Elle a obtenu le prix Femina étranger en 2010 avec son roman «
Purge », elle revient avec son «
Quand les colombes disparurent », une oeuvre dense et poignante.
C'est le troisième volume consacré à l'histoire de son pays (après «
Les vaches de Staline » et «
Purge »).
Au travers du portrait d'un écrivain, Edgar Meos, (nommé dans le livre « Edgar Parts »), écrivain « officiel » pro-soviétique dans les années 60 et qui a été auparavant collaborateur pro-nazi pendant la guerre, c'est l'histoire d'un peuple meurtri par deux tyrannies successives qui défile sous nos yeux ; tyrannie nazie d'abord et oppression soviétique ensuite.
Les héros de ce livre sont confrontés à des choix difficiles, et doivent rejoindre la clandestinité afin de se battre dans l'espoir de voir une Estonie indépendante.
Edgar, lui, sera l'homme de l'ombre, des secrets. Il va dissimuler ses activités pro nazies.
Sa femme Juudit, va vite rejeter ce mari trop froid à son égard et va vivre une passion au grand jour avec un officier allemand, le bel Hellmut Hertz.
Roland est le cousin d'Edgar, il va faire le choix inverse et choisir de combattre l'occupant allemand.
Bien des années plus tard, Edgar va rechercher ce qu'a pu devenir son cousin , qu'il a cru pendant longtemps exécuté dans ce terrible camp nazi Klooga qui avait remplacé les déportations vers la Sibérie organisées auparavant par l'occupant soviétique. Ce camp de concentration de Klooga où furent emprisonnés 3 000 Estoniens juifs ou prisonniers politiques.
L'histoire de deux périodes est évoquée ici, avec des allers et retours entre ces deux périodes : les années 40 d'un côté et les années 60, de l'autre côté.
Chaque chapitre démarre avec une très belle illustration, c'est un timbre de l'époque reproduit et portant au fil des chapitres, les mentions Potchta CCCP (poste soviétique) quand le pays était sous occupation soviétique et successivement « Deutsches Reich » et « Grossdeutsches Reich » (le Grand Reich…) quand le pays était sous domination allemande), petit détail bien observé.
Le style n'est pas toujours facile tant il est foisonnant, dense. Plusieurs narrateurs interviennent et les changements fréquents d'époque ( années 40 d'un côté, années 60 de l'autre) rendent la lecture parfois un peu difficile mais cela ajoute du rythme.
Les personnages sont bien campés et l'atmosphère de délation, de questionnement et d'incertitude est extrêmement bien rendue.
Chaque personnage semble naviguer comme il peut entre trois possibilités : se battre pour une Estonie indépendante (choix le plus risqué), collaborer avec l'occupant allemand ou rejoindre le camp soviétique. C'est ce que fera Edgar, après avoir « retourné sa veste » fort habilement.
Une période trouble admirablement décrite.
Des détails palpitants qui émaillent le récit comme cette scène de spiritisme où Roland a des « nouvelles » de sa fiancée disparue, officiellement pour suicide mais qui déclare au cours de cette séance avoir été tuée.
Et des détails historiques qui foisonnent comme la volonté des Allemands d'exploiter les schistes bitumineux d'Estonie (déjà à cette époque !) et d'y « affecter » les prisonniers des camps et comme les détails de la vie quotidienne du temps de l'occupation soviétique, où il fallait un bon d'achat (difficile à obtenir !! ) avant de pouvoir acheter un réfrigérateur..)
Un souffle puissant,
Sofi Oksanen est un écrivain jeune et qui a de l'avenir. Elle écrit en finnois, langue proche de l'estonien. Son oeuvre a valeur de témoignage historique.