Ce recueil a été écrit peu de temps avant le décès en 2014 de Jean-Claude Pirotte, entre 2010 et 2011. Le mot " mort" y est omniprésent.
Mais qu'on ne se méprenne pas: le poète fait la nique à cette mort prochaine, par l'humour, l'auto-dérision :
" en ouvrant la valise
on n'a trouvé qu'un poème
le corps gisait dans le fossé
sous un buisson de vipérines"...
Cependant, la nostalgie de l'enfance est présente aussi, surtout dans la partie" les ombres d'autrefois", comme toujours dans la poésie de l'auteur, c'est cet aspect que je préfère chez lui:
" pour l'enfant le temps ne passe pas
Il se souviendra pourtant
du tilleul dans la cour d'école
et d'un soleil peint sur un mur"
Il convoque ses amis les poètes comme Jean Follain ou Pierre Morhange, il s'associe avec eux pour célébrer la poésie, tout en gardant un regard humble sur son travail. J'aime cette modestie, cet air de ne pas y toucher. Mais on sent bien comme il est attaché aux mots:
" La nuit quand je pense à la poésie
Je ne peux ne peux pas dormir"
Un recueil où se mêlent légèreté et angoisse, ironie voilée de mélancolie, jeux sur les mots et intensité gravée dans l'instant présent, bientôt perdu...
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Entre, lune, par la soupente
entrouverte car il est temps
d'écrire ensemble la romance
de ton reflet dans les étangs
entre poser sur ma main blanche
et ma page tout aussi blanche
ton regard avant que le temps
nous sépare d'un coup d'épaule
viens murmurer à mon oreille
ce que ne dit pas le soleil
viens partager ma longue attente
et me dicter les mots de craie
sur l'ardoise de mon enfance
croque-mort et croque-au-sel
c'est au mètre que j'écris
les poèmes du carnet
ils sont fanés ils sont gris
canés avant d'être nés
les pages multicolores
de ce carnet pour artistes
elles m'inspirent l'horreur
de n'être pas ébéniste
ou simple cultivateur
ou fabricant de moteurs
ou notaire ou parasite
ou déjà mort à cette heure
j'espère prendre la fuite
mais le carnet me menotte
et me tient ici captif
de moi-même en quelque sorte
p.41
croque-mort et croque-au-sel
voici qu'il faut mourir
est-ce ennuyeux, docteur ?
il faut mourir à pied
à cheval en voiture
en tramway à carbure
en patache à vélo
mourir sans trémolos
dans la voix mais mourir
pour de vrai fini de se nourrir
de boire l'apéro
de prendre le galop
pour attraper le train
pour gagner du terrain
dans notre société
fini de se hâter
vers la ravine du rien
p.23
les ombres autrefois
avoir vraiment peu de moyens
et pas d'idées du tout
c'est la gloire à l'infini
on entend les pins sylvestres
murmurer des mots épars
et par les soirs la chevêche
chuchoter avec la lune
on ne comprend rien mais c'est beau
d'être égaré jusqu'à la fin
(i.m. André Dhotel)
p.117
croque-mort et croque-au-sel
les poèmes du matin
ne sont pas ceux de la fin
du jour ou des haricots
faut s'en faire une raison
ils sont comme les échos
de la bourse au lendemain
de la chute des actions
ils sont dus à l'inflation
démonétisés avant
d'avoir pris l'air et le vent
ça chuchote à la corbeille
et toi lorsque tu t'éveilles
tu constates que tu peux
dormir sur tes deux oreilles
la banque est toujours debout
fidèle à son cœur de boue
p.39
« […] J'ai reçu de François Dhôtel (1900-1991), sous la forme d'un « tapuscrit » photocopié […], la merveilleuse suite de poèmes que voici. Je me suis dit qu'André Dhôtel, à la mort de qui je n'ai jamais cru, se dévoilait soudain plus vivant que jamais, avec la lumière pailletée de son regard et son sourire en coin.
[…]
Maintenant ces poèmes sont là, qui n'ont rien de testamentaire, même si l'on devine que leur auteur peu à peu s'absente - mais c'est pour mieux affirmer une présence imprescriptible.
Voici ces poèmes, dans l'ordre où je les ai reçus. […] Les poèmes naissent de la couleur du ciel, du temps qu'il faut, d'un écho des jours ordinaires et miraculeux, comme les impromptus qu'aimait tant Dhôtel, ou les petites pièces de Satie. […]
Au rythme séculaire des premières lectures éblouies,
« Voici donc le chant
de la jeunesse oubliée
et des souvenirs perdus »
[…] » (Jean-Claude Pirotte)
« […] Des paroles dans le vent
en espérant que le vent
est poète à ses heures
et nous prêtant sa voix
harmonise nos artifices.
Nos strophes seraient bien des branches
avec mille feuilles que l'air du large
fera parler peut-être un jour
où personne n'écoutera.
Car l'essentiel serait
qu'on n'écoute jamais
et qu'on ne sache pas
qui parle et qui se tait.
[…] » (Espoir, André Dhôtel)
0:00 - Abandon
2:00 - Attente
3:30 - En passant (II)
4:50 - La preuve
5:30 - L'inconnu
6:15 - Splendeur (II)
6:46 - Générique
Référence bibliographique :
André Dhôtel, Poèmes comme ça, éditions le temps qu'il fait, 2000.
Image d'illustration :
https://clesbibliofeel.blog/2020/04/08/andre-dhotel-idylles/
Bande sonore originale : Scott Buckley - Adrift Among Infinite Stars
Adrift Among Infinite Stars by Scott Buckley is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License.
Site :
https://www.scottbuckley.com.au/library/adrift-among-infinite-stars/
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