Raconter son enfance. Se la raconter. L'idéaliser. L'imaginer telle qu'on aurait aimé l'avoir vécu. Une enfance cocon dans laquelle les parents sont amoureux, beaux, heureux. Où l'on se sent protégé, consolé. le faire tout en douceur et en retenue. Jusque quelques phrases par page afin de distiller le bonheur familial en gouttes essentielles. Des ellipses élégantes, des photos couleur sépia au charme suranné, serties de musique classique et de livres à foison, partagés et à partager en famille. Mettant à distance la vie, la vraie, qui peut être tout autre chose. Un cocon chaud, calme, paisible. Comme une bulle de savon aérienne et légère.
Une mère gaie et aimante : « Mon souvenir le plus ancien, ou l'un de mes souvenirs les plus anciens, de moi enfant, se passe dans une roseraie. Je suis avec ma mère, elle rit, je ris aussi. Elle me tient dans ses bras, m'embrasse dans le cou, souffle dans mes cheveux. Il fait beau, le ciel est bleu. Ma mère cueille délicatement une rose, au plus près de la fleur, pour me la déposer à mon oreille. Comme tu es beau, me dit-elle. J'ai toujours été son beau garçon ».
Un père avec lequel partager des activités : « Mon père m'apprend à faire du vélo, me pousse, me tient, m'encourage. Dans le champ il y a des coquelicots ».
Et pourtant, fêlure il y a. Après avoir été enveloppés, nous constatons que nous avons été leurrés. Fêlure entre le rêve et la réalité, la jeunesse du narrateur fut tout sauf un conte de fées. Plutôt un conte terrifiant dans lequel des ogres, et surtout des ogresses, s'attaquent aux enfants, les brisant pour le reste de leur vie. Où les bas-fonds de l'humanité les plus sordides sont convoqués. Fêlure il y a, que les mots tentent de colmater. Meurtrière sur l'odieux et l'inimaginable que l'imaginaire tente de panser, dans laquelle
Emmanuel Régniez essaie de faire passer une lumière. de noires brisures derrière lesquelles tentent de se faufiler quelques rayons, timides, de lumière.
Ce texte morcelé d'un coeur éclaté m'a captivée. Partie pour ne lire que les premières phrases, par simple curiosité, lisant un autre livre en ce moment, je n'ai pu le reposer avant de l'avoir terminé. Comme hypnotisée tant par l'histoire, par l'écriture directe, pure, ciselée que par ces fragments courts, tels des éclats de verre acérés déchiquetant l'innocence, ce précieux vase de porcelaine. Un livre inoubliable, sombre, récit délicat d'une tentative de reconstruction. « Qui ne sait que toute vie est un processus de démolition ne peut pas écrire. Je peux écrire ». Et l'écriture d'
Emmanuel Regniez est une déflagration silencieuse…