Voilà une oeuvre de littérature politique majeure. Avec
La Ferme des Animaux,
1984 constitue le chef d'oeuvre de Orwell. Cette contre-utopie pousse l'horreur des totalitarismes jusqu'au bout du bout. Ce n'est plus seulement la liberté qui est bafouée, c'est l'humain en tant qu'individualité, en tant qu'être pensant et sensible, qui est éradiqué. le Parti n'a qu'un objectif: faire triompher le monde des idées sur celui de la réalité. Il n'y a plus d'autre réalité universelle que celle dictée par le Parti. Une nouvelle langue est instaurée (le novlangue, qui réduit à son plus simple appareil la communication sociale) , l'histoire n'existe plus, le seul passé qui vaille débute en l'An 0 du parti. le personnage principal, Winston, s'apprête à donner sa vie pour la "résistance", sombre mouvement dont on n'est même pas sûr de l'existence. Membre du parti extérieur, chargé des falsifications de documents, il semble être l'un des seuls à réagir devant l'omnipotence de Big Brother (égérie de Staline). Son histoire est supposée nous mener à la découverte des méandres du régime, mais c'est plutôt l'inverse qui ressort.
En effet, le seul reproche qu'on pourrait faire à Orwell, c'est de souvent se laisser aller à de longues tirades explicatives sur le fonctionnement du régime du Parti, ses subtilités et ses modalités d'intervention, aux dépens de la trame narrative. La littéralité du texte laisse à cet égard désirer. Il m'a souvent manqué un brin de poésie dans les descriptions éclairées de cette société fantasmée. le génie est là, et il réside dans la projection que se fait Orwell du totalitarisme à l'état pur uniquement; pas dans l'histoire ou la romance, qui n'apparaissent finalement qu'en filigrane. Et c'est bien dommage. Est-ce là un aspect systématique du roman politique? Si c'est le cas, c'est moi qui ai un peu de mal avec le genre.
Il faut avoir à l'esprit que tout est pensé à partir de ce qu'il voit en URSS, de ce qui s'y déroule au nez et à la barbe de tous ses contemporains. C'est là un développement paroxysmique potentiel du régime stalinien. Ne tombant jamais dans l'excès sans raisonnement philosophique ou psychologique en appui (notamment dans la dernière partie, la plus brillante à mes yeux) Orwell parvient à tutoyer les confins de la cruauté humaine et des perversités du pouvoir. Et ce qui est à la fois exceptionnel et terrifiant, c'est que l'on pourrait très bien imaginer une telle dérive politique après avoir vécu un XXème siècle si riche en envolées autocratiques.