Paris, ville mondiale du XXème siècle. Qu'en sera-t-il de notre XXIème déjà bien entamé ? La capitale sera-t-elle capable de relever le défi de conserver sa place dans le quatuor de tête ?
C'est l'enjeu du projet du Grand Paris, c'est-à-dire la constitution d'une intercommunalité urbaine englobant Paris et sa périphérie. Il repose en grande partie sur la construction d'un réseau de transport performant : le Grand Paris Express (GPE).
200 kilomètres de lignes automatiques dont 90 % souterraines, organisées en rocade autour de Paris. 68 gares dans un environnement le plus souvent densément occupé…
Voilà le challenge qu'une équipe constituée d'ingénieurs, d'architectes, de paysagistes, d'artistes ont relevé.
Et les enjeux sont énormes.
Ils sont d'abord financiers : 36, 1 milliards d'investissement.
Ils concernent 12 millions de Franciliens notamment ceux qui habitent des banlieues si mal desservies qu'ils sont obligés de passer par Paris pour se déplacer de banlieue à banlieue. C'est pourquoi 80 % de ces déplacements se font en voiture… Il s'agit donc bien de considérer la mobilité comme un droit citoyen et de réparer une injustice spatiale criante.
J'ai dit « déplacements en voiture ». L'enjeu est donc bien aussi écologique. Il faut permettre aux habitants des territoires de recourir aux transports en commun facilement (98 % des Métropolitains seront à moins de 2 km d'une gare ou d'une station), rapidement (les temps de transport devraient être divisés par deux). le GPE sera interconnecté aux autres modes de transport : métro, RER, aéroport.
Ce projet pharaonique (l'un des cinq plus grands chantiers mondiaux actuels), déjà récompensé par le prix Veronica Rudge de Harvard, fait l'objet d'une exposition à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine de novembre 2023 à juin 2024. C'est ce qui a donné lieu à la parution de cet ouvrage qui m'a adressé à l'issue de la Masse critique de décembre. J'en remercie la CAP et Babelio.
Le livre est le fruit de la collaboration d'architectes, d'enseignants…. Bien illustré, il expose l'initiation du projet par
Nicolas Sarkozy en 2007, revient sur l'histoire des transports en commun parisiens afin d'insister sur la rupture politique que représente le GPE dans la gestion des banlieues qui passeront grâce à lui du statut « de territoires asservis » à celui « de territoires desservis ». Il explique les préoccupations urbanistiques, écologiques, de gestion des risques et les choix qui ont été nécessaires. Par exemple la question d'enterrer les lignes ou non. Non, si on s'inquiète d'inondation décennale. Oui, si on estime qu'en cas de canicule, le réseau souterrain sera préservé. Enfin les préoccupations architecturales sont longuement évoquées avec les 68 gares dont la visibilité sera un des marqueurs forts dans le paysage urbain, interfaces entre le souterrain et l'aérien.
Pour cela, 68 tandems architecte-artiste du monde entier ont été constitués. Chaque gare présentera des spécificités uniques, fruits de la collaboration de chaque tandem : forme, matériaux, captation de la lumière naturelle…
16 d'entre elles sont présentées en détail. Des photos, des maquettes, permettent de visualiser comment ces gares s'intégreront dans le bâti. Je dois dire que cette partie est vraiment passionnante et donne bien envie d'aller faire le tour de ces infrastructures quand le projet sera terminé.
C'est peut-être là que le bât blesse.
En effet, le propos est tout du long très élogieux ce qui se comprend puisque tous les rédacteurs du livre interviennent de près ou de loin à l'élaboration du GPE.
Pourtant, si la ligne reliant Orly à Saint-Denis Pleyel devrait être prête cette année -JO obligent- les autres chantiers semblent tous avoir pris du retard. En principe tout devrait rendu en 2030 mais..
De plus, si le chantier global est estimé à 36 milliards aujourd'hui, il ne devait coûter au départ que 22 milliards et déjà des voix s'élèvent pour annoncer que finalement ce sera 42 milliards.
Enfin, dans le livre lui-même, en alternance avec certains chapitres, des personnes impliquées ou non ont été invitées à exprimer leur point de vue. C'est là qu'on peut deviner des réserves sur son succès. Ce projet n'est-il pas trop tardif ? N'est-on pas en train de construire une ruine ? Quid de la question du logement dont le manque en région parisienne est estimé à 50 000 par an ? Les espaces autour des gares ne vont-ils pas être l'objet d'une spéculation effrénée ? Victimes d'une gentrification ?
Dans tous les cas, ce GPE écrit clairement une nouvelle page de l'histoire de Paris.