Par l'auteure des inoubliables
Purge et
Les Vaches de Staline, un roman qui propose, une nouvelle fois, une formidable plongée en profondeur dans les zones les plus troubles et déshéritées de l'ex-Union Soviétique, comme un thriller dont l'inspiration rappellerait les meilleures histoires de John le Carré ou de
Don Winslow !
Un jour de 2016, dans un parc d'Helsinki, où les gens viennent promener leurs chiens, Olenka, assise sur un banc, observe une petite famille, quand brusquement une femme s'assied, sans demander autorisation, à l'autre bout du banc. Immédiatement, elle reconnait l'intruse, et comprend qu'elle est brusquement rattrapée par son passé, un cauchemar qu'elle a fui, en changeant d'identité dans son exode d'Ukraine en Finlande. Avec le retour de Daria dans sa vie, elle sait qu'elle ne peut plus échapper à une poursuite infernale dont le terme ne peut être que mortel pour elle… Cette première scène entraîne d'emblée le lecteur dans un récit plein d'angoisse, une tension que
Sofi Oksanen réussit à maintenir tout au long du livre. le roman est construit comme un puzzle, alternant les temps et les lieux, l'Helsinki de 2016, l'Ukraine des années 2000, l'Estonie de l'enfance. le point de vue est constamment celui d'Olenka, reconstituant en jonglant entre présent et mémoire, son destin personnel, d'une forme d'apogée sociale à la déchéance et à la détresse qui sont désormais les siennes. Sans cesse, elle s'adresse à un « tu » mystérieux, un compagnon devenu potentiel ennemi, qu'elle craint puissamment après l'avoir follement aimé, et dont l'identité, très lentement dévoilée, gardera une part d'énigme pratiquement jusqu'à la fin du livre.
Au-delà du roman noir, l'intrigue acquiert une forte dimension politique, en évoquant le commerce des corps féminins, de ces femmes d'Europe de l'Est que l'on exploite comme donneuses d'ovocytes ou mères porteuses, victimes d'une industrie lucrative, qui s'accompagne de multiples trafics, avec leur lot de
corruption et de vengeances. Mais l'aspect le plus intéressant du texte, là où l'art de
Sofi Oksanen nous touche le plus profondément, c'est l'impressionnante fresque qu'il propose des territoires perdus de l'ex-Empire Soviétique, de la région de Snijné en Ukraine, où la narratrice aura vécu son adolescence, ravagée par la pollution et la pauvreté, de ce coin d'enfer du Donetsk meurtri par l'activité des mafias et la guerre qui oppose aujourd'hui les nationalistes ukrainiens aux séparatistes soutenus par la Russie. Ah, la foutue poisse des slaves, la mélancolie des marges orientales de l'Europe… Quand un roman d'atmosphère vous distille ces venins avec une telle puissance, pourquoi bouder votre plaisir ?