Écrire, notamment, sur sa mère, et, plus largement, sur sa famille – son père, ses frères et soeurs – est évidemment un exercice profondément intime. Et par moment, comme lecteur ou lectrice, on se sent dans la position du voyeur, de celui qui se faufile dans le couloir de la maison pour capter une scène qui se déroule dans la cuisine, de celle qui, un soir d'hiver, observe la vie derrière une fenêtre éclairée. Et, naturellement, on ne comprend tout, parce que comment faire pour comprendre l'amour ?
D'ailleurs, cette question,
Alain Rémond la pose : c'est quoi, l'amour d'une mère ? C'est quoi l'amour pour une mère ? À quoi cela tient-il ? D'où cela nait-il ? Cet attachement profond, écrit-il, est né en dehors des mots : « dans mon enfance et mon adolescence, je ne crois pas avoir beaucoup parlé avec ma mère » (p. 136). « Alors, de quoi était fait ce lien entre elle et moi ? », s'interroge-t-il (p. 137). Question qui peut d'ailleurs s'élargir à toutes les relations familiales, ainsi qu'
Alain Rémond le montre, en revenant sur son père, qu'il découvre ne pas avoir su aimer, et en évoquant les relations avec ses frères et soeurs – ses soeurs, surtout, d'ailleurs.
Mais ce livre est aussi une réflexion sur la mémoire, sur les souvenirs. Sur leur enregistrement, mais aussi sur leur construction. Qu'est-ce que je retiens, et comment je construis ou j'extrapole ce que je n'ai pas su, pas compris, pas vécu personnellement ? Et, naturellement, ces questions sont fascinantes, parce que tous nous sommes confrontés, de ci, de là, à ces souvenirs dont nous apprenons un jour qu'ils sont notre interprétation faussée de quelque chose qui n'est pas arrivé comme nous l'avons cru !
« Intime et universel », ainsi que ce récit nous est présenté en quatrième de couverture. Et peut être tout est-il dit dans ce chapitre où l'auteur évoque une lectrice – j'ai adoré ce passage – qui, à l'occasion d'un salon du livre, lui a dit un peu brutalement qu'il racontait toujours la même chose, dans tous ses livres, avant de revenir pour déposer sur sa table un mot, s'excusant de le lui avoir dit, de l'avoir blessé. Mais, ainsi qu'
Alain Rémond le dit alors, un écrivain, finalement, écrit en effet toujours la même histoire : la sienne, avec ses souvenirs, ses sensations, et tout ce qui, sur le moment n'a pas été compris (p. 58-59).
Mais ce qui me frappe peut-être le plus dans ce livre, c'est la sorte de décalage entre ce qui est revendiqué et ce qui est décrit. À plusieurs reprises, en effet, l'auteur insiste sur l'amour, sur la proximité entre les membres de cette famille, sur le paradis qu'était le village où il a grandi. Mais, si je m'en tiens au premier degré de l'histoire qui est racontée, il y a autant de blessures et de colère que de tendresse et de bonheur. Une tentative de fugue, une rencontre ratée avec son père, la vente du chien Miron vécue comme une trahison, le regret de la guerre larvée entre ses parents une fois l'amour disparu, la fuite du village… pour finalement conclure que la volonté de fuguer était excessive, qu'il n'avait pas été un bon fils pour son père, comme si tous les torts étaient de son côté. Comme une expiation ?
En tout cas, ce livre donne l'envie d'aller voir sa maman, et de lui poser sur le front un baiser. Tout ne peut s'exprimer par les mots, car ils sont si imprécis, si faillibles, si réducteurs. Et l'on ne sait toujours pas d'où naît l'attachement… Mais qu'importe ?
Lien :
https://ogrimoire.com/2021/0..