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EAN : 9782246828921
140 pages
Grasset (24/08/2022)
3.43/5   61 notes
Résumé :
Demain matin, Samuel ira chercher sa femme et leur premier né à la maternité. Alors, en cette dernière nuit de solitude, à l’aube d’une vie qui ne sera plus jamais la même, Samuel veille. Partagé entre exaltation et angoisse, il se souvient du passé, songe à l’avenir, tente d’endosser son nouveau rôle de père.

Cette nuit est hantée par de nombreuses histoires. Celle de ses aînés, et d’abord celle de sa grand-tante, la fabuleuse Rosa, installée après l... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
3,43

sur 61 notes
La paternité toute récente du narrateur est un événement suffisamment riche sur le plan émotionnel pour raviver une mémoire familiale faite de souvenirs d'enfance joyeux mais aussi de traumatismes anciens dont l'empreinte dans l'histoire familiale tient à un fil ténu. La dernière survivante d'Auschwitz est sur le point de disparaître. Elle renonce à poursuivre le spectacle qu'elle donnait dans un cabaret qu'elle avait créé au Texas et qui relatait l'enfer des camps.

Dans son enfance, Samuel et ses cousins mettaient en scène une quête fantasmée au coeur d'un désert de tous les dangers, qui les menaient vers Shtetl city. Comment procéder pour que la nouvelle génération, la fille de Samuel qui porte ses premiers regards sur un monde qui draine ses propres drames, n'oublie pas totalement les affres du passé ? Comment transmettre ce qui fait partie de l'histoire de la lignée ?

En mêlant les époques et les lieux, Joachim Schnerf joue avec le temps, souligne les fragilités de la mémoire, et insiste sur la nécessité de ne pas oublier. Dans un récit sensible, où le bonheur d'être père cohabite avec le questionnement des valeurs qui construisent un être humain, il contribue à cette volonté de parler de ce qui est si difficile à affronter. le roman est très court et aurait sans doute mérité un développement plus important.

#Lecabaretdesmémoires #NetGalleyFrance
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Samuel et son épouse Lena viennent d'avoir leur premier enfant et c'est la dernière nuit avant le retour de la maternité, nuit qui va faire remonter des souvenirs, des évènements du passé et beaucoup d'interrogations, la première étant « qu'est-ce qu'être un père ?»

Dans la famille, il y a des secrets, des non-dits du côté de la branche paternelle de Samuel : sa grand-tante, Rosa a été déportée à Auschwitz à la suite de délation, et sa mère y a trouver la mort ainsi qu'une amie proche, tandis que le petit frère était confié à des voisins qui l'ont caché. Au retour, Rosa n'a pas supporté de rester en France et elle s'est exilée aux USA où elle tient un cabaret, animant chaque soir un spectacle où elle rend hommages aux victimes de la Shoah, égrenant les noms de personnes qui y ont perdu la vie. C'est le témoignage de « La dernière survivante de la Shoah ». Elle n'a jamais revu sa famille, s'est construit une nouvelle vie, dans le désert texan, avec son « Cabaret des mémoires » car comment parler de l'indicible en famille ?

" Chaque soir, elle enchaîne les anecdotes sur un ton hilare, comme autant de portées sur lesquelles la tragédie posera ses notes. Elle parle de son enfance, de ses parents boulangers fuyant les pogroms polonais avec elle et son petit frère pour trouver refuge dans les quartiers nord de Paris…"

Rosa est une grand-tante à laquelle Samuel et ses cousins vouent une grande admiration au point de se lancer, à l'adolescence, dans la découverte imaginaire de Shtetl City, une épopée à la fois amusante et émouvante.

Ce livre pose les questions essentielles, quand on accueille un bébé dans une famille dont le passé est lourd : comment parler de la Shoah et en quels termes, à quel moment, surtout dans la mesure il n'y a aucun témoignage au sein de la famille, les personnes qui sont revenues de l'enfer des camps n'ont pas parlé du moins pendant très longtemps, personne n'avait vraiment envie de les entendre. La culpabilité du survivant n'est jamais très loin, ce qui en fait un sujet tabou.

L'auteur aborde également le thème de l'oubli, car que se passera-t-il lorsque le dernier témoin aura disparu ?

J'ai beaucoup aimé la solution que Samuel a trouvé pour raconter la Shoah à son enfant et perpétuer le travail de Rosa dans son « Cabinet des mémoires » au moment précis où cette dernière s'apprête à tirer sa révérence.

" Ce soir, elle fera tomber le rideau à jamais. Elle sait que son travail touche à sa fin et que l'héritage qu'elle n'a pas pu transmettre par la filiation s'est cristallisé dans la parole qu'elle a bâtie, le mythe qu'elle a créé autour du cabaret."

Ce livre est très court mais d'une telle intensité qu'il bouleverse en profondeur. L'anxiété et les somatisations de Samuel ne peuvent que nous toucher tout autant que cette admiration pour Rosa devenue un mythe. J'ai juste un petit regret : ne pas savoir ce qui l'en était du lien (ou de l'absence de lien) entre Rosa et son frère…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Grasset qui m'ont permis de découvrir ce roman et son auteur que je connaissais pas du tout.

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Une naissance et tant d'absents

Dans ce court roman Joachim Schnerf cherche à relier son enfance à Rosa, la dernière survivante d'Auschwitz, et son fils qui vient de naître à la Shoah. Les affres d'un père face au devoir de mémoire.

«Par tous les moyens, je dois raconter à mon fils, je dois lui parler d'Auschwitz et de Rosa avant qu'elle s'éteigne. Qu'il entende son nom en la sachant en vie. Sinon, comment nous croiront-ils?» Samuel est seul chez lui. Son épouse Léna est encore à la maternité avec son fils. Une attente qui angoisse le jeune père. Sera-t-il à la hauteur de ce nouveau rôle? Pourra-t-il faire mieux que son propre père qui a longtemps choisi de ne pas le traumatiser avec le lourd passé familial avant d'évoquer sa soeur Rosa, partie s'installer au Texas où, tous les soirs, elle racontait son histoire dans le saloon de Shtetl City.
La tante d'Amérique qui a alors habité l'imaginaire de Samuel au point d'en faire l'héroïne de ses vacances dans les Vosges. Avec sa soeur Tania et son cousin Michaël, ils traversaient le désert et bravaient mille dangers pour parvenir à ce cabaret jusqu'à Rosa. Car alors, il fallait le soutien de l'imaginaire pour construire un récit par trop parcellaire.
Mais avec les années, Samuel va apprendre l'horreur de la Shoah, le drame qui a frappé sa famille qui a réussi à quitter «la Pologne antisémite et son shtetl, pour la patrie des Lumières, avant d'être rattrapée par le nazisme et la collaboration.» Rafles, déportation, extermination. Une fin que connaîtront six millions de personnes et qui ne peut que marquer le jeune homme qui doit apprendre «à respirer pour transformer les angoisses en névroses.»
«C'est lors du camp d'été au cours duquel j'ai rencontré Léna que j'ai compris pour la première fois comment me détacher de moi – je me trouvais à ce moment dans mon petit bois, mon refuge.» Alors, il communie avec Rosa, car à des milliers de kilomètres c'est le même combat qu'elle mène. Elle aussi cherche comment dire l'indicible.
C'est à l'enterrement du grand-père qu'il fera sa connaissance. «Je ne la reverrais plus jamais, mais ses yeux familiers et son tatouage continuent pourtant de me hanter. Comme un souvenir associé à la mort de mon grand-père, comme l'unique maillon me liant au génocide juif de ce côté de la famille.»
Joachim Schnerf, qui dédie ce roman à ses enfants, aura peut-être réussi à exorciser ses fantômes avec ce roman. Mais ce qui est sûr, c'est qu'il aura réussi à poser sa pierre sur la tombe de Rosa.


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Un roman très doux qui nous emmène en voyage dans les pensées du narrateur, la nuit avant qu'il aille chercher sa femme et son nouveau-né ! Cet de sa famille l'a amené à se souvenir du passé, celui qu'il a vécu et celui qu'on lui a raconté ainsi que de se poser la question de la paternité et de sa capacité à l'assumer !

Le cabaret des mémoires est celui de sa grand-tante Rosa, rescapée d'Auschwitz, qu'elle a installé au Texas après la guerre et où tous les soirs elle énumère des histoires, peut-être des noms pour que tout cela ne tombe pas dans l'oubli !

Les chapitres alternent Rosa, son présent et ses souvenirs, Samuel au temps présent et au temps passé et mis à part les parties concernant Rosa j'ai eu beaucoup de mal à différencier immédiatement la réalité ou l'imagination dans l'enfance de Samuel.

J'ai trouvé l'ensemble assez brouillon et j'ai été gênée dans ma lecture, je perdais le fil alors que j'aurais aimé me laisser porter par les souvenirs et non pas avoir à réfléchir à qui, quand, où !!

Je pense que la lecture en ebook n'améliore pas cette sensation alors qu'il est plus facile en version papier de retourner sur le titre du chapitre qui aide à se situer ! Cela reste malgré tout une belle histoire mais son expression ne m'a pas totalement satisfaite !

#rentreelitteraire2022 #Lecabaretdesmémoires #NetGalleyFrance

Challenge Riquiqui 2022
Pioche dans ma Pal octobre 2022 : Mylena
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Ce petit récit (heureusement il fait moins de 100 pages) me laisse perplexe. Ne jamais oublier : d'accord (évidemment). L'histoire de Rosa, dernière survivante de Auschwitz, partie construire un cabaret au Texas (pour chaque soir y donner une représentation de sa vie effroyable), survivante ayant préféré fuir la France, pays qui l'a livrée à l'extermination : d'accord. Mais le reste m'a évidemment dérangé, quand le narrateur écrit que la première chose qui lui vient à l'esprit lorsque son enfant né c'est de lui raconter la Shoah. Lui-même est hanté par les souvenirs et les photos de ces corps sans vies prisonniers des camps, et il n'a qu'une pensée quand son enfant ouvre les yeux : lui montrer par devoir de mémoire, comme une obligation de transmettre qui ne peut souffrir un temps nécessaire de vie avant les morts. Ce n'est plus de la victimisation (par procuration a la troisième génération, de surcroît) mais de la perversité. Pour être heureux, il faut souvent abandonner les bagages qui pèsent trop lourds, d'autant quand ce sont les bagages d'autres, très lointains très pesants. Il se demande s'il est un père normal en pensant ainsi... La mère viendra tempérer les névroses du père mais quand même : l'embrigadement dès le premier souffle m'a toujours effrayé. Si l'enfant pouvait prendre le temps de sourire avant que de pleurer.
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Citations et extraits (38) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Le long du couloir qui mène à la loge, se succèdent des coupures de presse et des photos jaunies. Des portraits de célébrités venues se produire dans le cabaret, des paysages polonais, le Mur des Lamentations enneigé, de vieilles femmes à Haïfa concourant pour l’élection de Miss Survivante de la Shoah. Certaines encadrées, d’autres non, ces images annoncent le cabinet de curiosités qui se cache au fond de la loge de Rosa et qu’elle détaille, grâce au miroir de sa coiffeuse, avant et après chaque représentation – elle regarde rarement en face ces souvenirs de douleur.
Derrière la porte rouge qui s’ouvre sur son sanctuaire, parmi les statuettes, les habits en lambeaux et les pierres couleur brique, se trouvent deux gamelles de métal. La sienne, qui lui a permis de s’accrocher au jour, marquée d’une infinie culpabilité. D’avoir volé, de n’avoir pas partagé, d’avoir piétiné des corps pour survivre. Rosa se souvient du nom de chaque femme tombée au seuil de la nuit, de leur visage creusé, elle se souvient de s’être nourrie au détriment de tant d’autres, humiliée par ses propres instincts. Et puis la gamelle de Jania.
Rosa tirera sa révérence demain, elle sent que la fin approche. La vieille femme a longtemps réfléchi à ce qu’elle ferait de ses biens, se demandant si elle devait léguer ces souvenirs à sa famille française, à un musée ou à un mémorial débordant déjà de pyjamas rayés et d’étoiles jaunes râpées. Non, elle restera fidèle à son cabaret et à ses spectacles, rien ne sortira de Shtetl City après cette nuit. Elle a préparé un inventaire des objets qu’elle léguera à l’éternité et le reste brûlera. Rosa a pris sa décision, rien ne l’empêchera de mettre le feu aux vestiges qui la rattachent à ses démons, elle veut se débarrasser d’eux avant son départ.
Rosa, qui a perdu son humanité pour revenir d’entre les morts. Rosa, la dernière rescapée d’Auschwitz encore vivante.
Quand demain reviendra la lumière, notre bébé sera là. Dans ce lit à barreaux que je fixe en pensant à mon enfance, lorsque très jeune déjà le nom de Rosa m’obsédait. À table, les histoires de famille nous conduisaient immanquablement vers elle. Mon grand-père racontait cette figure mystérieuse, cette sœur qui hantait les images floues de sa jeunesse et qui avait disparu, après guerre, vers l’Amérique. On ne parlait jamais d’Auschwitz, mais le nom de Rosa faisait jaillir les fours crématoires à l’heure du dessert.
Puis, quand le déjeuner traînait, lors de ces après-midi d’août dans notre maison de campagne au milieu des montagnes vosgiennes, nous nous échappions ma grande sœur, mon cousin et moi. Fuyant la surveillance de nos grands-parents, nous rejouions l’histoire familiale dans le jardin, en haut des marches faites de rochers gris, bruts. Lorsque les nuits étaient douces, nous dormions même à la belle étoile sur l’herbe assombrie. La maison n’était qu’à quelques pas mais nous pressentions que cette liberté nouvelle, cette autonomie chimérique, nous marquerait jusqu’à l’âge adulte.
Je peux sentir le vent qui nous caressa au petit matin, ce jour-là ; je me souviens des regards ensommeillés qui, en un instant, s’illuminèrent face aux promesses de l’aventure. Nous n’avions jamais vu Rosa mais elle nous fascinait. Notre Américaine installée en plein désert, celle qui avait conquis l’Ouest pour bâtir son cabaret. Nous ne savions pas très bien ce qu’était un cabaret, mais nous étions certains de la trouver au milieu du sable texan, tous trois parés de nos costumes de cow-boys dont je me rappelle la moindre frange. Les images et les sensations rejaillissent lorsque je m’y attends le moins, je m’y réfugie comme on se love dans la nostalgie et me laisse glisser en plein songe.
C’était l’été de mes neuf ans.

Les yeux ouverts mais le reste du corps endormi, je retenais ma respiration en restant attentif aux bruits du jardin encore bien calme à cette heure-là. Dans mon sac de couchage, je profitais de la chaleur préservée par le duvet alors que la rosée avait refroidi mes lèvres, que ma langue commençait machinalement à détailler, assoiffée, les perles d’eau. Combien de temps avions-nous dormi ? Tania et Michaël étaient à mes côtés, leur costume marqué par l’herbe humide. Près d’eux leur chapeau, leur lampe de poche, et le cercle de pierres qui protégeait un feu de camp imaginaire. Ma grande sœur avait fêté ses onze ans deux mois plus tôt, mon cousin était son aîné de dix mois – douze ans, l’âge de Rosa quand elle avait été raflée. Je les admirais pour leur assurance et leur courage, eux qui s’endormaient les premiers car à l’époque, les étoiles m’effrayaient. Elles m’obsédaient, me forçaient à les observer sans détourner le regard, pendant une heure, parfois deux, jusqu’à ce que mon corps s’abandonne et cède au sommeil. Une angoisse sans doute née des histoires que l’on raconte sur les morts montés au ciel. Ou peut-être l’idée qu’elles brillaient également au-dessus d’Auschwitz.
La veille, autour des brindilles éclairées à la lampe torche, nous avions chanté en attendant que la nuit s’installe. Nous étions bien loin déjà, transportés dans le désert américain avec ses soirées fraîches et ingrates, un désert sans pitié pour les étrangers de passage lorsque la brune gagne enfin l’horizon. Chacun connaissait son rôle, le jeu avait déjà commencé. « Les réserves d’eau ont atteint un seuil critique, avait solennellement lancé Tania en s’allongeant, le prochain village est à une dizaine d’heures de marche. » Nous partirions le lendemain à la quête d’une âme charitable, l’aventure commençait à se compliquer lorsque le sommeil avait finalement gagné la bataille.
Un peu plus loin, d’autres paupières s’étiraient. Ma sœur, la dure à cuire de la bande, se réveillait à son tour. Tania se disait aguerrie aux arts martiaux, elle affirmait être prête à nous protéger en cas d’attaque et cela me rassurait d’avoir une brute de notre côté. Nous étions partis depuis deux jours à la recherche du cabaret de Rosa, mais faute du moindre indice notre confiance commençait à s’effriter. Et la nuit, notre sang se glaçait lorsque des hurlements étranges perçaient le silence – des cris de coyote. Tania s’étirait lentement, me cherchait du regard. Michaël dormait encore et nous n’osions pas parler de peur de le réveiller. Elle me sourit, comme pour me dire que cette journée serait belle et que nous emporterions les heures à venir avec nous jusqu’à l’âge adulte. Ou peut-être me disait-elle qu’elle serait toujours là, qu’elle m’aimait, que près d’elle rien ne pourrait m’arriver. Nous étions pudiques et n’échangions pas de mots d’amour à cette époque, mais je me souviens de ce réveil comme de l’une de ses plus belles déclarations.
Quand demain reviendra la lumière, les souvenirs seront là ; dans le tiroir que je repousse en silence, le bout des doigts figé contre le bois, un instant encore. Nous sommes des milliers, des centaines de milliers, à conserver ces pages de l’enfer, l’histoire des membres de nos familles marquée à l’encre de douleur. Et pendant ce temps nos aînés s’éteignent. Mes grands-parents n’avaient pas souhaité écrire alors c’est moi qui ai retranscrit avec acharnement leur cachette en zone libre, la peur des dénonciateurs, des regards sur leur nez dont ils craignaient qu’il les trahisse. L’Histoire engloutissait leurs frères et sœurs à l’Est, pendant qu’eux répétaient jusqu’à la nausée les détails de leur nouvelle identité. Puis la guerre prit fin, l’humanité aussi, et le travail de mémoire débuta.
Mes grands-parents paternels avaient été orphelins jusqu’à leur rencontre, disaient-ils. Leurs parents n’avaient pas survécu, ils n’étaient plus là pour les conduire à l’autel lors du mariage qui fut célébré à la Grande Shoule de Strasbourg. Les rangs de la synagogue étaient vides, quelques amis bien sûr, mais la Shoah avait considérablement réduit le nombre de convives à rassasier après la cérémonie – c’étaient les mots de mon grand-père. Sous la houpa, le dais nuptial qui trônait au fond de la synagogue, se trouvait une seule personne de la famille, une inconnue venue des États-Unis pour l’occasion. Mon grand-père n’était pas proche de sa sœur aînée, elle qui n’avait pu être cachée à temps avant la rafle. Quelques lettres échangées lors de l’immédiat après-guerre pour expliquer les raisons de son départ vers l’Amérique, puis le silence. Elle n’avait plus donné de nouvelles au seul proche qui lui restait mais qu’elle ne connaissait plus vraiment, ce frère lui évoquant l’Europe dont elle écrivait ne plus vouloir entendre parler. Il incarnait ce continent associé au bruit des bottes, aux aboiements des bergers allemands, aux cris des gardiens du camp qui avaient émietté toutes ses madeleines. Pour Rosa, le présent était la seule saveur apaisante, le reste avait un goût de mort.
Je la rencontrai lors de l’enterrement de mon grand-père. Une dernière fois, elle avait traversé l’Atlantique, probablement avec un sentiment de devoir familial, lorsque mon père l’avait appelée pour lui annoncer la nouvelle. Jamais mon grand-père n’aurait pu imaginer que cette vieille dame résidant au Texas arriverait à Strasbourg moins de vingt-quatre heures après sa mort. J’étais en train de me laver les mains avant de quitter le cimetière, comme la loi juive l’exige, quand elle se plaça près de moi, face au robinet rouillé. Michaël soutenait ma sœur un peu plus loin, Tania avait quitté sa colocation londonienne pour les funérailles et avait failli s’évanouir au son de la terre frappant le cercueil en bois. Aucun d’eux ne sut à côté de qui je me tenais alors, cette silhouette que nous avions poursuivie toute notre enfance, fuyante, évanescente, une ombre dont je reconnus les traits, même si je les voyais pour la première fois. Rosa était très maquillée, ses yeux noisette me rappelaient ceux de mon grand-père. Elle releva ses manches, se rinça méticuleusement chaque phalange avant de couper l’eau et de me tendre une main encore humide. Je serrai les doigts ge
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Elle raconte la préciosité de la capitale, la rudesse des garçons de café, elle manie l’ironie et le cynisme avec la même énergie qu’elle met à tirer les larmes des spectateurs lorsque, avant que le rideau retombe, elle énumère tout ce dont elle n’aura pas la force de parler mais qu’il ne faudra jamais oublier : la rafle, les wagons, la sélection, sa mère à l’entrée des douches. Et l’odeur. Incapable de détailler, abandonnant sa gouaille incroyable, elle se contente d’une longue énumération morbide. Chaque soir dans une tenue différente, Rosa aux identités infinies liste sans raconter, elle nomme, martèle, pour qu’on ne puisse jamais nier.
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Par tous les moyens, je dois raconter à mon fils, je dois lui parler d’Auschwitz et de Rosa avant qu’elle s’éteigne. Qu’il entende son nom en la sachant en vie. Sinon, comment nous croiront-ils?
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Peut-être ne suis-je pas prêt. A être père et à partager ce spectre qui me pourchasse depuis toujours. Je le pensais endormi depuis l’enterrement de mon grand-père, mais il s’est brusquement mis à gesticuler lorsque j’ai décidé d’écrire à Rosa, il y a six mois. Elle a répondu à ma lettre en précisant qu’elle ne donnerait pas suite à d’autres courriers.
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Je la rencontrai lors de l’enterrement de mon grand-père. Une dernière fois, elle avait traversé l’Atlantique, probablement avec un sentiment de devoir familial, lorsque mon père l’avait appelée pour lui annoncer la nouvelle. Jamais mon grand-père n’aurait pu imaginer que cette vieille dame résidant au Texas arriverait à Strasbourg moins de vingt-quatre heures après sa mort. J’étais en train de me laver les mains avant de quitter le cimetière, comme la loi juive l’exige, quand elle se plaça près de moi, face au robinet rouillé. Michaël soutenait ma sœur un peu plus loin, Tania avait quitté sa colocation londonienne pour les funérailles et avait failli s’évanouir au son de la terre frappant le cercueil en bois. Aucun d’eux ne sut à côté de qui je me tenais alors, cette silhouette que nous avions poursuivie toute notre enfance, fuyante, évanescente, une ombre dont je reconnus les traits, même si je les voyais pour la première fois. Rosa était très maquillée, ses yeux noisette me rappelaient ceux de mon grand-père. Elle releva ses manches, se rinça méticuleusement chaque phalange avant de couper l’eau et de me tendre une main encore humide. Je serrai les doigts gelés et aperçus son tatouage. De honte je relevai le visage, comme un enfant surpris en train de fixer avec envie les formes d’un corps adulte, et elle me lança, d’une voix rauque : « Je suis Rosa. » Elle était grande, fine, avec de très larges épaules. Cette ligne horizontale qui allait d’un côté à l’autre de son corps m’avait frappé, une ligne prête à soutenir l’humanité autant qu’à se rompre. Je n’eus pas le temps de lui répondre qu’elle avait déjà franchi le portail du cimetière, rejoint le taxi qui l’attendait.
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Vidéo de Joachim Schnerf
Cloé Korman, qui publie "Les Presque soeurs", et Joachim Schnerf, auteur du livre "Le Cabaret des mémoires" sont nos deux invités.
"Les Presque soeurs" (Seuil, août 2022) raconte l'enquête de la narratrice qui cherche à retrouver les traces des cousines de son père. Mireille, Jacqueline, Henriette, Andrée, Jeanne et Rose sont menées de camps d'internement en foyers d'accueil, de Beaune-la-Rolande à Paris. L'autrice cherche à savoir qui étaient ces enfants.
"Le cabaret des mémoires" raconte une évasion romanesque et imaginaire, celle de Samuel, à la recherche de Rosa, sa grand-tante désignée comme l'ultime survivante d'Auschwitz, partie après-guerre au Texas. Une fuite pour monter un cabaret au milieu du désert.
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Le cabaret des mémoires (Joachim Schnerf)

Quel lien de parenté relie Rosa et Samuel ?

Rosa est la grand-mère de Samuel.
Rosa est la grand-tante de Samuel.

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