C'est cette seconde thèse que défendait Leopardi lui-même, qui écrivait à son ami de Sinner, dans une lettre souvent citée: « Ce n'a été que par un effet de la lâcheté des hommes, qui ont besoin d'être persuadés des mérites de l'existence, que l'on a voulu considérer mes opinions philosophiques comme le résultat de mes souffrances particulières et que l'on s'obstine à attribuer à ces circonstances matérielles ce qu'on ne doit qu'à mon entendement. Avant de mourir, je vais protester contre cette invention de la faiblesse et de la vulgarité, et prier mes lecteurs de s'attacher à détruire mes observations et mes raisonnements plutôt que d'accuser mes maladies. » Si Leopardi, qui passait sa vie à se regarder penser, a vu juste en lui-même sur ce point important, c'est ce que nous allons rechercher en reprenant, aidés des documents nouveaux, encore une fois, le problème.
Ainsi sont la plupart des toiles de Rossetti, dont les figures ont toujours un sens profond, et qu'il a presque toujours expliquées et commentées dans des sonnets ou des poèmes. Avec tous les trois, avec aussi les artistes moins importants ou moins significatifs qui les entourent, nous sommes aussi loin que possible de l'art pur, tel que le conçoivent les réalistes modernes, qui ne pensent qu'à représenter des objets ; tel que le concevaient les artistes de la renaissance qui ne pensaient qu'à reproduire de beaux corps; et, à ce point de vue, ils se rattachent directement aux primitifs, bien plus que par certaines imitations plus ou moins réussies de procédés techniques, comme l'acuité des couleurs et la netteté du dessin.
En Italie, de son vivant même, Leopardi a inspiré à plusieurs de ses contemporains un enthousiasme presque fanatique : Giordani recourait aux expressions les plus chaudes de la chaude langue italienne pour lui exprimer sa sympathie; Antonio et Paolina Ranieri ont entouré ses dernières années de soins touchants et dévoués jusqu'à l'abnégation, et consacré une partie de leur vie à faire connaître son œuvre.