Dans cet ouvrage solidement documenté et pourvu de quelques photographies en noir et blanc,
Juliette Rigondet revient sur l'histoire un peu particulière de la petite ville de Dun-sur-Auron, dans le Cher. Une ville qu'elle connaît bien, puisqu'elle y a grandi. Pourquoi dis-je « particulière » ? Parce que Dun fut le lieu d'une expérimentation originale et réussie, qui se poursuit de nos jours : celle de l'accueil familial de personnes souffrant de troubles mentaux.
Tout commence en décembre 1892. le docteur
Auguste Marie, de l'hôpital Sainte-Anne à Paris, vient s'installer à Dun-sur-Auron en compagnie de vingt-quatre patientes classées parmi les « aliénés tranquilles » – comprenez des malades (séniles, dépressifs ou psychotiques) jugés non dangereux pour autrui comme pour eux-mêmes. L'auteure explique pourquoi cette ville a été choisie, comment s'effectuent la sélection des patientes (des femmes seulement à l'origine, même s'il y aura des entorses à cette règle au cours des décennies suivantes, et plutôt âgées pour éviter tout risque de grossesse – là encore, cette règle des origines sera contournée par la suite) et celle des familles d'accueil. On découvre la genèse de cette expérience thérapeutique originale mais non inédite :
Auguste Marie avait observé en Écosse une semblable démarche, et il existait en Belgique des « colonies » (c'est le terme employé à l'époque) de placement des « fous » parmi la population.
Juliette Rigondet revient dans un premier temps sur la vie et le parcours d'
Auguste Marie, pose le contexte socio-économique et rappelle brièvement les grandes tendances de la psychiatrie de l'époque, ainsi que les insuffisances, voire les francs dysfonctionnements, des asiles d'aliénés à la fin du XIXe siècle. Dans une deuxième partie, elle s'attache plus particulièrement aux pensionnaires, choisissant quelques figures marquantes et représentatives qu'elle a pu suivre grâce aux documents d'archives et, pour les plus récents, en s'appuyant sur des témoignages. Cette section est très intéressante et touchante, sans pathos ni mièvrerie. Elle soulève la question de savoir si toutes ces femmes étaient vraiment « folles », ou si les malheurs, la misère, la malchance plus que des raisons médicales réelles n'ont pas contribué à les mener jusqu'à Dun. L'auteure cite parfois des lettres de patientes ou de proches, qui manifestent en creux la toute-puissance de l'administration médicale. Une troisième partie concerne les « nourriciers », que l'on désigne aujourd'hui sous l'appellation de « famille d'accueil ». La tonalité sociologique est encore plus marquée ici, et nous renseigne sur les tenants économiques, moraux, sociaux et culturels de cette expérimentation. On apprend aussi bien à quoi devaient jadis et doivent aujourd'hui ressembler les logements destinés à accueillir les malades que la nature et l'évolution sur cent ans des rapports entre ceux-ci et les gens de la ville, entre séparation et acceptation, tolérance et moqueries. La dernière partie s'attache à la spécificité de ce village hôpital, aux types de soins dispensés, hier et aujourd'hui, à Dun, à l'importance de la structure hospitalière dans le tissu économique et social, au travail des pensionnaires ainsi qu'à leur sexualité. Elle soulève de nouveau des questions, sans prétendre apporter une réponse définitive ou donner un avis péremptoire, ce qui est bienvenu.
Le ton général de l'ouvrage est plaisant : sans verser dans l'angélisme, il propose une vision objective, abordant le pour et le contre, ne reculant pas devant les critiques mais peignant également les réussites de ce mode de soins. le seul reproche que je puis faire est que le livre comporte des coquilles, nombreuses dans certains passages. le travail éditorial aurait pu être plus soigné. Cela n'empêche cependant pas d'apprécier cette lecture, et de saluer le talent de
Juliette Rigondet qui, par son style agréable et son étude organisée en chapitres brefs et pertinents, présente avec brio ce « village pour aliénés tranquilles ».
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