Ron Rash, né en Caroline du Sud en 1953, titulaire d'une chaire à l'Université, écrit des poèmes, des nouvelles et des romans. Son premier roman paru en France en 2009,
Un pied au paradis, a fait forte impression et
Serena en 2011, l'impose comme l'un des grands écrivains américains contemporains.
Le roman est paru aux Editions du Masque, classé chez les libraires au rayon Polars, mais bien que je n'aie aucun mépris pour ce genre littéraire, il est largement au-dessus de ce genre. Pour la forme, on pourrait le comparer à un cocktail 2/3 de Nature Writing et 1/3 de Polar, mais même ainsi, on sous-estimerait le bouquin.
L'action se déroule dans les années 30, dans les montagnes de Caroline du Nord. George Pemberton, un riche exploitant forestier vient d'épouser
Serena, une jeune et belle femme de son âge, sur un coup de foudre puissant après leur rencontre à Boston. A peine marié, le couple s'installe dans leur demeure aux abords du chantier de coupe de bois. La vie est rude et très dure pour les bûcherons qui y travaillent. La mort frappe régulièrement, les accidents du travail plus fréquents encore.
Très vite
Serena s'impose comme une femme énergique, connaissant parfaitement le métier que lui avait enseigné son père, lui-même exploitant, décédé depuis. En quelques actions et décisions fortes, elle impose son autorité et sa poigne sur tous ces hommes qui pourtant en ont vu d'autres. Même, les associés plus âgés de son mari, Buchanan et Wilkie, n'osent piper mot devant elle.
Serena est gonflée d'une ambition démesurée, la Caroline n'est qu'un terrain de jeu financier pour elle ; l'exploitation du bois ici, ne doit être qu'un tremplin pour son grand rêve, engranger des bénéfices avant de s'attaquer aux forêts du Brésil où déjà elle envisage l'avenir de leur couple.
George Pemberton n'est pas un tendre, mais sa femme, par son machiavélisme et son ambition insatiable qui lui interdisent toute sentimentalité, s'avère une meneuse d'hommes hors pair. Par amour et subjugué par son énergie dévorante, Pemberton tombera sous sa férule. Dès lors plus rien ne pourra arrêter l'ignoble héroïne dans sa marche triomphale.
Pour obtenir les terres couvertes de forêts qui risquent de devenir parc national, le couple n'hésitera pas à corrompre les élus et
Serena, sans broncher, enclenchera la vitesse supérieure avec le meurtre de tous ceux qui se dresseront devant elle. Pemberton et
Serena tremperont leurs mains dans le sang en une sorte de pacte faustien, avant de refiler leurs basses besognes à un sicaire à la solde de
Serena. La Justice, achetée, n'y pourra rien, seule la vengeance, tardive et mangée froide, apportera in fine, ce que le lecteur attendait depuis près de quatre cents pages.
Dès les premières lignes du livre vous savez que vous êtes devant une pépite (voir l'extrait, en fin de chronique). Un roman d'une ampleur magistrale, tant par le style que par le fond. L'écriture est somptueuse et précise,
Ron Rash connaît parfaitement la nature et tout ce qui s'y rattache ainsi que le métier de bûcheron, les détails les plus divers truffant le texte, apportent cette touche de véracité qui nous fait voir, plus que lire. La chasse à l'ours, l'élimination du raton-laveur dans le poulailler, pour ne citer que ces deux passages, sont superbes et atroces tout à la fois.
Il y a de l'antique dans ce roman. Une sorte de tragédie grecque, avec ce groupe de bûcherons revenant régulièrement dans le texte, commentant les faits et gestes des Pemberton ou les ellipses de la narration, comme le ferait un choeur dans les
tragédies d'
Eschyle ou
Sophocle. La mort omniprésente s'abat sur les hommes, qu'elle soit d'origine accidentelle dans des accidents du travail ou causée par la volonté démoniaque de la sulfureuse
Serena, qui parcourt le roman à cheval sur son cheval blanc avec un aigle dressé au poing. Mais
Ron Rash est aussi un moderne, son roman est une dénonciation et un cri de désespoir contre les déforestations massives qui laissent les terres mortes, un crime contre l'humanité.
Je crois pouvoir écrire des pages sur ce magnifique roman, alors pour faire court, je n'ai qu'un conseil, lisez-le !