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EAN : 9782850250736
Fernand Hazan (30/11/-1)
4/5   3 notes
Résumé :
- Une lecture saisissante de l’art de Giotto à travers le contexte religieux de son temps et les réponses apportées par ce dernier à ses enjeux. Avec cet essai intelligent et d’une belle clairvoyance, Marcelin Pleynet nous invite à lire l’oeuvre du maître italien de la fin du Moyen Age qu’était Giotto (1267-1337) à travers le contexte culturel et religieux de son temps, marqué en particulier par le mouvement d’émancipation introduit par la révolution du dogme du Pur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Analyse de l'oeuvre de Giotto, peintre né près de Florence en 1266-1267 parfois un peu pointue. Marcelin Pleynet insiste sur des éléments essentiels pour comprendre l'oeuvre du peintre dans son époque. Ses liens avec l'Eglise : à cette époque, les artistes sont dans une relation de quasi domesticité vis à vis de leurs commanditaires. Ainsi, même si Dante le cite dans sa "Comédie", les deux hommes ne se sont probablement jamais rencontrés et ont encore moins entretenu des relations amicales tant leur situation sociale étaient différente. L'institutionnalisation du dogme du Purgatoire par l'Eglise est fondamentale pour l'auteur pour comprendre l'oeuvre de Giotto car elle lui permet d'introduire une autre dimension dans sa peinture, de se démarquer des Grecs et Byzantins. L'auteur évoque peu l'oeuvre d'architecte de Giotto mais il insiste sur ses liens avec Saint François (cycle d'Assise) et sur sa progression phénoménale quand il peint la chapelle des Scrovegni à Padoue. Ces peintures constituent en effet un choc artistique, une fascination sensible, visuelle, intellectuelle. Une organisation de l'espace, des visages expressifs grâce au jeu des regards, une introduction de la perspective et surtout surtout des couleurs fantastiques, extraordinaires et un Bleu envoûtant. En mettant l'Homme au centre de l'Univers, en privilégiant une peinture de la vie, de la joie, Giotto, très en avance sur son époque est vraiment introducteur de la Renaissance.
De belles reproductions, de grande qualité mais de petites dimensions (ouvrage de moyen format)
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Ce qui sera repris quelques années plus tard par M. Bucci : « Giotto est donc à l’opposé de Dante qui est resté un homme de l’ancien régime » Mais nos auteurs ne sont-ils pas encore, eux aussi à leur façon, prisonniers de la légende ? En effet même à suivre les déclarations de Filippo Villani , contemporain du peintre, et selon qui Giotto aurait été un homme d’une grande culture et d’une éducation raffinée, peut-on vraisemblablement imaginer, en ce tout début du XIVe siècle, une discussion dogmatique entre un peintre et l’auteur du Convivio et du de Monarchia, un des plus subtils et complexes savants érudits de son siècle (E. Gilson), dont l’oeuvre « représentait la somme du savoir et le principal accès des esprits à l’ordre supérieur » (A. Chastel . Faut-il rappeler ici ce que G. Duby nous dit de la situation de l’artiste en cette fin du XIIIe et en ce début du XIVe siècle ? Le dialogue entre les deux hommes ne semble pas beaucoup plus vraisemblable que leur lien d’amitié ; et ce non pour des raisons d’accords ou de divergences doctrinales, mais pour des raisons sociales. « Les Alighieri qui se disaient de souche romaine, appartenaient à cette vieille bourgeoisie urbaine qui, propriétaire de maisons en ville et de domaines ruraux, pouvait sans exercer de négoce et d’industrie, sans pourtant se confondre avec l’ancienne noblesse féodale, mener la vie de gentilhomme . » Selon la légende, Giotto était un pauvre berger et son père « simple laboureur et bonhomme » (Vasari). Deux conditions sociales qui ne semblent pas devoir à priori faciliter de rencontres, ni d’échanges intellectuels, mais qui tout au contraire laissent supposer (mais faut-il vraiment insister sur ce point ?) que, si grande et « raffinée » qu’ait été la culture de Giotto, elle ne pouvait avoir aucune commune mesure avec celle de Dante ; et qu’en conséquence un débat dogmatique entre les deux hommes était impensable. Dante, pour jouer un rôle politique à Florence, semble condescendre à s’inscrire en 1293 à l’Art des médecins et apothicaires, il a 28 ans ; Giotto malgré sa gloire, devra attendre jusqu’en 1327, il a 60 ans, pour pouvoir faire partie de cette même congrégation qui n’admettra les peintres, qu’à partir de cette date. Notons par ailleurs que le même Filippo Villani, qui déclare que Giotto « à part la peinture, fut un homme d’un grand esprit », croit encore devoir écrire en 1380, soit 43 ans après la mort de l’artiste : « Beaucoup considèrent, et non sans raisons, que les peintres ne sont pas intellectuellement inférieurs à ceux que les arts libéraux ont menés à la maîtrise ; ceux-ci acquièrent par l’étude et l’instruction les règles de leur profession rédigées dans les livres, mais ceux-là ne dégagent les règles de leur art que par la force de leur talent et la vigueur de leur mémoire . » Ce qui est en effet beaucoup dire et notamment qu’à la fin du XIVe siècle on pouvait encore considérer les peintres comme « intellectuellement inférieurs ». Mais au demeurant, et si nous nous en tenons aux faits établis, nous n’avons rien à imaginer ou à inventer. Ces oeuvres sont toutes deux grandes, et si le même siècle qui les voit naître inévitablement les associe, c’est que chacune selon sa spécificité se trouve fondamentalement associée aux structures explicites et implicites, conscientes et inconscientes, qui génèrent ce siècle. C’est bien entendu d’abord parce que du De vulgari eloquentia, au Convivio, au De Monarchia, à la Divine Comédie, Dante s’emploie à jouer et à établir les débats dogmatiques (philosophiques, théologiques, esthétiques) qui dynamisent et divisent son siècle, que Giotto se trouve partie prenante dans l’oeuvre du poète. Chacun dans sa discipline spécifique se marquant au premier plan de ce que le siècle compte de plus grand. Et de l’un à l’autre le rapprochement tient essentiellement à ce qu’un même dynamisme, une même force motrice porte et emporte l’oeuvre. Lorsque renversant la proposition de Vasari on veut opposer les deux hommes, en déclarant Dante « médiéval » et Giotto « moderne », on oublie un peu facilement que des deux c’est le « médiéval » qui fut au ban de la société de son siècle et qui mourut en exil, alors que le « révolutionnaire », le « moderne » se trouvait bénéficier des faveurs de la papauté et honoré dans la même cité qui condamna le poète à être brûlé. De cet excès de peines à cet excès d’honneurs le siècle me semble manifester si bien ce qui l’occupe que la postérité reconnaîtra, avec raison, dans ces deux hommes les pères de « l’italianité », les fondateurs d’une nation. Mais alors, mais pourtant, et en fonction même du rôle qu’on leur attribue, qu’en est-il des forces qui habitent et dynamisent ces deux oeuvres ?
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Sans doute, aveuglé par l’évidence, on n’a, semble-t-il, pas suffisamment mis en relief l’un des éléments fondamentaux qui structurent la Divine Comédie en trois parties. Passée aujourd’hui, si je puis dire, dans les moeurs, la division de l’au-delà entre Enfer, Purgatoire, Paradis, semble au commentateur de Dante tellement aller de soi qu’il ne s’arrête pas à remarquer que si cette ordonnance de l’au-delà (sans laquelle la Divine Comédie ne pourrait pas être ce qu’elle est, sans laquelle la Divine Comédie n’existerait pas)... que si cette ordonnance de l’au-delà est dogmatiquement justifiée lorsque Dante commence, en 1300, son voyage outre-tombe, elle ne l’aurait pas été à peine trente ans plus tôt. C’est en effet en 1274 (Dante a 9 ans et Giotto 7 ans) au cours du deuxième concile de Lyon que, vraisemblablement sur l’initiative de saint Bonaventure, la croyance au Purgatoire devient un dogme, et que, par voie de conséquence, Cimabue et Giotto trouvent place dans l’oeuvre de Dante. Comment ne pas retenir cette aventure qui bouleverse le siècle et les siècles à venir et qui associe l’oeuvre de Giotto à celle de Dante ?... N’est-ce pas là, d’abord et essentiellement là, que leur rencontre est documentée ? N’est-ce pas à partir de là que les deux oeuvres fabuleuses irradient vérités et légendes sur les siècles à venir ? L’invention du Purgatoire, comme le manifeste génialement la Comédie de Dante, n’est- elle pas la clef de l’organisation du nouvel ordre symbolique qui occupe et bouleverse la deuxième moitié du XlIIe et le début du XIVe siècle ? Pour éclairer cela il faut prendre en considération le très important et décisif essai publié par Jacques Le Goff en 1981 : La naissance du Purgatoire . Ce livre en effet permet (il faudrait dire oblige) entre autres de reconsidérer l’ensemble des études qui tendent à diviser et à établir dans leur autonomie Moyen Age et Renaissance ; et notamment quant au rôle respectif de Giotto et de Dante dans cette histoire. Il faut évidemment ici renvoyer à ce livre qui détermine en quoi le Purgatoire est une affaire chrétienne et essentiellement catholique, et qui fixe la reconnaissance de ce nouveau système de l’au-delà par les institutions religieuses entre le début et la fin du XIIIe siècle. L’établissement du dogme en tant que tel commençant autour de 1202, pour se poursuivre par la prise de parti d’Alexandre de Halès (théologien officiel du 4e concile de Latran), avant de se conclure en 1274 au 2e concile de Lyon qui, sous l’influence de saint Bonaventure, lui donne une formulation officielle dans l’Église latine. En analysant ce que, dans son Commentaire sur Pierre Lombard, saint Bonaventure écrit à propos des remises de peines au Purgatoire et dans le siècle, J. Le Goff écrit : « Bonaventure est amené dans la ligne d’Alexandre de Halès, à insister sur le pouvoir de l’Église en général et du pape en particulier sur le Purgatoire. Texte très important sur le chemin du développement des indulgences et du pouvoir pontifical sur les morts que Boniface VIII inaugurera à l’occasion du Jubilé de 1300. » (C’est moi qui souligne ]) Je souligne en effet dans la mesure où nous retrouvons ici, et si je puis dire au départ, tous les héros de notre aventure : Giotto réalisant sous le règne de Boniface VIII l’oeuvre qui lui vaudra sa gloire et sa notoriété ; Dante aux prises avec le même Boniface VIII, entamant le récit de sa descente aux Enfers l’année même du Jubilé [. Mais c’est sans doute moins la rencontre effective de tous ces personnages, le rôle de saint Bonaventure dans l’institutionnalisation du Purgatoire, dans la transformation de l’Ordre franciscain comme dans les ambitions théocratiques de Boniface VIII, et le rôle de Boniface VIII et de saint Bonaventure dans le cycle « giottesque » des fresques d’Assise et dans la carrière de Giotto, qui doivent ici nous arrêter, que ce qui motive et conjugue leur activité. Attaché à définir l’ordre symbolique d’une forme expressive (la peinture de Giotto), nous ne pouvons bien évidemment pas faire l’économie d’un mouvement de croyance religieuse qui bouleverse à ce point l’organisation de la sensibilité et de la pensée métaphysique d’une époque à travers les rapports que l’homme entretient avec sa mort, avec sa survie, avec son éternité. L’analyse de ce qu’il en est de « l’association entre art et piété, sans laquelle le développement italien serait inintelligible » (A. Chastel) ne peut pas ne pas y trouver une autre, une nouvelle dynamique. J. Le Goff démontre en effet, on ne peut plus clairement, que, jouant le passage d’un schéma binaire (bien/mal - Enfer/Paradis) à un schéma ternaire (bien et mal pris dans la logique intermédiaire dialectique d’une juste appréciation des fautes : Enfer/Purgatoire/Paradis) , l’établissement du Purgatoire ne peut pas être considéré comme un « à-côté secondaire », un rajout mineur à l’édifice primitif de la religion chrétienne, telle qu’elle évoluera au Moyen Age, puis sous sa forme catholique. L’au-delà est un des grands horizons des religions et des sociétés, la vie du croyant change quand il pense que tout n’est pas joué de la mort. Cette émergence, cette constatation séculaire de la croyance au Purgatoire supposent et entraînent « une modification substantielle des cadres spatio-temporels de l’imaginaire chrétien » . Et il faut ajouter, par voie de conséquence, une modification logique de l’ordre des formes symboliques. Etienne Gilson écrit ainsi de Dante : « à s’en tenir à son propre temps, ou au moment de la civilisation européenne qu’il représente, Dante fait éclater tous les cadres. Aucun trouvère, ni troubadour, n’a rien écrit de comparable à la Vita Nova, aucun poète épique, écrivant " de France, de Bretagne et de Rome la grande " n’a laissé d’oeuvre d’art qui puisse se comparer, de si loin que ce soit, à la Divine Comédie. Il ne s’agit pas d’une différence de degré dans l’art, mais d’espèce » . Modification de l’ordre symbolique dans le rapport du latin à l’italien chez Dante , de l’espace mythique à l’espace synthétique chez Giotto . Rapport que, dans un cas comme dans l’autre, on peut penser, à travers la mise en place d’une « modification substantielle des cadres spatio-temporels de l’imaginaire » (Le Goff), comme la création d’une nouvelle langue enracinée et étroitement liée aux conditions de son apparition. Si nous suivons J. Le Goff, précisant que le Purgatoire s’installe dans la croyance chrétienne entre 1150 et 1250 environ , et qu’il se trouve établi comme dogme en 1274, nous pouvons évidemment nous demander s’il fallait plus d’un siècle pour que la nouvelle disposition mythique programme sa manifestation symbolique et formelle. Cela se comprendrait sans doute assez mal si nous ne prenions pas ici en considération le mouvement et l’articulation des trois ordres (social, religieux, artistique) que distingue G. Duby. Le surgissement, l’installation et le développement de la croyance au Purgatoire se produisent d’abord dans un contexte social et religieux extrêmement troublé, et c’est ce trouble lui-même qui lui donnera naissance et en retardera l’établissement. Il faudra attendre la réalisation du rêve d’Innocent III (voyant un pauvre hère — saint François — soutenir la basilique de Latran sur le point de tomber en ruine), à savoir la fondation de l’Ordre des Franciscains, puis son organisation théologique et doctrinale par saint Bonaventure (faisant suivre à la nouvelle communauté une évolution pareille à celle de l’Église primitive , et insistant sur le pouvoir de l’Église en général et du pape en particulier sur le Purgatoire) pour que, des Pisano, Cavallini, Cimabue et, par l’intermédiaire du pouvoir théocratique de Boniface VIII, Giotto, surgisse la géniale réalisation de cet espace intermédiaire qu’il faudrait apprendre à juger pour lui-même dans la mesure où c’est d’abord d’être lui-même qu’il est promesse d’avenir. Quel que soit le point de vue à partir duquel on le considère, sa différence reste en effet non pas « différence de degré dans l’art, mais différence d’espèce ».
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Credete Cimabue nella pittura, tener lo campo,
ed ora ha Giotto il grido,
si che la fame di colui è oscura.

Cimabue crut dans la peinture tenir le champ,
et Giotto à présent a le cri,
si bien que la gloire de l’autre est obscure.

Dante, Purgatoire chant XI, 94/96
(traduction Jacqueline Risset, La Divine Comédie, Ed. Diane de Selliers, 2008).

Si comme on le suppose Dante a terminé le Purgatoire autour de 1312-1313, c’est donc 24 ans avant sa mort en 1337 que Giotto est engagé à expier et à se purifier de sa faute ; l’orgueil que ne peut pas ne pas produire une gloire, pourtant toujours vaine (« Oh vana gloria dell’umane posse ! / com poco verde in sula cima dura / se non è giunta dall’etati grosse ! » — « Oh vaine gloire des oeuvres humaines, combien peu dure le vert de son feuillage, s’il n’est suivi d’âges plus grossiers »). De Giotto à Dante les quelques vers du Purgatoire qui font suite à cette déclaration vont établir une légende dont il est aujourd’hui encore difficile de clarifier l’ensemble des données. Ces vers ne sont pas en effet précisément un éloge de Giotto ; mais que de son vivant un peintre figure dans une oeuvre de l’importance de la Comédie, voilà qui ne pouvait pas laisser indifférent une corporation qui n’avait pas encore ses lettres de noblesse : « à une époque, comme l’écrit A. Chastel, où le poème représentait la somme du savoir et le principal accès des esprits à l’ordre supérieur » [5]. Que la gloire de Giotto et celle de Dante survivent aux siècles, transformant le peintre et le poète en champions de « l’italianité », en héros nationaux, voilà qui bien entendu ne devait pas manquer de conforter et d’alimenter les légendes. De 1312-1315 (l’imprécision ici étant dépendante des doutes persistants quant aux dates de composition de la Comédie) il semble que ces trois vers aient suffisamment impressionné le chroniqueur ferrarais Riccobaldo pour qu’il mentionne à son tour aussitôt la réputation de Giotto . En 1340 Filippo Villa ni parlera d’un autoportrait de Giotto jumelé avec celui de Dante au Bargello. Pour Boccace (1350) « Giotto se situe aux seuils des temps nouveaux avec la même majesté que Dante. » En 1376, dans son commentaire sur la Comédie, Benvenuto da Imola évoque une anecdote selon laquelle Giotto aurait rencontré Dante à Padoue ... Et Vasari établit et conclut : « parmi les portraits qu’il exécute, on peut voir encore aujourd’hui dans la chapelle du podestat de Florence, celui de Dante Alighieri son contemporain et ami très intime ». Les historiens suivront et reprendront cette thèse, d’Algoretti au XVIIIe siècle, à Goethe et Focillon : témoignages et commentaires tous au demeurant aussi douteux que convaincants dans la mesure où le feu purgatif de Dante se reconnaît incontestablement comme la source vive de... ces fumées. On ne pourra pas soustraire de la Divine Comédie les trois vers que Dante consacre à Giotto et, quoi que l’on fasse, on ne pourra sans doute jamais justifier ce qu’au cours des siècles l’intérêt et la bonne volonté y ajoutent. Giotto et Dante sont absolument contemporains, le poète ne figure pas dans l’oeuvre du peintre, le peintre figure au Purgatoire dans l’oeuvre du poète. Il faut centrer toute interprétation sur cela si l’on ne veut ni ajouter à la fable, ni soustraire à la réalité. Il semble en effet qu’en réaction à une attitude qui consistait à associer les deux biographies, un certain nombre d’historiens s’emploient aujourd’hui, parfois brutalement, à dissocier les deux oeuvres. Mettant en évidence le soutien qu’apporte à Giotto le même Boniface VIII que Dante vilipende et place en Enfer (au huitième cercle dans la « Bolge » de ceux qui, contre argent, ont trafiqué des choses saintes : les simoniaques), comme le père du Scrovegni qui commandera la chapelle de l’Arena de Padoue à Giotto, E. Battisti déclare qu’il dut y avoir entre Dante et Giotto « un contraste d’idées violent et irrémédiable qui aurait pu prendre aussi l’aspect, s’ils s’étaient vraiment rencontrés, d’une opposition de partis », et encore : « la comparaison entre Giotto et Dante, de laquelle il faut désormais conclure à une opposition plus qu’à un accord, est en définitive favorable à Giotto ; plus spontanément lié à la terre que Dante, moins mystique et moins médiéval, il est davantage un homme moderne » .
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[...] Nous ne savons pratiquement rien des séjours du peintre à Naples (1330), à Bologne, à Milan (1335), les oeuvres ont été détruites ; comme elles ont failli l’être à Florence, dans les chapelles Peruzzi et Bardi, où il ne reste aujourd’hui que ce qu’il faut bien considérer comme des vestiges de l’activité de la dernière partie de la carrière de Giotto. Commandées par les franciscains et exécutées entre 1310-1313 (Previtali) pour la chapelle Peruzzi et entre 1320-1325 (Previtali) pour la chapelle Bardi, les fresques de Santa Croce ont été recouvertes de badigeon au début du XVIIIe siècle, dégagées, complétées et en partie repeintes au milieu du XIX· siècle, el enfin autant que possible restaurées en 1958, 1959, Cette suite de mésaventures ayant complètement détruit toute la surface picturale des Scènes de la vie de saint Jean-Baptiste et de saint Jean l’Évangéliste dans la chapelle Peruzzi ; et obligé les restaurateurs de laisser à découvert de grandes lacunes dans les Scènes de la vie de saint François qui illustrent les murs de la chapelle Bardi.

L’état des fresques de la chapelle Peruzzi permet tout juste de constater qu’elles se distinguent du cycle de la chapelle Bardi par une organisation formelle en « cube oblique », alors que dans la chapelle Bardi, sur les 7 scènes de la vie de saint François, 5 sont établies dans une quasi-frontalité et selon une division qui détermine les lignes de fuite des volumes d’un point de vue tour à tour de haut en bas et de bas en haut. Considérer par exemple dans l’Épreuve du feu le haut du baldaquin vu de dessous, les marches du trône vues de dessus ; et dans l’Apparition à frère Augustin le toit bleu de la cellule vu de dessous et le banc vu de dessus.

Mais l’ensemble de la chapelle Bardi ne témoigne pas seulement de l’évolution formelle de la peinture de Giotto, il en caractérise la manière. De la chapelle de l’Arena à la chapelle Bardi, l’échelle change, et avec elle l’ordre et la mesure des rapports qu’elle engage. Une singularisation du décor, du costume et du geste (dans la Renonciation aux biens comme dans l’Épreuve du feu) accompagne et assume souvent avec élégance une monumentalité plus démonstrative et mondaine. Passant de 270 x 230 pour Assise, de 200 x 185 pour Padoue, à 450 x 280 à Florence, la fresque développe le sujet qui s’impose dans sa mondanité et tend à échapper à la légende. Qu’on voie l’ensemble des moines qui assistent à l’Apparition de saint François à frère Augustin, ne dirait-on pas qu’ils se trouvent bien davantage confrontés à une fatalité qu’à un miracle. Dans ce détail, dont la qualité est telle qu’on le juge généralement autographe, les figures de Giotto déclarent pourtant admirablement leur identité et comme dans une ultime fixité qui paraît précipiter en abîme tout ce que par ailleurs nous connaissons d’elles. Même chose avec le personnage du père dans la Renonciation aux biens ; l’échelle de la fresque monumentale transforme l’esprit de la légende. Le père de saint François est et n’est plus un homme à la mesure des mouvances de la vie quotidienne, il théâtralise, avec ceux qui l’accompagnent, un volume de richesse et de pouvoir qui lui donne plus d’autorité que n’en avait le tout-puissant Enrico Scrovegni offrant sa chapelle à la Vierge. La carrière, l’oeuvre, le pouvoir, le monde de Giotto, sont établis et s’achèveront sur cette grande mesure d’inspiration. Il lui reste à devenir « magister et gubernator » des travaux publics et religieux, à fonder « après déracinements des buissons » l’érection, à Florence, du campanile qui portera son nom, pour pouvoir désormais et dans la suite des temps déclarer sans erreur :

« Je suis celui par qui l’art de peindre qui était éteint, a revécu ; celui dont la main est aussi sûre qu’habile. Ce qui faisait défaut à mon art était absent de la nature. Il n’a été donné à personne de peindre davantage ni mieux... Je suis Giotto. »
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Si, de son vivant, Giotto doit sa notoriété au pouvoir pontifical, d’abord à Boniface VIII, qui l’aurait associé au Jubilé de 1300, et encore à Boniface VIII, par l’intermédiaire du neveu du pape le cardinal Jacopo Caetani Stefaneschi qui commande au peintre l’immense mosaïque, aujourd’hui quasi invisible, de la Navicella pour orner la façade de l’ancienne basilique Saint-Pierre à Rome, Giotto doit sa gloire posthume à Dante. Les fresques célébrant le Jubilé, proclamé par Boniface VIII à San Giovanni in Laterano, et en tout cas la Navicella (illustrant la scène où le Christ sauve la barque des apôtres) qui « dominait de ses proportions gigantesques le quadriportique de l’ancien Saint-Pierre-de-Rome » (M. Bucci), ne purent pas ne pas impressionner les contemporains de Giotto quant à sa maîtrise de peintre et quant à sa position sociale ; quant à, si je puis dire, sa position en cour. E. Panofsky note que dès 1320 l’oeuvre de Giotto influençait les artistes bien au-delà de Rome et de l’Italie : « Une peinture murale, du sud-ouest de l’Allemagne vers 1320, conservée à Saint-Pierre à Strasbourg, est un écho de la Navicella... » [3]. Si d’autre part on suit E. Battisti lorsqu’il suppose que la Navicella aurait été commandée par le cardinal Jacopo Stefaneschi « dans le but d’attirer tous les regards des pèlerins qui traditionnellement, à peine arrivés sous le portique de la basilique, se tournaient vers l’est et s’agenouillaient pour adorer le soleil » (E. Battisti cite ici un document, tout de même bien curieux !, publié au XVIe siècle par Mancini [4]), on imagine l’importance religieuse, politique, stratégique, de la tâche confiée au peintre à qui l’on attribue déjà un Saint François soutenant l’Église qui vacille ! De ce point de vue il est incontestable que tous les documents authentiques et légendaires, concourent à nous assurer que la gloire de Giotto de son vivant fut considérable. Et si considérable que Dante en fait quasiment un symbole en l’introduisant dans son Purgatoire en trois vers qui traverseront les siècles [...].
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Vidéo de Marcelin Pleynet
Édouard Manet (1832-1883) : Nuits magnétiques par Jean Daive (1983 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 8 juin 1983. Peinture : Édouard Manet, "Autoportrait à la palette", 1879. Par Jean Daive. Réalisation Pamela Doussaud. Avec Philippe Lacoue-Labarthe (critique, philosophe, écrivain), Dominique Fourcade (écrivain), Marcelin Pleynet (écrivain, critique d'art), Jean-Pierre Bertrand (artiste peintre), Joerg Ortner (graveur, peintre), Jean-Michel Alberola (artiste), Constantin Byzantios (peintre), Isabelle Monod-Fontaine (conservatrice au musée Georges Pompidou) et Françoise Cachin (conservatrice au musée d'Orsay). Lectures de Jean Daive. Édouard Manet, né le 23 janvier 1832 à Paris et mort le 30 avril 1883 dans la même ville, est un peintre et graveur français majeur de la fin du XIXe siècle. Précurseur de la peinture moderne qu'il affranchit de l'académisme, Édouard Manet est à tort considéré comme l'un des pères de l'impressionnisme : il s'en distingue en effet par une facture soucieuse du réel qui n'utilise pas (ou peu) les nouvelles techniques de la couleur et le traitement particulier de la lumière. Il s'en rapproche cependant par certains thèmes récurrents comme les portraits, les paysages marins, la vie parisienne ou encore les natures mortes, tout en peignant de façon personnelle, dans une première période, des scènes de genre : sujets espagnols notamment d'après Vélasquez et odalisques d'après Le Titien. Il refuse de suivre des études de droit et il échoue à la carrière d'officier de marine militaire. Le jeune Manet entre en 1850 à l'atelier du peintre Thomas Couture où il effectue sa formation de peintre, le quittant en 1856. En 1860, il présente ses premières toiles, parmi lesquelles le "Portrait de M. et Mme Auguste Manet". Ses tableaux suivants, "Lola de Valence", "La Femme veuve", "Combat de taureau", "Le Déjeuner sur l'herbe" ou "Olympia", font scandale. Manet est rejeté des expositions officielles, et joue un rôle de premier plan dans la « bohème élégante ». Il y fréquente des artistes qui l'admirent comme Henri Fantin-Latour ou Edgar Degas et des hommes de lettres comme le poète Charles Baudelaire ou le romancier Émile Zola dont il peint un portrait : "Portrait d'Émile Zola". Zola a pris activement la défense du peintre au moment où la presse et les critiques s'acharnaient sur "Olympia". À cette époque, il peint "Le Joueur de fifre" (1866), le sujet historique de "L'Exécution de Maximilien" (1867) inspiré de la gravure de Francisco de Goya. Son œuvre comprend des marines comme "Clair de lune sur le port de Boulogne" (1869) ou des courses : "Les Courses à Longchamp" en 1864 qui valent au peintre un début de reconnaissance. Après la guerre franco-allemande de 1870 à laquelle il participe, Manet soutient les impressionnistes parmi lesquels il a des amis proches comme Claude Monet, Auguste Renoir ou Berthe Morisot qui devient sa belle-sœur et dont sera remarqué le célèbre portrait, parmi ceux qu'il fera d'elle, "Berthe Morisot au bouquet de violettes" (1872). À leur contact, il délaisse en partie la peinture d'atelier pour la peinture en plein air à Argenteuil et Gennevilliers, où il possède une maison. Sa palette s'éclaircit comme en témoigne "Argenteuil" de 1874. Il conserve cependant son approche personnelle faite de composition soignée et soucieuse du réel, et continue à peindre de nombreux sujets, en particulier des lieux de loisirs comme "Au Café" (1878), "La Serveuse de Bocks" (1879) et sa dernière grande toile, "Un bar aux Folies Bergère" (1881-1882), mais aussi le monde des humbles avec "Paveurs de la Rue Mosnier" ou des autoportraits ("Autoportrait à la palette", 1879). Manet parvient à donner des lettres de noblesse aux natures mortes, genre qui occupait jusque-là dans la peinture une place décorative, secondaire. Vers la fin de sa vie (1880-1883) il s'attache à représenter fleurs, fruits et légumes en leur appliquant des accords de couleur dissonants, à l'époque où la couleur pure mourait, ce qu'André Malraux est un des premiers à souligner dans "Les Voix du silence". Le plus représentatif de cette évolution est "L'Asperge" qui témoigne de sa faculté à dépasser toutes les conventions. Manet multiplie aussi les portraits de femmes ("Nana", "La Blonde aux seins nus", "Berthe Morisot") ou d'hommes qui font partie de son entourage (Stéphane Mallarmé, Théodore Duret, Georges Clemenceau, Marcellin Desboutin, Émile Zola, Henri Rochefort).
Sources : France Culture et Wikipédia
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