous parlerions toutes les deux en remuant les yeux. Nitta, ses longues jambes repliées, nous montrerait son dos. Il me suffirait de tendre un peu la main pour le toucher mais en réalité je n'aurais pas le courage de le faire. A la place, j'évoquerais mes bras qui avaient touché les os de son dos, le poids de son torse qui m'étouffait et la douceur obsédante de nos jambes mêlées. »
Le souvenir de ce moment d'amour ne cesse d'être présent, souvenir d'une sensualité à la fois élégante et torride, mais sans l'once de la moindre vulgarité : « Je me sentais prisonnière du désir de plonger entre ses bras moites de transpiration. Chaque fois, il me fallait le réprimer, les bras serrés fermement sur ma poitrine. Malgré cela, je me sentais sur le point d'être transpercée par le souvenir de ses lèvres et de ses doigts vagabondant sur tous mes interstices, mes cavités, mes protubérances et mes courbes ». Une sensualité qui se fera subtilement plus sauvage ensuite.


Ce livre parle de l'affranchissement aux contraintes, de notre liberté, du retour à notre moi intime. de notre droit à nous retrouver et à prendre le temps. de notre capacité à réaliser nos désirs et à écouter son corps, son coeur, son inconscient. Loin de la frénésie, des convenances. le tout serti d'une écriture poétique et ensorcelante. D'un style simple et épuré. Car la vie est courte et le désir sans fin.
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Trompée, maltraitée par son mari, Ruriko quitte Tokyo pour se réfugier dans la résidence secondaire de ses parents, un chalet à la montagne. Recroquevillée sur sa douleur, elle calligraphie sans relâche l'autobiographie d'une nonagénaire. Tout bascule lorsqu'elle fait la connaissance de Nitta, un ancien pianiste devenu incapable de jouer en public, reconverti en facteur de clavecins. Cet homme calme et exigeant vit avec son vieux chien aveugle et son assistante Kaouru, tout près de chez elle.

Une étrange complicité lie ces coeurs cabossés. Tout se passe dans une tranquilité impressionnante, en osmose avec la nature et la musique, chacun faisant face à sa solitude et à la fragilité des sentiments et du désir. le récit se déroule dans un écrin de verdure mais c'est un huis-clos oppressant d'une grande justesse. C'est un mélange constant de douceur et de douleur et lorsque Ruriko surprend Nitta en train de jouer Les tendres plaintes à Kaouru, on frissonne avec elle…
Yôko Ogawa signe une roman subtil, son style est délicat, incisif, sensuel.

Écoutez Les tendres plaintes, elles sont d'une grande intensité et d'une beauté saisissante.




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Deuxième roman que je lis de cette auteure japonaise.
Une jeune femme, calligraphe, après plusieurs années de discorde
conjugale et de trahison subie , quitte du jour au lendemain, son époux, ophtalmologiste... et se réfugie dans un chalet familial, où elle espère se reposer et faire le point....

Elle poursuit pour vivre ses différentes commandes de calligraphies,
dont celle d'un manuscrit d'une nonagénaire, à la vie des plus mouvementées....et palpitantes

Dans cette solitude, elle fera la rencontre inopinée de Nitta, facteur
de clavecins, ainsi que son élève, Kaoru...jeune claveciniste talentueuse, apprenant parallèlement la fabrication délicate des clavecins...

Histoire de la croisée des chemins de trois personnages, entre l' amour
de l'écriture, celui de la musique, et de la nature sans oublier la présence
d'une chienne âgée et aveugle, bien affectueuse... !

Notre calligraphe va tomber sous le charme du facteur de clavecins, Nitta,
et prendra fortement ombrage un moment du maître et de son élève,
si complices au sein de cette passion commune de la musique..

En plus de nombreuses descriptions d'une belle nature boisée et
montagneuse, il est abondamment question de l'amour des "belles
lettres" manuscrites, et de musique, encore et toujours ....

Un roman très prenant ... où une femme déboussolée trouve un lieu
personnel, intime pour retrouver un sens à son existence, une bulle
où se reconstruire...de nouveaux projets pour retrouver un véritable
élan...de vivre . Un moment charnière, de solitude intense...de
cette femme, Ruriko, croisant deux autres solitudes également "cabossées"
par des pertes et drames personnels...La nature, la musique, les
moments de complicité de ce trio passager ,les aidera les uns et les
autres...à clarifier leurs sentiments, et leur chemin...

"-Quand on travaille avec lui, il y a des choses qu'on ressent naturellement.
Surtout quand on est enfermés dans l'atelier. On est sensibles aux vibrations de l'air. Aux résonances des cordes du clavecin. Alors on peut également ressentir les vibrations du coeur de l'autre. "(p. 65)
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Aaaah la douceur des romans japonais ! Leurs descriptions de la nature, les dialogues épurés, les sentiments forts réduits à l'essentiel…

« Les tendres plaintes » ont le titre approprié à ce que je viens de dire, n'est-ce pas ?
Il s'agit d'une pièce pour clavecin de Couperin, que l'héroïne écoute avec ravissement et vague à l'âme.
Cette jeune femme, en butte à un mariage malheureux (mari violent et volage), se réfugie dans le chalet familial dans la montagne. Non loin de là, deux « facteurs » de clavecins officient, en pleine nature : un homme d'une quarantaine d'années, Mr Nitta, et Kaoru, sa jeune aide.
Une amitié se crée, favorable à l'état d'esprit de notre héroïne, calligraphe de profession.

Eh bien je vous ai induits en erreur car les apparences sont bien trompeuses, et je me suis souvent dit que la courtoisie japonaise cache bien des violences, dans ce roman ; violences physiques mais aussi psychologiques.
La simplicité de surface dissimule de profondes plaintes et le choc avec le style épuré et gracieux n'en est que plus brutal.
Il va sans dire que j'y ai adhéré totalement, car c'est de manière progressive que ces plaintes envahissent l'espace.

Laissez-vous donc effleurer par la tranquillité illusoire pour pénétrer comme moi dans cet univers intense et ardent…
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Blessée, trompée, maltraitée par l'infidélité de son mari, Ruriko décide brutalement de quitter Tokyo afin de retrouver un peu de légéreté et de sérénité.
Elle se réfugie dans la résidence secondaire de ses parents, un chalet à la montagne.
Calligraphe , elle travaille sans relâche sur l'autobiographie d'une nonagénaire.....
Mais soudain une page se tourne.
Elle fait la connaissance de Nitta, ancien pianiste devenu facteur de clavecins, car incapable de jouer en public.....
Cet homme calme et exigeant vit avec son assistante Kaoru et son chien fidèle Doña, aveugle.
Bientôt une complicité étrange, mystérieuse et belle, tout simplement, va unir ces coeurs abîmés : fiancé tué, mari violent.....
Comme au sein de chaque ouvrage de l'auteur la nature et ses sensations, la musique libératrice et enchanteresse , la tranquillité impressionnante s'allient à une certaine fragilité , la douleur, les sentiments de solitude intense dans un huit - clos oppressant en pleine nature.....:
" le vent traversait la hêtraie.Le murmure des feuilles et son écho sur la pente n'arrivaient pas jusqu'à nous."
Un subtil mélange continu de douceur et de douleur lorsque Ruriko surprend Nitta qui joue " Les tendres plaintes " pour Kaoru.....je ne peux en dire plus...
La romancière décrit minutieusement les peurs , les envies, les états d'âme , les doutes de Ruriko.
Elle nous fait entrer dans les pensées de l'héroïne en suggérant..... d'une manière poétique, sensuelle et délicate. Elle nous plonge dans l'univers du clavecin qui cristallise les passions et les pensées les plus secrètes et les plus intimes.
Un roman musical, à la résonance mystérieuse, d'où se dégage une atmosphère étrange.....doux, beau et simple semblable à la calligraphie, un art muet, lent et patient.....
J'avais lu avec grand plaisir :" Petits oiseaux " du même auteur....

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La narratrice de ce roman s'appelle Ruriko, c'est une femme blessée par l'infidélité et la violence conjugale de son mari. Elle décide de quitter Tokyo pour se réfugier dans un chalet familial en pleine forêt. Elle n'a pas d'autre but que de fuir. C'est ici qu'elle va accomplir un travail patient et minutieux consistant dans la calligraphie d'un manuscrit, la retranscription du récit autobiographie d'une ancienne médium nonagénaire...
Dans cette solitude choisie, Ruriko va cependant rencontrer deux autres personnes avec lesquelles nous allons la voir cheminer tout au long du récit, Nitta un ancien pianiste reconverti en facteur de clavecin, et Kaoru une jeune femme en apprentissage chez lui.
Le rythme lent de ce très beau texte de Yôko Ogawa m'a pris par la main, sa sonorité, sa musicalité. Les tendres plaintes, c'est le nom d'une suite en ré pour clavecin et violoncelle de Jean-Philippe Rameau, qui a donné le titre à ce surprenant et beau roman. C'est aussi cette musique qui m'a accompagné durant ma lecture et à présent pour en rédiger cette chronique.
Cette musicalité voyage d'ailleurs entre les personnages.
Mais avant que n'entre la musique, ce sont les mains qui m'ont invité au récit, qui m'ont fasciné, des mains qui soignent, qui guérissent, qui calligraphient, qui rabotent, qui effleurent, qui caressent, qui éveillent le désir, qui aiment, qui frappent hélas, abiment les visages et les clavicules, qui savent faire le mal comme cela...
Des mains sous nos yeux vont fabriquer un clavecin, une oeuvre d'art, comme on construit l'édifice d'une existence...
Les mots de ces pages ressemblent à des pas dans la neige. Parfois on ne sait pas d'où viennent ces pas, où ils vont après... La légèreté de la neige les recouvre peu à peu. On se retrouve là dans ce paysage à apprécier cette lenteur, attendre, guetter, sentir qu'à tout moment il peut se passer quelque chose...
Les tendres plaintes est un texte que j'ai aimé dans ses vibrations, sa sensualité...
Le paysage joue un rôle important... Les saisons aussi qui traversent le roman....
C'est la douceur qui m'a accueilli dans les premières pages d'une écriture belle, apaisante, épurée. On se croit ici protégé du reste du monde. Les paysages m'ont rappelé des endroits où je me suis senti bien, une forêt, le bord d'un lac...
Ruriko aurait voulu entrer dans l'univers de Nitta et de Kaoru. Elle se sent misérable et abandonnée, comme à la porte d'un bonheur qu'elle sait déjà ne jamais pouvoir franchir.
Dans les entrelacements de ces trois personnages principaux, solitaires et passionnés, c'est le sentiment d'un amour pur qui prévaut ici, mais où résonne déjà le bruit des blessures anciennes.
J'ai vécu ce roman presque comme un huis-clos, tantôt doux, tantôt oppressant.
L'attitude de Ruriko, sous une apparence de douceur, cache un besoin violent d'être aimée. On sent, on pressent des douleurs, des blessures en arrière-plan. le désir s'installe alors, la jalousie aussi...
Elle se sent peu à peu déchirée par une détresse souterraine.
Il y a une délicatesse tourmentée dans ce texte, qui tient peut-être à des plaies non guéries.
Le paysage du livre ressemble à un coin isolé du monde. Je me suis senti démuni devant le désarroi de Ruriko, son besoin d'aimer, d'être aimé, sa jalousie qui fait mal, qui fait peur, ses blessures qui donnent envie de la protéger, son désir de violence sans doute à la hauteur de ce qu'elle a subi... C'est un chemin intérieur alors, parmi la blancheur de la neige et l'ombre de la forêt.
La solitude du personnage de Ruriko m'a hanté. Sa vie ressemble à une calligraphie, faite de pleins et de déliés, le trait du pinceau dans la courbe qui se délie accueille peu à peu quelque chose qui ressemble à un vide sidéral...
On avance pas à pas vers quelque chose de mystérieux, d'angoissé. Comme des pas dans la neige, comme les feuilles qui glissent à la surface d'un lac.
Les mots de Yôko Ogawa sont des notes de musique qui ressemblent à des codes secrets que l'on déchiffre pour parvenir à l'envers d'un paysage onirique oublié de tout.
C'est une histoire où les mots se retiennent tout en disant beaucoup. J'ai trouvé cela magique.
Je me suis senti être suspendu au temps jusqu'à la dernière ligne...

Merci à HundredDreams (Sandrine), Prisca (Pris), DianaAuzou, et Pirouette pour cette belle lecture commune à cinq voix, nos échanges étaient très riches, complémentaires avec chacun son regard comme une petite note de musique qui vient s'associer aux autres dans une partition harmonieuse.
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Yoko Ogawa est une auteure japonaise que j'aime pour les émotions qu'elle suscite à chacune de ses lectures. Elle prend ses lecteurs par la main et les emmène dans son univers, tantôt doux, calme, reposant, tantôt inquiétant, dérangeant.

*
Ne pouvant plus supporter l'infidélité et la violence de son mari, Ruriko décide de disparaître. Elle quitte Tokyo et part se réfugier en pleine forêt, dans le chalet de son enfance afin de réfléchir, dans le calme, à son avenir et retrouver la sérénité propice à son métier de calligraphe.

Rapidement, elle fait la connaissance de ses plus proches voisins qui habitent un chalet voisin.
Nitta, un ancien pianiste, devenu facteur de clavecins, vit seul avec son vieux chien aveugle et sourd. Il est assisté dans son travail par une jeune femme vive et joyeuse, Kaoru, avec laquelle il entretient des relations ambiguës.
Tous deux l'accueillent gentiment et lui ouvrent les portes de leur atelier.

*
Dans cette première partie, j'ai trouvé l'écriture de Yoko Ogawa, paisible, délicate, en harmonie avec les sentiments de Ruriko. Je suis donc entrée à pas feutrés dans la vie de la jeune femme, ne voulant pas être indiscrète, sentant au fond de moi sa fragilité et sa vulnérabilité.

« Mais les ténèbres qui s'installaient dans le bois étaient d'une autre sorte. Elles remplissaient mon coeur à ras bord pour le glacer et je ne pouvais plus bouger. Et je savais que même lui ne pourrait sans doute calmer cette angoisse. Elles étaient envahissantes, beaucoup plus écrasantes. J'avais l'impression de me retrouver égarée au fond de la mer, seule, loin de toute lumière. »

*
J'ai aimé le cadre de ce roman. La forêt est comme un baume cicatrisant, un abri coupé du monde, hors du temps, un refuge pour reprendre pied, se reconnecter avec son propre corps, panser toutes ses blessures, physiques comme psychologiques.
Les images pour décrire cette forêt et les bruits qui l'imprègnent, le bruissement des feuilles dans les arbres, le chant des oiseaux, m'ont enveloppée d'un voile de douceur et de bien-être.

Si la forêt apporte une musicalité chaleureuse, la fabrication d'instruments de musique, le travail du bois, les gestes répétés, les parfums boisés ajoutent à cette ambiance agréable. le monde de la musique se mêle ainsi à celui des liens et des sentiments entre les personnages.

« Les résonances du clavecin parvenaient au plus profond de mon coeur. Elles remplissaient lentement la petite obscurité que ni la lumière ni les paroles n'atteignaient. Elles ne s'écoulaient nulle part. Elles restaient là indéfiniment. »

*
Pourtant, dans cette atmosphère rassurante, Yoko Ogawa fait progressivement monter une tension et un sentiment de malaise chez le lecteur.
Le ton change insensiblement et on sent que Nitta et Kaoru sont également des êtres écorchés qui se reconstruisent paisiblement dans l'isolement, dans un environnement bienveillant et reposant, grâce à leur passion commune pour la musique.

Autant la première partie m'a emportée par sa douceur satinée, je me suis sentie enrobée et protégée par le calme de cette forêt, autant la deuxième m'a troublée et sortie de ma placidité, de mes douces rêveries. J'ai senti Ruriko totalement perdue, abandonnée, seule, de sorte que ses sentiments et les miens me semblent encore confus.
Dans cette relation triangulaire qui se noue, les émotions se bousculent, arrivent par vagues.

« J'étais un clavecin qu'on détruisait. »



*
La psychologie du personnage de Ruriko est très fine, magnifiquement décrite.
On ressent, sous l'apparence calme de Ruriko, un volcan intérieur prêt à exploser qui puise dans son inconscient.

Par contre, l'auteure garde une certaine distance vis à vis des deux autres personnages, les esquissant de quelques traits, les floutant légèrement afin de laisser le lecteur dans l'incertitude sur leur relation.
Nitta reste très secret sur ses sentiments, son passé, et parle peu.
En revanche, je me suis attachée à Kaoru, à son sourire et sa gaieté.

*
Ecrites en 1996, “Les Tendres Plaintes” nous berce des accords nostalgiques et plaintifs du clavecin.

Avec le recul, ce texte, en apparence posé et lent, est chargé d'émotions. Je l'ai trouvé à postériori, en faisant cette critique, plus puissant et profond que lors de ma lecture.
L'écriture de l'auteure, simple, épurée, sensible est vraiment belle pour décrire les ambiances, la nature, les sonorités, les couleurs, les odeurs. D'une main délicate et légère, elle porte également un beau regard sur ses personnages, leur indicible solitude, leurs relations fugitives et blessantes.

« Je pensais que les larmes étaient moins cruelles que les paroles. »

***
Merci à Prisca (Pris), DianaAuzou, Pirouette et Berni_29 (Bernard) pour cette belle lecture commune, riche de nos échanges et d'une belle convivialité.
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Un roman qui rassemble trois êtres solitaires et un chien. Trois blessures.
Au fond de la forêt, leurs chalets les abritent avec leurs passions. Loin du monde.
L'une est calligraphe et les deux autres facteurs de clavecins. Ils fabriquent avec soin des lettres ou des notes. le tout s'allie merveilleusement bien à la nature environnante. Une poésie de sons et de couleurs.

Un roman sur la nature, la sensibilité, la fragilité. L'écriture est délicate, comme si la plume du calligraphe et les doigts du pianiste s'étaient joints à la musique de la nature pour jouer Les Tendres Plaintes.
Une lecture paisible et tellement poétique.
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CHALLENGE MULTI-DEFIS 2022
Les Tendres PlaintesYôko Ogawa(Actes Sud, collection Babel)****
ITEM 92 – lecture commune avec berni, hundreddreams, prisca et pirouette

Une rencontre comme un cadeau, rare, délicate comme un clavecin.
Temps présent et temps passé et entre les deux des ruptures : celle de Ruriko que le mariage a blessé son corps et son âme, celle de Nitta, qui ne pouvant plus jouer du clavecin le fabrique, lui donne naissance, crée son corps, et celle de Kaorou sa jeune apprentie. Il y a aussi Dona, le chien aveugle et sourd, expressif et tellement présent.
Des souvenirs reviennent comme appelés par des instants, des gestes, des sensations, des états d'âme entre raisonnement et envol "c'est un travail étrange de calligraphier la vie de quelqu'un" .
Ruriko quitte un mariage qui lui fait mal et se réfugie, comme dans un abri, dans le chalet familial, et là elle fait la rencontre de la maisonnée clavecin.
Roman à la première personne, raconté comme une mémoire, un défilé de moments et de questions toutes voilées, brumeuses, incertaines, comme un signe de main qui dit adieu.
Des liens se créent sur fond de fêlures et de ruptures. Les liens sont fragiles, les fêlures restent. Elles sont même mises en évidence, magnifiées par de la poudre d'or précieuse : le clavecin la musique la création. Et le corps, tous ses sens éveillés, se sent revivre « Ce sont les Tendres plaintes de Jean Philippe Rameau, murmura Nitta à mon oreille. Son souffle caressa mon lobe. ...Le désir d'être touchée… dans tous les recoins de mon corps, de chaque cil jusqu'à mes replis les plus profonds, jaillissait de ma poitrine. »
Le clavecin, le personnage du roman et quatre vies autour de lui. Il apaise et sublime des blessures, exalte la nuit profonde des corps, crée des rencontres, transforme, panse, soulage, maintient en vie. le clavecin lien et respiration. « Ses doigts remuaient si doucement qu'ils donnaient l'impression d'avoir peur. Comme s'il jouait sur mon corps au lieu de toucher un clavier. Sous les yeux du clavecin. »
En fond de toile, la calligraphie patiente, attend que la respiration retrouve son rythme et l'instant présent.
La plume de Yôko Ogawa touche le corps et nous transmet sa vibrante sensualité, le corps du clavecin prend vie sous les mains magiques de Nitta, le corps de Ruriko s'éveille dans tous ses pores, s'abandonne. Dialogues muets et fragiles.
La grâce vient et puis elle ne vient plus. Des facteurs infiniment délicats, comme des états d'âme trop raisonnés, trop coupés peuvent l'éteindre, comme, peut être, pour rendre un impossible souffle, un impossible lien.
C'est ma première rencontre avec cette auteure et j'espérais trouver un autre style, surtout quand le titre est Les tendres plaintes. Je l'ai trouvé par endroits un peu sec, un peu gauche, avec des répétitions fréquentes de mots, pronoms, verbes au même temps qui étouffent une poésie à peine germée lui arrêtant ainsi l'envol.
Mais les ouvertures sont là pour imaginer et rêver. « Nous avons joint nos lèvres. La couverture est tombée une deuxième fois. Il y a eu un bruit de chaises ébranlées. Ce fut un baiser calme. Un baiser qui a réchauffé discrètement les ténèbres derrières nos paupières »
Lecture découverte, dont le parcours s'est fait dans l'attente d'un tissage métaphorique entre les encres, le clavecin, le vécu et la psychologie de Ruriko, les liens qui se créent entre les trois, sans clous sans vis et sans marteau (comme l'assemblage du clavecin). J'ai trouvé beaucoup de déchirures chez Ruriko et, comme pour combler le vide qui la dessèche, elle nourrit un fort besoin de posséder un amour qui lui a manqué. Désir sans retour, et les pièces ne s'assemblent pas.
Mais ce style rend bien le poids du vide qui pèse sur Ruriko , les morceaux incollables de sa vie, un assemblage qui n'est plus possible.
Il y a des perfections qui sont demandées rares et très fragiles, une faille peut les tuer et la hache de Nitta donne le coup de grâce à un clavecin inutilisable. Douleur, violence, triste et magnifique.
Histoire  de grande beauté et profondeur.
La calligraphie est une technique et une création, une vibration de l'instant, dans ce roman elle est juste technique. J'attendais un développement entre calligraphie, lettres, nom, émotion, l'unique trait du pinceau…
La calligraphie de Ruriko, n'est pas émotion c'est une maîtrise presque parfaite, sauf quand elle écrit le nom de Nitta, là elle est un lien visible et secret « tout en écoutant le vent, j'écrivais plein de "Y.NITTA" . »
Le style tantôt sec (la traduction y est-elle pour quelque chose ?), tantôt  sensuel, gracieux et fluide accompagne les personnages, crée une atmosphère et un jeu de miroirs entre l'attendu, le ressenti, le révélé, dans la rencontre des cinq : Ruriko, Nitta, Kaoru, Dana le chien aveugle et sourd (magnifique image) et le clavecin, tous d'une fragilité émouvante, tous portant leurs cassures.
Les états d'âme de Ruriko trop raisonnés, trop coupés arrivent souvent comme, peut être, pour rendre la fêlure toujours présente. Brisure qui reste… et cache des moments de pure bonheur et ça c'est précieux.
La lumière du bois autour « qui parvenait jusqu'au sol humide était fragile. »
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