Je pensais, à la lecture du titre, ouvrir un essai sur les rapports qu'entretient l'homme avec les animaux.
Familiaux : chiens et chats et leur évolution dans leur accompagnement de l'homme depuis dix mille ans. Nouveaux animaux de compagnie, ce qui pousse l'humain à s'entourer du vivant.
Domestiques : chevaux, ânes et tout l'arsenal de l'élevage. Comment et pourquoi cet asservissement? le rôle de l'animal dans la thérapie, la convalescence et la reconstruction de soi.
Sauvages : quelle place l'humain leur accorde-t-il encore dans une société technologique? le problème du loup.
Divertissement : surement un chapitre sur les animaux du cirque ou parqués dans les zoos. C'est d'actualité.
Bref, j'avais tout faux.
Comme lorsqu'on se trompe de ligne de bus dans une ville étrangère. Là, il y a deux options : ou descendre au premier arrêt et rebrousser chemin… ou continuer jusqu'au terminus. La découverte et son lot de surprises, bonnes ou mauvaises, est parfois à ce prix.
En optant pour la seconde solution, je me suis retrouvé dans un traité dont le titre pourrait être « la mort de l'animal dans le système d'élevage moderne ».
Jocelyne Porcher n'est pas une universitaire bien que son jargon puisse le laisser penser quelquefois et le degré abstrait de réflexion sur ce qui nous occupe : comment concilier l'élevage et donc la mort programmée du bétail dans les meilleures conditions?
Finalement, si je n'ai rien appris sur le comportement animalier face à l'homme et vice versa, si je n'en sais pas plus sur les motivations et finalités de l'humain à s'entourer de bestioles, si je n'ai pas pu me mettre à place de cette faune qui nous entoure, cette étude en dit long sur comment nous traitons les animaux d'élevage.
Jocelyne a été éleveuse. Elle a travaillé dans un abattoir. Elle sait de quoi elle parle. Et fait d'emblée la différence entre l'élevage tel qu'on nous le présente dans les documentaires qui sentent bon le terroir et une certaine tradition hérité d'un monde rural désormais réduit à la portion congrue ou encore les publicités vantant cette même viande produite dans des usines animales.
On parlera donc de production animale.
Et là, c'est le cauchemar qui commence.
Après quelques pages, une image, une réminiscence frappe : cela n'a effectivement plus rien à voir avec l'élevage (nourrir et protéger) mais évoque les heures sombres et cruelles du troisième Reich. Oui, le mot peut et doit être prononcé : nous élevons nos bêtes à viande dans de véritables camps de concentration puis d'extermination. Des analogies troublantes frappent. Lors du triste épisode de la vache folle, certains charniers offraient l'immonde spectacle de bêtes enfouies encore vivantes, trop nombreuses pour parvenir à les tuer toutes. Certaines pages me firent l'effet des « Bienveillantes ».
De la même façon l'auteur entend faire la différence entre la douleur (supportable car uniquement physique) et la souffrance animale.
Elle apporte un nouvel éclairage sur la condition animale dans ces fabriques de barbaque avec le dessein, à terme, de produire de la viande in vitro. Plus de bétail, juste des cellules couches qu'une armée de scientifiques et laborantins multiplieraient à l'infini. Tout comme la production manufacturée peut se passer d'ouvriers qui ont la fâcheuse tendance à faire des erreurs, avoir des états d'âme, tomber malade, penser par eux-mêmes et jusqu'à se mettre en grève; la production animalière souffre d'un problème sérieux aux yeux de ces actionnaires sans scrupules : les animaux sont des êtres vivants!
Le parallèle entre l'animal d'élevage et l'homme qui travaille (c'est-à-dire effectuant une activité obligée et non épanouissante) est flagrant.
Et Jocelyne de tirer à boulets rouges sur cette société productiviste responsable de tous les maux : déshumanisation du travail, déresponsabilisation des citoyens, égoïsme du consommateur jusqu'aux animaux de batterie qui ne sont plus que des nombres, serrés les uns contre les autres, attendant que l'heure fatidique sonne. Les plus frêles, les moins résistants, les chétifs, les malades, seront éliminés en cours de route. Abjection totale.
Dans le dernier chapitre, elle recentre le propos sur le titre (Vivre avec les Animaux) et donne quelques pistes pour une utopie à venir.
Ne plus manger de viande? Cela semble être la logique même, d'autant que pour nourrir ces cadavres sur pattes il faut cultiver des céréales qui pourraient nourrir le monde, que cela nécessite des quantités phénoménales d'eau sans parler de la pollution qui en résulte : nitrates, pesticides, antibiotiques ingérés de force que l'on finira par retrouver dans nos assiettes.
C'est oublier un peu vite que Jocelyne a été éleveuse d'un petit troupeau de brebis. Elle s'oppose donc avec force à cette idée (avec des arguments fumeux je dois le dire - car en définitive l'animal de batterie n'est rien de plus que de la viande sur pattes, un cadavre qui respire), reconnaissant toutefois que seul l'élevage biologique (ou apparenté) peut rendre leur dignité aux éleveurs et à leurs troupeaux.
Partant de la même cohérence, elle ne porte pas le loup dans son coeur. Alors là, je décroche. On sent le parti-pris : le bien être animal, oui, mais pas pour tous les animaux en somme.
Je ne la suis pas dans son constat que l'homme moderne s'est coupé de l'animal. Bien au contraire : jamais on n'a possédé autant d'animaux de compagnie et son image est sacralisée : pas un livre pour enfant sans un animal, et la bête à poils ou à plumes est un formidable accélérateur de ventes, témoin sa récurrence dans les publicités. En parallèle, plus on s'entoure de sa représentation, moins on connait l'animal sauvage et même domestique (il n'y a qu'à constater comment certains propriétaires de chiens agissent avec eux).
Les investigations d'
Isabelle Saporta (le Livre noir de l'agriculture, Fayard 2011 et
Foutez-nous la paix, Albin Michel 2016) font preuve de plus de rigueur et d'un détachement journalistique qu'on ne trouve pas ici.
Ce petit fascicule reste tout de même intéressant à plus d'un titre et permet d'engager une réflexion sur la condition animale ou ce qu'elle appelle le travail animal (qui ne se limite pas au boeuf de labour).
Jocelyne Porcher rappelle qu'être paysan est un état, pas un métier et a des envolées utopiques :
« il s'agit bien d'être communiste, c'est-à-dire de mettre en commun, ne pas s'arc-bouter sur la propriété et l'accumulation; d'être socialiste, de se penser avec les autres, solidairement; d'être anarchiste, de penser par soi-même et de refuser de plier le genou; d'être écologiste, d'habiter ensemble avec intelligence notre petite planète ».