AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782253106555
480 pages
Le Livre de Poche (08/06/2022)
3.57/5   36 notes
Résumé :
Djamil est le fils unique de Hajji, riche propriétaire musulman, père de nombreuses filles. En plus de ses études au collège, le jeune homme parfait son éducation artistique auprès de son grand-père musicien violoniste et caresse le rêve de devenir danseur. Durant une fête de noces, il fait la connaissance de Nadji, dont il tombe follement amoureux.
Longtemps après, Djamil se livre sur tout ce qui lui est arrivé depuis son enfance jusqu'au moment où il quitt... >Voir plus
Que lire après Les garçons de l'amourVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
3,57

sur 36 notes
5
4 avis
4
1 avis
3
1 avis
2
1 avis
1
2 avis
Djamil raconte ce qui lui est arrivé depuis son enfance en Iran, au bord du Golfe persique, en s'adressant à Nadji, son amour de jeunesse. Il s'agit de l'amour entre deux hommes dans l'Iran de la Révolution islamique de 1978, et du rêve de Djamil, qui est de devenir danseur en Europe. ● Je comprends bien l'audace et le courage qu'il a fallu à l'auteur pour publier une telle autofiction se passant dans un pays où l'homosexualité est encore aujourd'hui punie de la peine de mort, mais je n'ai absolument pas accroché à ce récit que j'ai trouvé décousu, confus, mal fichu. Je me suis beaucoup ennuyé.
Commenter  J’apprécie          343
Poignant, indispensable, « Les garçons de l'amour » est un récit témoignage. le partage émouvant d'un auteur : Ghazi Rabihavi né en Iran, contant ce qui vibre en lui. Ce souffle infini d'un exil forcé. Les tourments qui s'agrippent tels des racines dans sa chair la plus vive. On ressent avant tout, cette force intrinsèque, cette écriture déployée qui dévie les mirages. Juste, absolument plaquée dans le réel sombre des interdits en Iran. « Les garçons de l'amour » est contemporain, criant de vérité, de détresse et d'impossibilité. le partage sensible de ce qui fut, est et sera. Rien n'est glissé sous le tapis des silences, pas un doute, pas un non-dit. La clarté est vive et le souffle de ce grand livre est brûlant, vif et implacable. Djamil est iranien. Seul fils d'un père Hajji qui espère pour ce dernier un avenir brillant, conventionnel, dans cette cour empreinte de politique, de savoirs. Djamil est rêveur, se veut danseur. Romantique, intègre, il pressent chez son père l'antihéros. Djamil va rencontrer Nadji, fragile, illettré, beau comme la plénitude. Pur comme l'eau de source malgré un passé douteux, ombres persistantes. Ces deux garçons vont s'aimer d'un amour fou. Briser les barrières, en brassées de tendresse, de rencontres cachées. Se toucher sans LE dire, faire silence et accorder au charnel cette chance des retrouvailles relevées, conquises. Les heures dans une cabane abritée des vents chauds, des regards noirs, des craintes d'être roués de coups. Ils vont surmonter les épreuves. Affronter les hypocrisies d'un pays intolérant. Ces mêmes qui violent les jeunes garçons par lâcheté, par cruauté et par désir. « Je pensais qu'il exagérait son angoisse, mais plus tard je compris qu'il avait raison. Nous étions entrés dans un jeu dangereux. » L'Iran est un pays manichéen. Beau et tourmenté. Riche et pauvre de coeur. Les hommes sont des vautours, des intégristes de la violence et de l'intolérance. Et pourtant ! on ressent la tiédeur des voilages chauds (les insoumis) la solidarité des éveillés, les rires hauts et les sourires en coin, furtifs et apaisants. Deux hommes dans ce pays en proie à la révolution islamique, aux évènements implacables trouveront-ils la sérénité ? La vie est fragile et incertaine, ployée sous les craintes d'une mise à mort. Comment l'amour peut-il s'abreuver sous l'homophobie stagnante ? Que vont devenir ces garçons des abîmes, ces garçons pluie et solitude ? L'endurance est une bataille. Les bombes pleuvent. Les crimes lancinants, Les attentats multiples dévorants les salles de cinéma, brisant le violon mythique. Qui est qui dans cette répression ? Fuir. Quitter ce pays aimé, exil des éperdus, des fusillés d'amour, des pendus d'espérance. On l'aime pourtant ce pays qui imagine ses enfants sans visage, sans parfum, musique et rêve pour les filles. La terre résiste, cherche de l'air pour survivre. Djamill et Nadji fuient, décrochent la lune et pensent survivre ailleurs. Ils s'échappent. Piégés en plein désert. Esclaves, leurs rêves en étoile, écorchés vifs sur les murailles oppressantes et sanglantes. Enfants des sables, des déserts, des thés à la menthe et des caresses heureuses, salvatrices, regards éperdus trouveront-ils la paix ? Cette liberté vitale pour s'aimer en pleine lumière ? « Les enfants de l'amour » est plus qu'une histoire véridique. C'est la voix de Ghazi Rabihavi qui telle une larme conte la vie de ces garçons. On entend Nadji jouer du violon, Djamil danser sur les frontières européennes. C'est également le cri de l'Histoire de l'Iran, dont on entend les échos aujourd'hui encore. Jeunes garçons aimez-vous ! Ce livre est précieux, c'est une pièce à conviction, une louange pour tous les garçons de l'amour et de la mort. Traduit du persan et présenté par Christophe Balaÿ. Lisez plusieurs fois la postface. Ce livre méritant, courageux, est un cri en pleine nuit, une nécessité. Publié par les majeures Editions Serge Safran.
Commenter  J’apprécie          100
Dans le contexte troublé de la révolution islamique qui éclate en 1978 puis des bouleversements provoqués par la guerre entre l'Iran et l'Irak à partir de 1980, ce récit relate l'histoire d'un amour impossible entre deux jeunes iraniens, Djamil et Nadji, dans un pays où l'homosexualité est (encore de nos jours) abominablement passible de la peine de mort.

Totalement à contre-courant de tous les autres avis que j'ai pu lire au sujet de ce livre, j'ai personnellement tout apprécié de cette histoire tragique et douloureuse, où l'exil forcé de ces deux hommes n'apportent que violence et souffrance. C'est en réalité un long monologue adressé par Djamil à son amour de jeunesse Nadji qui, on le sait dès les premières lignes du livre, est malheureusement mort. Les émotions se mélangent au fil de la lecture, entre culpabilité, colère et solitude. C'est écrit avec le poids du sens.

J'ai été entièrement captivé par ce roman exceptionnel à mes yeux, qui constitue pour moi un véritable coup de coeur. Ils y sont abordés des thèmes importants, qui prennent totalement à rebours les codes culturels d'une société encore hésitante face aux défis de la modernité. Je salue la force et le courage qu'il a fallu à l'auteur pour écrire un tel roman provocateur, mais d'une beauté si juste.
Commenter  J’apprécie          80
Ce roman, témoignage autobiographique sans doute , relate la vie en Iran des homosexuels ,leurs amours impossibles et tragiques .Il se passe au moment de la chute du shah à la fin des années 1970, début 80 , la prise de pouvoir de l'Iman Khomeiny et des pasdarans ,gardiens de la révolution, la mise à l'écart également des minorités , chrétiennes et autres ... A part l' intérêt pour cette époque , ,pour le pays lui-même et ses problèmes sociétaux ,j'ai trouvé le récit assez confus , beaucoup de redites et de maladresses dans le style .
Commenter  J’apprécie          90
L'homosexualité demeure encore trop souvent un sujet tabou, qu'on évite d'évoquer ou qui embarrasse. Même si les gays ont le droit de se marier en Belgique comme en France grâce à l'heureuse évolution des mentalités. Traditions et religion pèsent lourd dans le giron des familles. Alors que dire de la situation dans les pays musulmans, où les fautifs sont condamnés à la prison, voire exécutés ? Ghazi Rabihavi est né en Iran et y consacre l'essentiel de son temps à l'écriture. En 1994, sa nouvelle « La fosse » suscite la polémique et il se voit ostracisé. Interdit de publication, il préfère immigrer en Grande-Bretagne, afin de vivre librement et de pouvoir s'exprimer sans craindre les couteaux de la censure. Avec « Les garçons de l'amour », il raconte l'histoire de Djamil, fils unique d'un riche propriétaire de la région d'Abadan, qui a joui d'une formation scolaire brillante dans un milieu privilégié et qui rêve de devenir danseur. Au cours d'un mariage auquel il est convié, il croise la route de Nadji. Coup de foudre réciproque entre les deux jeunes hommes et désapprobation violente des parents.
Commenter  J’apprécie          20

Citations et extraits (50) Voir plus Ajouter une citation
Une fois rentrés chez nous, nous prîmes la décision d’aller coûte que coûte trouver Mahine pour lui annoncer la maladie de son père.

Le quartier dans lequel elle vivait était célèbre sous le nom de Dowb.
Nous ne savions pas ce que ce nom signifiait. Nous savions seulement que
c’était le quartier des bordels. C’était un vendredi après-midi ensoleillé. S’il
n’y avait eu toute cette fumée et cette odeur de pneu brûlé, on aurait pu dire
que c’était un magnifique vendredi après-midi. Tout en marchant, nous nous
remémorions tous les cinémas où nous avions été et tous les beaux films
que nous y avions vus. Nadji adorait voir chanter Fardine. Il ne pouvait
croire que ce n’était pas sa voix, qu’il chantait seulement en play-back, que
c’était en fait Iradj qui chantait à sa place. Parfois c’était Aref. Même sa
voix était doublée par un autre récitant.
— Quelqu’un d’autre récite à sa place ? s’étonnait-il. Tu te moques de
moi ?
— À la place de Fardine et aussi à la place de Behrouz Vossoughi.
— Tu vas me dire maintenant que quelqu’un dansait aussi à la place de
Forouzan, pas vrai ?
Nous blaguions ainsi pour rendre le chemin plus court et le temps
moins long. On nous avait dit que le quartier de Dowb se trouvait le long du
fleuve. Nous marchions dans cette direction tout en demandant notre
chemin ici et là. Un des gars que nous avions interrogé se mit à rire.
— Vous arrivez un peu tard les gars ! Le quartier a été bouclé et
aucune fille n’ose plus travailler. Il va falloir trouver une autre solution pour
votre affaire ! Le mieux c’est de revenir à ce bon vieux savon !
Le gars s’éloigna tout en continuant à rire. Mais bon, il nous avait
quand même indiqué la rue principale pour y arriver.
Le quartier était fait de deux rues qui communiquaient entre elles,
fermées par un portail en fer. Le bout de la rue était clos et toute issue
bloquée. Le portail était ouvert à présent, laissant passer des filles qui
sortaient en courant car le quartier était en feu. Une épaisse fumée noire
recouvrait tout. On entendait hurler de partout. Des motards sortirent en
trombe par le portail au cri strident d’Allah Akbar. Ils ressemblaient
parfaitement à tous ceux que nous avions déjà vus ailleurs. Comme dans un
affreux western. Les motards étaient ces soldats blancs à cheval qui
attaquaient les tentes des peaux-rouges désarmés et sans défense, obligés de
fuir. Femmes et enfants sortaient en courant, poussant des hurlements. Les
femmes tombaient sous les coups de pied des motards puis se relevaient
pour courir encore, sans savoir quelle direction prendre.
Commenter  J’apprécie          40
Après la mort d’Amrollah Khan, nos vendredis étaient devenus
désœuvrés. Nous n’avions rien d’autre à faire que de rester à la maison. La
plupart du temps, Nadji s’exerçait tout seul au violon. Les sorties le
vendredi étaient devenues dangereuses. Surtout depuis que la révolution et
les hezbollahis 23 avaient triomphé. Maintenant tous les vendredis, ils
sortaient de chez eux sous prétexte de participer à la prière. Leur plus
grande distraction était de scruter tous les visages de ceux qui se faisaient
repérer comme suspects pour leur coller l’étiquette de contre-
révolutionnaire et de les passer à tabac avant d’abandonner leur corps inerte
et de quitter le quartier. Cette situation n’empêchait pas Nadji de sortir en
me disant :
— Si tu veux, tu peux venir voir où je vais !
— Eh bien où vas-tu ?
— Je vais voir les exécutions des officiers et des policiers du Shah. Tu
ne peux pas savoir comme c’est amusant de les voir dès le matin tous
alignés contre le mur avant d’être abattus par la rafale de mitraillette. Tak-
tak-tak !
— Comment peux-tu trouver plaisir à voir fusiller des hommes
entravés et leur sang couler sur l’asphalte de l’avenue ?
— Des gens entravés ? Tu as donc oublié cette nuit où ils nous
frappaient ? À ce moment-là ils n’avaient ni les mains ni les pieds liés !
— Ce que je sais en tout cas, c’est que ça ne fait aucun bien de voir de
tels spectacles ! Ça s’imprime dans ton cerveau et ça peut te poursuivre
pendant longtemps pour finir en cauchemars. Tu n’es pas un assassin pour
que ces choses te paraissent normales ou le deviennent dans le futur.
— Si c’est nécessaire que quelqu’un devienne un assassin à cause de
ses idées, où est le problème ? Petit à petit, ça devient une habitude, et
alors ? Un homme ne doit pas avoir peur du sang. Voir du sang, ça vous
tanne le cuir !
— S’il te plaît, ne me parle pas de ça ! lui dis-je en me détournant. Tu
peux être tout seul un homme courageux !
— Je vais voir le spectacle au cas où j’aurais la chance d’y retrouver
un des policiers de cette nuit-là. N’importe lequel fera l’affaire. Par
exemple, celui qui m’a donné la dernière gifle. Oh mon Dieu ! Serait-il
possible de le voir debout contre le mur en train de supplier qu’on
l’épargne ?
Puis il se mit à parler avec un condamné imaginaire. Il lui donnait des
ordres comme s’il était présent dans la scène : « Eh mon vieux ! C’est trop
tard maintenant ! Tiens-toi correctement sinon la balle qui t’est destinée va
frapper celui d’à côté. »
Il riait aux éclats. Cela me faisait une étrange impression. Comme s’il
m’était devenu étranger. Comme si j’avais perdu toute confiance en lui.
Nadji avait changé. Il était devenu sauvage. Cela me faisait terriblement
souffrir. Il me semblait que malgré tout ce qu’il avait dit sur le fait qu’on
vivrait éternellement ensemble, nous étions en train de vivre nos derniers
jours ensemble. Nous passions de longs moments en silence. Je me
demandais comment le ramener à une vie normale. Je ne savais plus ce
qu’il pensait vraiment. Certaines nuits, il sortait du lit et allait s’installer à la
fenêtre pour fumer une cigarette et souffler la fumée par la fenêtre dont il
avait tiré les rideaux.
Commenter  J’apprécie          20
Nadji était dans la barque tandis que j’étais encore à l’extérieur,
enfoncé dans la boue jusqu’en haut des chevilles. Il me regarda gentiment
dans les yeux.
— Ça t’ira très bien de devenir quelqu’un d’important, bien éduqué.
Nous demeurâmes tous les deux en silence pendant un moment.
— Bon ! dit-il finalement, j’ai fini par ici. Il faut que j’y aille.
Quelqu’un attend que je lui livre le foin pour ses bêtes. Et toi tu fais quoi ?
— Moi aussi, il faut que je rentre à la maison. On doit être en train de
me chercher. Mais tu sais…
Je ne finis pas ma phrase. Il me fixait du regard, attendant la suite,
appuyé sur la perche qui lui servait à déplacer sa barque.
— Mais quoi ? Tu nous as laissé en plan. Tu voulais dire quoi ? Dis !
— Non, répondis-je en riant, c’est que j’aurais envie de monter un
moment dans ta barque et qu’on fasse un petit tour pas trop loin, juste par
ici.
— Alors, qu’est-ce que tu attends pour monter ?
— Mais avec mes pieds, je vais salir ta barque.
— La boue ce n’est pas sale, tu sais, c’est juste de la terre mouillée.
Tes pieds ne sont pas pires que les miens. Ne me fais pas attendre. Allez,
monte ! Le soleil est bientôt couché.
L’écouter parler de cette voix chaleureuse était pour moi une
expérience nouvelle dans ma vie. Jusqu’alors aucun garçon de mon âge ne
m’avait parlé avec une voix à la fois virile, grave et affectueuse. Nadji me
regardait comme s’il me connaissait depuis des années. Je lui souris en
agrippant le bord de la barque mais au même instant celle-ci se mit à
tanguer et à rouler dangereusement avec son seul passager appuyé sur sa
perche. Affolé, je m’étais reculé, me cachant les yeux pour ne pas voir le
naufrage que j’avais provoqué. J’ouvris un œil entre deux doigts ; je le vis
enfoncer vivement sa perche dans la vase du bord. Avec maestria mais non
sans un déploiement de force, il parvint à retenir la barque et à l’empêcher
de chavirer. L’embarcation retrouva son équilibre. J’ôtai les mains de mes
yeux. Je le vis debout sur le fond de la barque, riant aux éclats.
— Excuse-moi, lui dis-je.
— Moi aussi, au début, quand je ne savais pas monter dans la barque,
je provoquais la même catastrophe. Pas de mal ? Tu as eu peur ? Bon !
Donne-moi ta main et grimpe.
Je mis ma main dans la sienne. Quelle étrange sensation ! Le feu
dévorait sa main et les flammes se propageaient dans la mienne, remontant
par toutes mes veines jusqu’à mon cœur.
— Accroche-toi, on démarre !
Je m’assis sur la barre centrale en m’agrippant des deux mains.
— Prêt ?
— Prêt !
Notre barque immobile se mit en branle. Nadji enfonça sa perche dans
la vase de la rive et lança la barque en avant de toute sa force. À chaque
mouvement de la perche correspondait un mouvement de la barque qui
l’éloignait du point d’appui. Nadji retirait la perche avant de l’enfoncer un
peu plus loin vers l’avant. Ainsi nous avancions sur l’eau. Face à nous le
ciel et l’eau se mêlaient sur une ligne commune vers laquelle glissait le
soleil comme un gros ballon jaune jusqu’à s’enfoncer derrière la ligne avant
de disparaître. J’aurais aimé que notre barque avance ainsi jusqu’à cette
ligne pour y voir sombrer le soleil. Quel miracle que ce lever du soleil,
chaque matin, accompagnant le flux qui grossissait les eaux du fleuve, et
chaque soir, au crépuscule, le reflux qui le vidait, encore et encore.
— Bon, il faut qu’on rentre, s’écria Nadji !
— Où ça ?
— Là d’où on est partis ! Là où tu as embarqué. C’est ma direction, et
c’est aussi la tienne, vers chez toi. Et puis, c’est là que tu as laissé tes
chaussures.
— Oh ! J’avais oublié !
— Alors assieds-toi solidement car on vire de bord.
Nadji opéra le demi-tour. Nous refîmes le chemin inverse. En route,
nous aperçûmes les mêmes jeunes filles qu’à l’aller. Elles n’avaient pas de
barque. Elles rentraient chez elles les bottes de foin sur la tête. On ne voyait
pas leur visage ; même leur poitrine était ensevelie sous le foin. Nadji fit
accoster la barque devant quelques marches de béton qui donnaient accès à
la rive.
— Tu te rappelles où tu as laissé tes chaussures ?
— Là-bas, derrière le banc de sable, sous le jujubier.
— Lave-toi bien les pieds avant d’enfiler tes chaussures, ok ?
— J’irai pieds nus jusqu’à la maison et je les laverai tranquillement là-
bas !
— Si quelqu’un, ton père par exemple, te demande où tu étais passé,
qu’est-ce que tu vas dire, hein ?
— Eh bien ! Je dirai que j’étais ici avec toi.
— Mais ça, il ne faut pas le dire ! Ce n’est pas toujours bon de dire la
vérité, et jamais ce qu’il y a de mieux !
Je compris rapidement que je ferais mieux de m’en remettre à sa
prudence. Il était évident que l’expérience de la vie l’avait rendu vigilant et
raisonnable.
— Alors toi tu penses que…
— Moi je dis : saute d’abord de cette barque, coupa-t-il, et reste sur ce
bloc de béton, sur le gros.
Je descendis du canot avec précautions, en tenant sa main, puis j’allai
prendre position sur le gros bloc de béton qu’il m’avait indiqué.
— Maintenant, je vais verser de l’eau sur tes pieds et toi tu vas les
laver proprement.
Il prit au fond de la barque un récipient, une sorte de bol en plastique,
le plongea dans le fleuve pour le remplir d’eau qu’il versa doucement sur
mes pieds. Je relevai le bas de mon pantalon jusqu’au genou.
— Bien ! Toi ne te baisse pas. Tiens-toi juste debout pendant que je te
lave et que j’enlève la boue.
Je voulus refuser, lui dire que je pouvais très bien me laver tout seul
mais à la façon qu’il s’était baissé pour me laver les pieds, une sensation de
plaisir envahissant tout mon corps me livra entre ses mains qui se
baladaient voluptueusement sur mes pieds nus.
— Cette jeune femme qui était avec toi, c’est ta fiancée ?
Pourquoi posait-il la question ? Voulait-il simplement me taquiner, ou
bien cherchait-il à lire entre les lignes quelque chose de plus important ?
— C’est ma sœur Behi, la femme d’Hamed.
— Eh ! Hamed est le mari de ta sœur, tu m’en diras tant !
Commenter  J’apprécie          00
Notre souper consista en pain, fromage et pastèque. Le vieil homme
avait toutes sortes de provisions en réserve dans son sac. Il nous servit trois
verres de whisky et nous trinquâmes. Les bruits d’explosion se
rapprochaient peu à peu. Nous étions environnés de ténèbres que quelques
étoiles scintillantes éclairaient faiblement, à quoi s’ajoutait le reflet dans le
ciel d’un incendie, celui de la raffinerie. Le feu s’intensifiait. On pouvait
croire qu’il faiblissait. Soudain il reprenait de plus belle et les flammes
s’engouffraient dans l’obscurité du ciel comme dans un puits.
Le vieil homme versa un autre verre de whisky à Nadji.
— Prends-ça encore. Eskandar sera bientôt là.
Nadji but ce second verre. Je commençais à être inquiet.
— Je vous en prie, mon cher père, après celui-là, ça suffira.
— À vos ordres, monsieur le docteur !
Nous éclatâmes de rire tous les trois.
Nadji me regarda longuement et affectueusement, avec ce même rire
dans les yeux.
— Monsieur le docteur, puis-je descendre maintenant dans la
tranchée ?
— Bien sûr, répondit le vieil homme. Entre et vois comme c’est
propre. J’ai étendu quelques couvertures pour nous protéger de l’humidité.
Tu peux y aller.
Nadji prit son violon dans le sac et entra dans la tranchée. Il accorda
l’instrument en tirant quelques sons très doux puis se mit à jouer. Bientôt
une sorte de brise légère me rafraîchit le cœur. Le vieil homme fit asseoir sa
fille au bord de la tranchée, les jambes pendant à l’intérieur. La vieille
femme était assise dans un coin, les yeux dans le vague. Moi j’étais allongé
sur le ventre, la tête tournée du côté de l’entrée de la tranchée. J’écoutais
par-dessus l’épaule de Nadji chanter la musique. C’étaient comme des
vagues qui montaient l’une après l’autre. Mon cœur flottait dans cette
houle. Le vieil homme montait la garde au cas où quelqu’un, un milicien, se
rendrait compte de ce qui se passait. Il s’approcha de la tranchée.
— Joue plus fort ! dit-il à Nadji. Un peu plus fort !
La fille se mit à rire. Nadji, tout en jouant, s’était tourné vers nous pour
nous regarder. Comme s’il nous regardait du fond d’un puits. La vieille
femme était dans un autre monde. Un monde très loin d’ici qu’elle
contemplait dans un sourire. Que voyait-elle au-devant d’elle de si
captivant ? Quelque chose de beau, oui, certainement de très beau pour lui
arracher ce sourire de bonheur. La vie peut être remplie de belles choses
qu’on regarde pendant des heures avec plaisir.
Commenter  J’apprécie          10
Finalement, je sentis se
mouvoir dans le corridor une présence familière qui s’approchait de mon lit.
Avant cela, j’avais vu passer un groupe de femmes vêtues d’une épaisse
cape noire qui leur couvrait le corps de la tête aux pieds. Mes yeux étaient
rivés vers le couloir. Il s’avançait d’un pas lent et hésitant car il ne
connaissait pas les lieux et s’attendait à devoir tourner quelque part. Il n’y
avait pas de bifurcation possible dans cette immense salle. Il suffisait d’aller
tout droit. Tout en s’avançant, il observait les visages des malades allongés
ou assis dans leur lit. Il me cherchait. Il ignorait qu’il aurait du mal à me
reconnaître. L’infirmier était déjà parti quand Nadji arriva près de moi, avec
sa chemise blanche impeccable, la tête recouverte d’un keffieh, comme tous
les hommes de la région.
— Oh ! Nadji ! Où est-ce que tu vas ?
Son corps pivota sur lui-même. Il ne voyait pas d’où venait la voix. Il
regarda tout étonné cet amas de bandages et de voiles qui me masquaient le
visage. Il n’avait pas encore pu voir mes yeux. Il interrogea les bandages :
— Djamil ?
Je lui souris. Mais je suppose qu’il n’en vit rien.
— Rapproche-toi ! lui dis-je.
Et soudain je vis son visage s’épanouir de bonheur. Il fit un bond et se
planta en face de moi. Cette fois, son « Djamil ! » fut prononcé entre deux
sanglots. Il fondit en larmes.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Comme s’il cherchait à se retenir de tomber, il se précipita pour
s’asseoir au bord de mon lit. Il me prit la main, il la pressa et la baisa. Il
frotta la paume de ma main sur tout son visage. Je sentis sur mes doigts le
contact de ses joues baignées de larmes. Je compris qu’il savait tout de ce
qui m’était arrivé. C’est pourquoi je ne lui donnai pas d’explication.
— Comment as-tu su ? Qui t’a prévenu que j’étais ici ?
— Nosrat. Il m’a dit ne pas avoir beaucoup de détails. Que lui-même
l’avait appris par quelqu’un d’autre. Il ne m’a pas dit qui. Alors, il m’a
donné l’adresse de cet hôpital. On a posté un gendarme à l’entrée juste pour
toi. Quand il a compris que je venais te voir, il m’a bombardé de questions.
Il m’a demandé mon nom et mes coordonnées et il a tout noté. Après, il
faudra que j’aille me présenter au commissariat.
— Alors tu t’es mis dans ce pétrin à cause de moi ?
— Je ne pense pas que ce soit très important. Le type m’a dit qu’on
allait seulement me poser quelques questions à ton sujet. C’est tout. Il ne
m’a rien dit de plus.
inalement, je sentis se
mouvoir dans le corridor une présence familière qui s’approchait de mon lit.
Avant cela, j’avais vu passer un groupe de femmes vêtues d’une épaisse
cape noire qui leur couvrait le corps de la tête aux pieds. Mes yeux étaient
rivés vers le couloir. Il s’avançait d’un pas lent et hésitant car il ne
connaissait pas les lieux et s’attendait à devoir tourner quelque part. Il n’y
avait pas de bifurcation possible dans cette immense salle. Il suffisait d’aller
tout droit. Tout en s’avançant, il observait les visages des malades allongés
ou assis dans leur lit. Il me cherchait. Il ignorait qu’il aurait du mal à me
reconnaître. L’infirmier était déjà parti quand Nadji arriva près de moi, avec
sa chemise blanche impeccable, la tête recouverte d’un keffieh, comme tous
les hommes de la région.
— Oh ! Nadji ! Où est-ce que tu vas ?
Son corps pivota sur lui-même. Il ne voyait pas d’où venait la voix. Il
regarda tout étonné cet amas de bandages et de voiles qui me masquaient le
visage. Il n’avait pas encore pu voir mes yeux. Il interrogea les bandages :
— Djamil ?
Je lui souris. Mais je suppose qu’il n’en vit rien.
— Rapproche-toi ! lui dis-je.
Et soudain je vis son visage s’épanouir de bonheur. Il fit un bond et se
planta en face de moi. Cette fois, son « Djamil ! » fut prononcé entre deux
sanglots. Il fondit en larmes.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Comme s’il cherchait à se retenir de tomber, il se précipita pour
s’asseoir au bord de mon lit. Il me prit la main, il la pressa et la baisa. Il
frotta la paume de ma main sur tout son visage. Je sentis sur mes doigts le
contact de ses joues baignées de larmes. Je compris qu’il savait tout de ce
qui m’était arrivé. C’est pourquoi je ne lui donnai pas d’explication.
— Comment as-tu su ? Qui t’a prévenu que j’étais ici ?
— Nosrat. Il m’a dit ne pas avoir beaucoup de détails. Que lui-même
l’avait appris par quelqu’un d’autre. Il ne m’a pas dit qui. Alors, il m’a
donné l’adresse de cet hôpital. On a posté un gendarme à l’entrée juste pour
toi. Quand il a compris que je venais te voir, il m’a bombardé de questions.
Il m’a demandé mon nom et mes coordonnées et il a tout noté. Après, il
faudra que j’aille me présenter au commissariat.
— Alors tu t’es mis dans ce pétrin à cause de moi ?
— Je ne pense pas que ce soit très important. Le type m’a dit qu’on
allait seulement me poser quelques questions à ton sujet. C’est tout. Il ne
m’a rien dit de plus.
Commenter  J’apprécie          00

autres livres classés : iranVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus

Autres livres de Ghazi Rabihavi (1) Voir plus

Lecteurs (99) Voir plus



Quiz Voir plus

Les Amants de la Littérature

Grâce à Shakespeare, ils sont certainement les plus célèbres, les plus appréciés et les plus ancrés dans les mémoires depuis des siècles...

Hercule Poirot & Miss Marple
Pyrame & Thisbé
Roméo & Juliette
Sherlock Holmes & John Watson

10 questions
5267 lecteurs ont répondu
Thèmes : amants , amour , littératureCréer un quiz sur ce livre

{* *}