Cet ouvrage nous propose une contre-histoire ou histoire complémentaire du développement du capitalisme au XIIe et XIII e siècle. La thèse:
La découverte du Nouveau monde et le développement des possibilités de navigation ont permis le décollage et la prise de pouvoir d'une nouvelle classe, la bourgeoisie, et avec elle l'essor du capitalisme moderne. Pour se faire, les élites marchandes ont organisé d'immenses déplacements de population pour coloniser le Nouveau monde et structurer des sociétés optimisées pour le profit. le plus connu est bien sûr la traite négrière. On découvre ici le déplacement des irlandais qui, après avoir été délogés par la privatisation des terres, se sont vu promettre le paradis par l'émigration pour finalement obtenir un statut guère meilleur que celui des esclaves africains. La propagande envoya ainsi tout une part de la population de la Grande Bretagne, dont une majorité d'exclus sociaux ou religieux, vers l'Amérique afin de les exploiter.
Face à cela, les auteurs nous décrivent les réponses imaginés par ces exploitées, les unions hétéroclites qui se sont formés, les rébellions, les contre-sociétés, les espoirs et déceptions de ces mouvements.
Passionnant, ça brise beaucoup d'idées reçues: les pirates noirs étaient légions, les esclaves pouvaient être blancs, les femmes avaient un rôle révolutionnaire majeur, de nombreux religieux étaient en première ligne contre cette société de l'oppression, des micro-sociétés atypiques, mélangeant tous ces peuples, sont nées avec des idéaux très éloignés du monde du profit, la piraterie, considérés comme des prédateurs dans notre imaginaire donc ultra-libéraux, s'est avéré être au coeur de la contestation du capitalisme.
Cependant, le livre est dense et détaillé (520 pages) On navigue dans les périodes historiques, de pays en pays, avec des personnages historiques méconnus des novices. le texte fourmille d'exemples souvent redondants et de références à des textes inconnus.
En résumé, l'ouvrage est un travail universitaire difficile d'accès mais d'un intérêt incontestable.
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Si l'on en croit un manifeste bêcheux (courant révolutionnaire chrétien du XVIIe), "L’Étendard déployé du vrai niveleur" (1646), le but poursuivi était le suivant:
Nous œuvrerons dans la vertu et poserons les fondations pour que la terre soit un trésor commun à tous, riches et pauvres. Que chaque personne née dans le pays puisse être nourrie par la terre, sa mère qui l'a mise au monde, selon la raison qui gouverne la création, sans enclosure aucune partie de la terre, mais tous comme un seul homme travaillant ensemble, et se nourrissant ensemble comme les fils d'un même père, membres d'une seule famille; non pas l'un dominant l'autre, mais tous se regardant comme des égaux en création. De sorte que notre créateur puisse être glorifié dans l'oeuvre de ses propres mains, et que chacun puisse voir qu'il ne fait point acception de personnes, mais aime également toute ses créatures, et ne hait rien que le serpent. Qui est la cupidité.
Notre livre regarde par "en bas". (..) L'invisibilité historique de la plupart des sujets de ce livre s'explique largement par la répression qui les a originairement frappés : la violence du bûcher, du billot, de la potence et des fers d'une cale de navire. Elle s'explique aussi par la violence de l'abstraction qui domine l'écriture de l'histoire longtemps prisonnière de l’État-nation, qui reste le schème d'analyse non interrogé de la plupart des enquêtes.
Le mythe de l'Hydre exprimait la peur et justifiait la violence des classes dominantes, les aidant à construire un ordre nouveau de conquêtes et d'expropriations, de potences et de bourreaux, de plantations, de navires et d'usines.
La loi enferme l'homme ou la femme
Qui vole l'oie au commun
Mais lâche la bride au scélérat
Qui vole le commun à l'oie
Chansonnette anonyme du XVIIIe siècle.
Marcus Rediker - Quel combat des Lumières pour notre époque ?
De passage en France pour présenter la biographie qu’il a consacré à Benjamin Lay, un des pionniers, au début du XVIIIe siècle, de la lutte contre l’esclavage, l’historien américain Marcus Rediker a participé, au siège de l’Humanité, à un débat portant sur l’actualité des Lumières et de la Révolution française avec les historiennes Stéphanie Roza et Déborah Cohen.