Le terme « Via Ferrata » évoque les parois rocheuses et le parcours sécurisé qui titillent l'adrénaline des sportifs à la recherche d'exploits. Mais ici « Via Ferrata » est tout simplement la traduction italienne de « voie ferrée ». Car c'est sur les rails, dans les gares et sur des voies peu fréquentées ou oubliées que nous convie «
Via Ferrata poèmes ou journal épars » de Fred Pougeaud.
La quatrième de couverture nous incite à lire les poèmes dans l'ordre, à suivre le fil chronologique de ce journal. Je me suis résignée à suivre le conseil, moi qui aime tant piocher les mots de la poésie au hasard et sans contraintes. Il s'agit d'un « journal épars » qui commence en août 2013, quand Fred Pougeaud implore la poésie de venir le visiter, jusqu'à avril 2019 ou il signe son 32ème texte devant le Maupuy (hauteur dominant Guéret dans la Creuse) que son père ne reconnaît plus.
Fred Pougeard contrebalance la détresse de voir son père s'éloigner à reculons dans les derniers silences de sa vie, avec l'apaisement et l'inspiration des trajets sur les petites voies ferrées. Son acuité à déceler la couleur du paysage, à incarner les herbes et les orages, sont des bulles à saisir et à gober à même les lèvres. Il s'adresse directement à la poésie et lui demande de venir le traverser, d'élaborer, ensemble, un rituel. Sous la forme d'un journal de bord,
Fred Pougeard, écrit les creux et les absences qui font leur nid au plus profond de lui ; mais il écrit aussi ces instants de grâce qui l'aiguillonnent et le font avancer. Dans les campagnes traversées, les visages des morts se confondent et se superposent sur ceux des voyageurs.
Fred Pougeard pose une ligne de vie et de poésie sur la rouille des chemins de fer et aux frontons des gares désertées.
Je ne l'ai pas aimé de suite ce journal, je me sentais étrangère aux mots et à l'histoire de l'auteur. Et puis une seconde, une troisième lecture (toujours dans l'ordre) ont permis de m'approcher de ce père « absent », de cette mère « sentinelle », j'ai laissé mon regard se perdre dans les nuances de verts et de pluies, dans la ruminance placide des vaches et dans les mouvements spontanés des voyageurs en partance pour une destination improbable. L'émotion est née « de l'impossibilité de me déterminer sur la beauté ou la hideur du givre », et le frisson a suivi « je pars comme toujours décousu de Guéret au petit matin abandonnant la mère à son fardeau pointu ».
Je remercie l'auteur qui a su me faire monter à bord du dernier train en partageant sa prose, ses photos et le Concerto d'Aranjuez ; je remercie les éditions Thierry Marchaisse et Babelio pour l'organisation de ses « Masse Critique ».