Quand elle était enfant, elle se faisait remonter les bretelles si elle disait tout haut des mots comme Dieu, Satan, le tonnerre, la mort. Aliide avait parfois essayé en cachette, elle les avait tous répétés à tour de rôle. Au bout de quelques jours, une poule était morte.
Ceux qui rentraient des camps ne se plaignaient jamais de rien, n'étaient jamais en désaccord et ne râlaient en aucun cas. C'était insupportable. Aliide sentait un puissant désir de leur arracher les rides des coins des yeux et les sillons des joues, de les enrouler en pelote et de les renvoyer dans le train qui passait par Narva.
Dans cette cave de la mairie où Aliide avait disparu et d'où elle voulait réchapper en vie, même si la seule chose qui était restée vive était le honte.
des vies douloureuses, un passé lourd en secrets et trahisons : 2 femmes qui ne se rencontrent pas par hasard et qui survivent dans l'Estonie post-communiste...
La fille passait en revue les membres de son corps, le bras, le poignet et la paume, tous les doigts à leur place, puis les orteils du pied nu sans pantoufle, le pied lui-même, la cheville, la jambe, le genou, la cuisse. Le regard ne monta pas jusqu'à la hanche, mais passa soudain à l'autre pied nu.
La fille ammena à elle son pied nu avec la pantoufle et se palpa lentement la cheville, comme quelqu'un qui avait oublié la forme d'une cheville, comme un aveugle qui palpe un inconnu; Filalement elle parvint à se lever;
Elle avait peur avant même de réaliser que c'était l'odeur du camp qu'elle reconnaissait, et la conscience du camp qu'elle voyait dans leurs yeux. Elle était toujours dans leurs yeux, la conscience du camp.
Tandis que Martin, dans la famille, s’occupait de ce qui concernait l’éducation de l’enfant, Aliide prenait en charge tout ce qui concernait les files d’attente. Elle fit la queue en tenant Talvi par la main, la formant ainsi à une vie d’honnête femme soviétique.
Il n’y avait plus de temps pour les vieilles histoires, parce qu’elles ne disaient rien sur ce qu’il fallait faire quand une saison particulière arrivait.
Dehors, on n'osait pas bouger, le sol croulait sous les lamentations, et chaque tombe creusée dans la terre d'Estonie s'enfonçait de tous côtés en présageant davantage de morts dans la famille. Le tumulte du front traversait le pays dans tous les recoins et chaque recoin appelait à son secours Jésus, l'Allemagne et les anciens dieux.
Ma petite fille, dans la terre du désespoir poussent de mauvaises fleurs.