Et voilà, la trilogie est bouclée ! Comme ça avait déjà été le cas entre «
Marius » et «
Fanny », j'ai lu plusieurs autres livres avant de me lancer dans celui-ci… mais en quelque sorte c'est moins gênant puisque, comme annoncé, on fait ici un véritable bond dans le temps !
Césariot, le fils de
Marius et de
Fanny, adopté de fait par Honoré Panisse avec qui
Fanny s'était mariée dans une certaine urgence, et ignorant tout de son géniteur, a désormais 20 ans. L'accident cardiaque, suivi du bref rétablissement et puis de la mort de Panisse, donnent lieu – à mon sens – aux passages les plus savoureux et, surtout, les plus émouvants de ce dernier opus, avec notamment une critique voilée sur l'Église, voilée mais pleine de tendresse pour ses représentants, dont le vieux curé Elzéar, nouveau personnage qui en plus n'apparaît que peu, ici, mais qu'on comprend très vite ami d'enfance de la bande des anciens, homme plein de bon sens et d'humanité comme on voudrait que les curés aient toujours été…
Le reste du livre m'a semblé, de façon générale, plus « dispersé » - dans le sens où, contrairement aux précédents, on n'a plus d'unité de lieu (autrefois Marseille et surtout le bar de
César, même si les personnages se déplaçaient aussi chez Panisse ou chez Honorine et
Fanny – désormais on va aussi à Toulon ou à Cassis, par exemple), ni d'unité de temps (puisqu'on commence avec la mort de Panisse, 20 ans après les deux épisodes précédents, puis on passe encore deux ans, etc.). Ainsi, on glisse d'une scène à l'autre, d'un lieu à l'autre, en très peu de pages – le format total du livre restant concentré sur moins de 200 pages – mais tout à coup ça semblerait presque trop rapide, peut-être un peu décousu même.
Avec ça, si on compare avec les deux pièces précédentes, je trouve qu'on « sent » ici que l'original du texte n'était plus destiné au théâtre, mais au cinéma, avec sans doute des effets variés etc. qui changent quelque peu la façon de concevoir une pièce. Rappelez-vous : pour
Marius surtout, mais également (quoique de façon peut-être moins marquée) pour
Fanny, j'avais eu le sentiment que les dialogues se suffisaient à eux-mêmes, à tel point que, moi qui n'aime pas (en général) lire une pièce car je préfère infiniment la voir jouée, je n'avais pas été gênée. Or, ici dans
César, on a envie de voir la pièce ou le film ; certes, l'écriture est très largement visuelle, et dès lors suffisante pour que le lecteur voie son propre film se dérouler dans sa tête ! mais le pur enchantement que j'avais ressenti à la lecture de
Marius n'est plus au rendez-vous.
Le moment où un tel manque se fait particulièrement ressentir, c'est la scène de la rencontre entre
Marius et
Césariot, et plus encore celle où
Marius se rend compte qu'il s'agit bien de son fils : dans aucune des deux je n'ai trouvé l'émotion que j'aurais espérée. Clairement, dans ces deux scènes essentielles de la pièce (outre le retour de
Marius à Marseille, et ses retrouvailles avec les uns et les autres), c'est sans aucun doute le jeu des acteurs qui pouvait apporter toute cette part d'émotion, et qui l'a sans doute effectivement apportée… tandis que le texte seul ne suffit plus tout à fait.
Du côté des bons points, il faut souligner que, même si quelques années seulement séparent l'écriture de cette pièce-ci des précédentes (du moins la version cinéma, car il a fallu encore 10 ans supplémentaires pour la présente version théâtre), on sent une réelle progression dans les moeurs, notamment en ce qui concerne le regard de la société sur la femme ! Ici,
Fanny n'est plus une pauvre petite chose qui doit se marier vite fait pour éviter tout déshonneur. Certes, son fils continue de se soucier d'elle, de son veuvage et des dernières recommandations de Panisse à son sujet, avec cette attention toute masculine d'un fils de bonne famille qui se sent tout à coup responsable, mais
Fanny quant à elle ose enfin se défendre, et même l'entourage de
Césariot (dont
César, justement) lui laisse entendre qu'elle est une femme capable de faire ses propres choix… et qu'elle l'était déjà à 18 ans ! C'est une évolution prometteuse, qui semble faire un pied-de-nez à la vision plus ancienne que certains défendent encore.
Tout cela étant dit, je ne peux que répéter que la qualité du texte, avec cette grande maîtrise de la langue française, et des dialogues en particulier, que j'avais déjà relevée dans les deux opus précédent, ne se dément pas : cette lecture, même un peu plus décousue et avec parfois l'impression de "répétition" de ce qui avait marché dans les deux pièces précédentes, reste un très grand plaisir !