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Où l'on apprend qu'Albertine vit sous le toit du narrateur, prisonnière.
Dès le début – et ce sera un thème assez récurrent dans ce roman – Proust offre cette relation intérieur/ extérieur aussi bien des paysages, de la rue et de ses bruits lorsque que le narrateur se trouve dans sa chambre au matin, il y a le choeur de Paris qui lui parvient. On retrouve cette idée chez les personnages eux-mêmes, que ce soit dans les mensonges d'Albertine ou les réactions de Françoise, la bonne, contrariée.
Dans ce roman, Marcel va analyser, approfondir, ressasser jusqu'à l'épuisement sa jalousie. C'est ainsi qu'il retient Albertine « prisonnière », pour ne pas la soumettre aux tentations de la ville, des dîners et des autres jeunes filles dont Andrée et Mlle Vinteuil seront des leitmotivs. D'autre part, il établit un parallèle entre ses propres amours avec Albertine –avec qui il ne cesse de vouloir rompre – et les relations de Charlus avec Morel, le jeune virtuose qui joue parfaitement la fameuse sonate de Vinteuil.
Tous les thèmes proustiens se retrouvent ici. Il y a la naïveté des primes amours et sentiments changeants et mêlés des jeunes filles « à la figure rose », mélange des désirs sensuels :

"Mais quelques jours après, nous regrettons de nous être tant confiés car la rose jeune fille rencontrée nous tient la seconde fois des propos d'une lubrique Furie."

L'abolition du temps, où passé, présent et avenir se fondent, se retrouve dans ses habitudes de vie avec Albertine où resurgit le souvenir du baiser maternel tandis que l'ascendant qu'il a sur elle ressemble à celui de ses parents sur lui à Combray. Aussi se trouve-t-il des points communs avec sa tante Léonie qui prenait la lecture au sérieux :

"Quand nous avons dépassé un certain âge, l'âme de l'enfant que nous fûmes et l'âme des morts dont nous sommes sortis viennent nous jeter à poignée leurs richesses et leurs mauvais sorts, demandant à coopérer aux nouveaux sentiments que nous éprouvons et dans lesquels, effaçant leur ancienne effigie, nous les refondons en une création originale."

La procrastination de sa jalousie et de son travail d'écrivain apparaît quand Marcel remet les explications qu'il pourrait demander à Albertine. La jalousie est une suite de souffrances plus au moins acceptées qui reviennent et se nourrissent du souvenir ou du regard de l'autre, une forme de masochisme.
De même les bruits de la rue, la ronde des marchands offre au narrateur l'aspect d'un opéra, citant tour à tour, Boris Goudonov ou le Pelléas et Mélisande de Debussy où se mêle un sentiment religieux et grégorien.
Il est à noter une évolution très nette des personnages : Charlus devient le Pygmalion de Morel, Charlus le charismatique perd, avec l'âge et à l'instigation des Verdurin, ses entrées dans le monde et tombe en pleine disgrâce. Au contraire, Madame Verdurin devient, pour le narrateur, un véritable mécène des arts et dans son salon se succèdent personnes et évènements puisés dans le réel de l'époque et notamment les ballets russes, Stravinski et Richard Strauss. On y apprend les morts de Bergotte l'écrivain et de Swann, rupture profonde avec l'enfance et l'adolescence du narrateur.
L'art –musique, peinture – reste ce qui donne un sens plus pur aux sensations de l'amour, un sens plus vaste, une diversité de sensations. L'exécution de la sonate de Vinteuil provoque chez Marcel une profonde rêverie à laquelle il mêle Albertine et opère un syncrétisme des arts, rapprochant la musique de la lumière et des couleurs, donc Vinteuil d'Elstir, ce qui lui suggère des propos sur l'art en général :

"Si l'art n'était vraiment qu'un prolongement de la vie, valait-il de lui rien sacrifier, n'était-il pas aussi irréel qu'elle-même."

Tout comme l'art de la vie, Proust se plaît à rendre floue la frontière entre le narrateur et l'auteur où il est fait pour la première fois mention de son prénom :

"Elle retrouvait la parole, elle disait : « Mon » ou « mon chéri », suivis l'un ou l'autre de mon nom de baptême, ce qui en donnant au narrateur le même prénom qu'à l'auteur de ce livre, eût fait : « mon Marcel », « mon chéri Marcel »."

Finalement, à travers ce roman, Proust inverse en quelque sorte les valeurs en faisant des dominateurs des dominés puisque, une fois de plus comme Charlus qui se retrouve seul et avec qui Morel vient rompre, Marcel qui ne cesse de mettre en scène sa rupture avec Albertine finit par la vivre sans qu'il ait pu agir.
La prisonnière est un roman où foisonnent les phrases magnifiques, de véritables joyaux littéraires mais dans lequel il faut s'accrocher pour ne pas se perdre ou se lasser dans le labyrinthe des pensées jalouses de Marcel.


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Dans ce tome quelque peu différent, j'ai retrouvé les grandes thématiques proustiennes. Car comme le narrateur, Marcel, l'explique à Albertine à propos de la musique de Vinteuil, on retrouve des phrases types chez les grands artistes : « Et repensant à la monotonie des oeuvres de Vinteuil, j'expliquais à Albertine que les grands littérateurs n'ont jamais fait qu'une seule oeuvre, ou plutôt réfracté à travers des milieux divers une même beauté qu'ils apportent au monde. » (C'est tout à fait le cas de Proust qui a écrit une seule oeuvre découpée ensuite en divers volumes). Au centre de ce récit est bien entendu la vie amoureuse du narrateur. Celle-ci est extrêmement complexe et jamais satisfaisante. le narrateur a longuement désiré Albertine à Balbec, son imaginaire était imprégné de l'image de cette fraîche jeune fille. Une fois Albertine conquise, l'amour et le désir se sont éteints. Ce qui n'empêche pas le narrateur d'être dévoré par la jalousie : « Sans me sentir le moins du monde amoureux d'Albertine, sans faire figurer au nombre des plaisirs les moments que nous passions ensemble, j'étais resté préoccupé de l'emploi de son temps (…). » Seule la jalousie réussit à ressusciter l'envie de posséder Albertine, le possible désir des hommes ou des femmes (la pire torture pour le narrateur) réactive l'amour. Cette situation pénible pour Marcel se prolonge durant tout le roman car il ne peut se résoudre à quitter Albertine à cause de sa faiblesse de caractère que l'on peut qualifier de procrastination ou d'indécision. On sait que le narrateur a beau s'appeler Marcel, il ne s'agit pas vraiment de Proust. Néanmoins, Albertine semble fortement inspirée de Alfred Agostinelli qui fut le secrétaire et l'amant de Proust. Ce dernier gardait précieusement Agostinelli dans ses appartements boulevard Haussmann et le surveillait de près. La fin d'Albertine sera dans « Albertine disparue » la même que celle d'Agostinelli qui s'est écrasé avec son avion en 1914.

Une partie essentielle dans la vie du narrateur de « La Recherche du temps perdu », ce sont les mondanités dans la haute société. Au milieu de « La prisonnière », on assiste à une réunion chez M. et Mme Verdurin. M. de Charlus, frère du duc de Guermantes, a organisé une soirée musicale afin d'introniser Charles Morel, son amant et également violoniste virtuose. J'aime toujours beaucoup ces scènes dans le beau monde. Malgré son admiration pour ces hauts personnages et notamment les Guermantes, le narrateur nous les présente avec beaucoup d'ironie et il est vrai que c'est un monde extrêmement cruel (malgré les dorures et les bonnes manières). C'est très visible ici. M. de Charlus, tout à son plaisir de présenter Morel, en oublie totalement que la réception se passe chez Mme Verdurin. La Patronne n'est saluée par aucun invité et vit très mal cet affront. Elle fait en sorte alors de séparer Morel de M. de Charlus. Ce personnage qui a pu nous sembler terrifiant et hautain dans les volumes précédents, nous paraît ici bien pathétique et son indéfectible amour pour Morel le rend profondément touchant. Et c'est aussi la force de Proust de nous rendre humains ces personnages qui peuvent au départ nous paraître bien détestables.

Ce qui me plaît également beaucoup chez Marcel Proust, c'est la présence constante de l'art. Il évoque d'ailleurs tous les arts, aussi bien Baudelaire, Mme de Sévigné, Thomas Hardy, que Wagner, Stravinsky, que Vermeer, Bellini, Mantegna. Dans « La prisonnière », le narrateur et Albertine discutent longuement de l'oeuvre de Dostoïevski, ce qui nous offre plusieurs fabuleuses pages d'analyse de son oeuvre ! La vie et l'art s'entremêlent perpétuellement dans les textes de cet esthète pour mon plus grand bonheur. Une vie sans art n'est pas une vie, ni pour Proust ni pour moi.

Enfin, je ne peux pas terminer sans vous parler du style de Proust. Ses longues phrases sont souvent décriées ; d'aucuns les trouvent indigestes. Pour ma part, je les trouve envoûtantes, précieuses et subtiles. Il faut se laisser emporter, bercer par le flot des mots. Il faut les relire, les déguster, apprécier leur incroyable richesse. Un extrait l'exprimera mieux, le narrateur rêve de partir dans la plus fantasmagorique des villes : Venise. « Aussi bien, pas plus que les saisons à ses bras de mer infleurissables, les modernes années n'apportent point de changement à la cité gothique, je le savais, je ne pouvais l'imaginer, ou, l'imaginant, voilà ce que je voulais, de ce même désir qui jadis, quand j'étais enfant, dans l'ardeur même du départ, avait brisé en moi la force de partir : me trouver face à face avec mes imaginations vénitiennes, contempler comment cette mer divisée enserrait de ses méandres, comment les replis du fleuve Océan, une civilisation urbaine et raffinée, mais qui, isolée par leur ceinture azurée, s'était développée à part, avait eu à part ses écoles de peinture et d'architecture – jardin fabuleux de fruits et d'oiseaux de pierre de couleur, fleuri au milieu de la mer qui venait le rafraîchir, frappait de son flux le fût des colonnes et, sur le puissant relief des chapiteaux, comme un regard de sombre azur qui veille dans l'ombre, pose par taches et fait remuer perpétuellement la lumière.»

L'oeuvre de Proust est foisonnante et l'on pourrait en parler pendant des jours entiers. J'espère vous avoir fait passer un peu de ma passion pour lui et vous avoir donné envie de le lire ou de le relire.
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Ce 5e tome traite de la jalousie maladive sous diverses formes et de domination psychologique.
Les intrigues mondaines sont toujours présentes, avec notamment la scène d'anthologie de la soirée chez les Verdurin, où la versatilité et la méchanceté des puissants atteint son paroxysme.
J'ai adoré les longues et magnifiques évocations du ressenti du narrateur à l'écoute d'oeuvres musicales, à mettre en regard des descriptions des tableaux du peintre Elstir décrites dans le tome 2. Un très bon livre.
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Nous laissons le narrateur, à l'issue de la lecture de ce cinquième volume de la Recherche (un régal à nul autre égal !) seul dans son appartement parisien où sa jalousie retenait "prisonnière" son amour d'Albertine. Plus qu'elle, c'est bien lui qui était le véritable captif de lui-même, toujours tourmenté par l'idée de perdre son bonheur, tiraillé entre sa volonté d'aller à Venise et celle, toujours remise au lendemain, de quitter son amour parce qu'Albertine, que Marcel pense être attirée par toutes les femmes que le moindre des regards de la jeune femme peut lui faire croiser, l'aime moins, pense-t-il, que lui ne l'aime. Et pourtant moi, je n'y ai vu que deux coeurs qui s'aiment follement !
La première partie du récit, lui, relate le temps passé en mondanités plus ou moins édifiantes, dans le salon des Verdurin, en compagnie plus ou moins prestigieuse et parmi les figures déjà rencontrées dans les volumes précédents et portées à ébullition par le génie mordant, émouvant et philosophiquement tel qu'on en voit la vie autrement, de l'auteur. du style, de l'humour, tout ce que j'aime qu'on puisse trouver toujours dans les livres.
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La Prisonnière est un diamant noir dans toute La Recherche dont il m'a semblé le sommet par la convergence des principales thématiques, la concision du récit sur quelques jours, la finesse d'analyse de cette relation d'emprise et de possession amoureuses, les digressions sublimes sur la musique de Wagner, sur Dostoïevski (des pages exceptionnelles sur les personnages féminins dans les oeuvres de l'auteur russe), sur Vermeer qui réactivent chez le narrateur un besoin d'absolu et de créativité. C'est aussi un roman du deuil, hanté par la mort, qui annonce le délitement progressif de tout l'édifice à travers la mort de Bergotte face au tableau de Vermeer, la chute de Charlus dont l'amour pour Morel est brisé par les Verdurin, l'autodestruction du couple formé par Albertine et le narrateur qui s'appelle désormais clairement Marcel.

On comprend également à la lecture de ce somptueux roman la manière dont toute l'oeuvre de Proust a été conçue. Il en donne lui-même les clés indirectement en décrivant la musique de Wagner dans des pages sidérantes de poésie. Car toute la Recherche apparaît finalement comme un opéra wagnérien dont les motifs récurrents s'entremêlent de façon cyclique comme autant de réminiscences qui trouvent des échos au cours des différentes époques. On retrouve les mêmes situations, les mêmes motifs qui s'éclairent différemment en fonction de l'angle sous lequel ils sont présentés mais aussi de la plus ou moins grande maturité du narrateur. le style même de l'écriture épousant ces flux et reflux musicaux qu'on retrouve dans les oeuvres de Wagner qui a créé la musique continue comme Proust semble chercher une écriture qui n'aurait pas de fin.

La Prisonnière est donc une nouvelle variation sur le désir et l'enfermement symbolique qu'il génère (Albertine n'est pas littéralement emprisonnée mais retenue captive mentalement par la jalousie grandissante du narrateur) mais il va encore plus loin que dans "Un amour de Swann" ou que dans son récit antérieur de ses amours avec Gilberte.

Marcel imagine à tort ou à raison l'infidélité d'Albertine avec d'autres femmes. Cette "réalité" échappant constamment à l'analyse rationnelle, se dérobant au fur et à mesure qu'il découvrira des pans d'informations qui lui manquaient. L'autre reste à jamais une énigme et les intentions qu'on lui prête peuvent se révéler autant conformes qu'opposées à ce qui a été fantasmé à son sujet. Au risque de tout briser par méprise. de la même façon qu'on découvre au fur et à mesure de la recherche que chaque personnage qu'on semblait avoir bien circonscrit et maîtrisé dans ses diverses caractéristiques comportementales ou morales nous apparaîtra progressivement autre, surprenant dans ses choix et orientations souvent imprévisibles. Tout est fugace et changeant alors même que certains évènements semblent se rejouer à l'infini. C'est vertigineux.
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Premier livre posthume de Proust, ce tome est un long huis clos entre deux prisonniers qui ne portent pas les mêmes chaînes, juste interrompu par une soirée (mémorable) chez les imbuvables Verdurin. le narrateur retient en quelque sorte Albertine chez lui, plus pour la connaître que la posséder : elle-même l'enferme dans ses mensonges et ses mystères. Longue introspection d'un adepte de Freud –sans le connaître–, qui ressentirait l'amour comme une névrose, " une mauvaise foi ".
Il semble qu'à partir de ce tome l'auteur acquiert " une sagesse triste mais rayonnante ". Et l'oeuvre y gagne en concentration, en simplicité et consolide l'architecture générale en prolongeant clairement les tomes précédents.
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Haletant. Suant. Etouffant. La Prisonnière est un livre presque à part, une enclave dans cette recherche du temps perdu, un désert d'illusions. D'un côté, le Narrateur - Marcel - complètement rongé par la jalousie, qui décide d'atteindre l'absolu, c'est à dire de ne plus être séparé de celle qui le rend jaloux (traduire : amoureux), en enfermant l'objet de sa jalousie maladive chez lui. Albertine est sa Prisonnière. Mais curieusement, c'est surtout le Narrateur qui est prisonnier dans ce roman. Prisonnier de chez lui, il ne sort que très peu (et se dépêche de rentrer pour éviter qu'Albertine tombe dans les bras d'Andrée), ne reçoit presque personne (Albertine pourrait tomber amoureux de ses amis!), interroge tout le temps Albertine sur ses relations (Mlle Vinteuil... qu'Albertine n'a jamais rencontré!) et surtout, n'arrête pas de se faire du mal avec sa jalousie, car pour lui la douleur est devenu presque l'unique source de son amour envers Albertine.

Tel un Swann obsédé par Odette, le Narrateur s'entête à vouloir garder prisonnière une femme qu'il n'a vu et aimé par sa liberté et ses moeurs légères. Lui-même le sait : on aime que ce que l'on ne possède pas entièrement. Et tant qu'un recoin de l'âme d'Albertine lui échappe, il continuera à exercer son devoir de geôlier, en s'enfonçant de plus en plus dans une souffrance presque infinie, tant les réponses qu'il reçoit de sa prisonnière ne parviennent pas à apaiser ses inquiétudes de maniaque. Et quand bien même il n'aime pas Albertine, il ne parvient pas à s'en débarrasser totalement, tant il craint la douleur. Et justement, quand celle-ci s'enfuit un beau matin, le Narrateur vient de comprendre que c'est une partie de sa vie qui s'en va et le retour de son angoisse ultime: la séparation de l'être aimé
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Pour l'instant, c'est le volume que j'ai le moins apprécié, même si on reste dans le même esprit que les précédents, mais l'atmosphère en est infiniment plus pesante, sans doute à dessein. Profondément statique, il explore en profondeur le caractère jaloux, possessif et soupçonneux du narrateur dans un quasi huis-clos qui couvre la majeure partie de l'oeuvre, et encadre la seule mais longue « pause » mondaine figurant le concert donné par les Verdurin. Autant dire qu'à l'exception de ce passage, on est plongé dans une méditation sombre qui pousse un véritable tyran domestique à séquestrer à force de crises d'angoisses et de pleurniche une brave jeune fille qu'il n'aime même pas, et dont il vampirise la joie de vivre.

Revenu de Balbec avec Albertine dont il espère qu'elle restera pour l'apaiser jusqu'à ce que son départ et sa vie secrète lui deviennent indifférents, sans assurance, toutefois, que ce moment arrive jamais, le narrateur passe tout le livre à soupeser la crédibilité ou l'invraisemblance des affirmations d'Albertine, ainsi que de toutes les informations recueillies sur elle. Convaincu sans preuve absolue qu'Albertine s'adonne à des penchants lesbiens lorsqu'elle n'est pas avec lui, penchants qu'elle réfute avec la dernière énergie, le narrateur la cloître officieusement dans une cage dorée chez lui en jouant sur sa bonne volonté à lui être serviable, moins pour lui en faire passer le goût par abstinence prolongée que pour la savoir incapable de lui mentir dans l'immédiat. Il faut dire qu'Albertine semble être une menteuse compulsive dont les contradictions expliquent en bonne partie l'attitude inquisitoriale grandissante du narrateur. On assiste donc à des échafaudages théoriques à base de « pourquoi m'a-t-elle dit cela ? », « pourquoi de cette façon ? », « pourquoi à ce moment-là ? », amenant le narrateur à échafauder quinze versions concurrentes de la parole d'Albertine dont le seul point commun est de s'opposer diamétralement à son sens littéral.

Lorsqu'il n'est pas en train de se triturer les méninges, le narrateur se satisfait, en esthète pour qui l'accomplissement d'une vie consiste en l'élaboration d'une oeuvre, d'assister aux progrès du goût artistique d'Albertine où il décèle sa propre empreinte. L'attachement du narrateur envers la jeune femme en devient moins motivé par une attirance physique que par une contemplation de son propre pouvoir d'influence, presque de création. La persistance de ce caractère nombriliste peut exaspérer à la longue, même si l'entreprise d' « éducation » d'Albertine donne lieu à des dialogues tout-à-fait intéressants, notamment sur la question de la littérature, avec à moment donné une quasi-dissertation sur Dostoïevski.

Dans ce contexte, le concert des Verdurin apparaît comme une bouffée d'air (pour le lecteur, pas pour Albertine), à condition d'avoir apprécié les scènes de la vie mondaine des deux tomes précédents. Cet épisode est l'occasion d'une réflexion approfondie sur la musique, mais aussi d'un important bouleversement pour le couple Charlus-Morel qui ne laisse pas insensible en dépit du traitement ironique dont il a été l'objet jusque-là. Occasion d'une mise en scène brève mais remarquable de la reine de Naples Marie-Sophie, personnage authentique montré sous un jour plutôt attachant, dont on apprend dans les notes la conduite assez époustouflante durant la conquête du royaume des Deux-Siciles par Garibaldi.
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Jalousie

Première petite déception dans ce Proust-o-thon, ce cinquième tome de la recherche du temps perdu ne m'a pas vraiment enchantée.

En cause, la jalousie du narrateur vis-à-vis d'Albertine, le sentiment central de cet opus.
La prisonnière, c'est bien elle, Albertine, à qui le narrateur a "coupé les ailes" et dont il ne peut s'empêcher de disséquer chaque geste, chaque parole, ressassant le passé comme un chien entretient ses plaies.

L'homosexualité prend à nouveau une place importante dans La Prisonnière, et comme à l'accoutumé, l'analyse est fine et pertinente et chaque réflexion sonne juste.
Mais la jalousie est un sentiment que j'ai en horreur et la voir si bien décrite m'a dérangée.

J'ai toutefois apprécié la longue scène avec le baron de Charlus, qui est décidément un de mes personnages préférés de la recherche.
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Inutile de reprendre tout ce qui déjà été dit sur cette oeuvre, simplement si vous voulez savoir comment pourrir sa vie de couple et se comporter comme un tyranneau dans son ménage, vous pouvez vous inspirer de ce roman. En fait, ça n'a pas vieilli ! La difficulté, avec Proust, c'est de trouver une fin de chapitre, de paragraphe, voire de phrase quand on veut faire une pause dans la lecture. Si vous arrêtez n'importe où, il vous faudra remonter de plusieurs pages pour comprendre où vous en êtes.
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