Trois semaines après avoir tourné la dernière page, ce livre hante toujours mon esprit. Il faut dire que j'ai prolongé l'aventure en visionnant les 6 épisodes de la mini-série Desperate Romantics, elle aussi consacrée à la confrérie préraphaélite ou Pre-Raphaelite Brotherhood (PRB). Rossetti et consorts occupent donc mes pensées depuis plusieurs semaines. Et j'ai du mal à m'en remettre.
Si j'admire les tableaux des peintres préraphaélites depuis de nombreuses années et si j'ai déjà lu quelques petites choses sur le mouvement ; je n'avais jusqu'alors, jamais plongé dans leur intimité… quelle claque !
Philippe Delerm ouvre son livre sur l'exhumation du cercueil d'Elizabeth Siddal en 1869, sept ans après son enterrement, alors que Rossetti souhaite récupérer le recueil de
poèmes qu'il avait glissé auprès d'elle.
En ce milieu de XIXe siècle,
Dante Gabriel Rossetti, John Everett Millais et William Holman Hunt tâtonnent. Ils ne supportent pas le classicisme de leurs pairs et recherchent plus de naturel dans leurs tableaux. C'est leur rencontre avec Elizabeth Siddal, en 1851, qui fera tout basculer. Jusque là modiste chez un chapelier, la jeune femme devient leur modèle, l'incarnation du premier idéal féminin de la confrérie et surtout celui de
Dante Gabriel Rossetti qui voit en elle la Béatrice de
Dante (l'écrivain).
Dante que son père italien traduit depuis des années et qui hante l'esprit du jeune peintre depuis toujours.
« Béatrice a été non seulement pour
Dante, la Dame adorée, l'amante idéale ; mais la tendresse mystique du poète l'a transfigurée et, pour ainsi dire, divinisée. Il en a fait sa muse inspiratrice, son guide, sa lumière. Elle a été pour lui l'étoile radieuse, l'astre propice illuminant son intelligence et son coeur, et épanchant sur son front le rayon divin qui fait jaillir la source des grandes pensées et des beaux vers. »
Gabriel Monavon
Elizabeth Siddal, plus souvent surnommée Lizzie (ou Sid par Rossetti) transfigure l'art de Rossetti. Mais comment aimer un idéal féminin quasi sacré ? Rossetti est un séducteur, il butine à droite et à gauche, surtout du côté des prostituées (Fanny) et des (futures) femmes de ses amis (Jane Burden Morris) malgré tout l'amour que lui porte Lizzie qui ne vit que pour incarner l'image que l'on attend d'elle. Artiste talentueuse elle aussi (peintre et poète), elle s'éteint pourtant à petit feu, fragilisée par la pneumonie que lui a causé son travail pour l'Ophélie de Millais (elle est restée dans l'eau glacée du bain en plein hiver sans que le jeune peintre s'en rende compte) et dépendante du laudanum qu'elle consomme en trop grande quantité. Elle meurt en 1862, à 32 ans, d'une overdose ou d'un suicide, chacun son interprétation.
Outre l'histoire tragique du couple Rossetti/Lizzie,
Philippe Delerm revient sur d'autres figures importantes de la confrérie : notamment le trio John Everett Millais,
John Ruskin et sa femme Euphemia (Effie Gray).
Ruskin est le critique d'art le plus influent de l'époque ; les préraphaélites tentent donc de lui plaire. Ses articles dans le Times sont déterminants et permettent l'envol de la confrérie. Mais derrière l'homme brillant,
Ruskin se révèle être un époux bien médiocre, à la limite de la maltraitance et de la perversité. Malheureuse auprès de lui, Effie trouve soutien et réconfort dans les bras de Millais mais il leur faudra attendre de longs mois (et un divorce scandaleux à l'époque) pour qu'ils puissent enfin convoler et connaître le bonheur de la vie à deux.
Philippe Delerm revient par la suite sur les connivences entre
John Ruskin et
Lewis Carroll, tous les deux très proches de jeunes filles pré-pubères qu'ils prennent sous leur aile (respectivement
Rose La Touche – qui sombrera dans l'anorexie à l'adolescence – et la petite Alice Liddell – qui sera l'inspiration de la célèbre
Alice au pays des merveilles)…
Et l'art dans tout ça ? Il est bel et bien présent. A chaque instant. Dans chaque aspect de la vie de ces hommes et femmes brillants qui étaient à la recherche du Beau. Grâce à l'intimité des artistes, on comprend d'ailleurs mieux leur vision et leurs oeuvres. On comprend mieux les opposés auxquels Rossetti a dû faire face : le corps ou l'âme, la chair ou le spirituel, le mortel ou le surnaturel ?… Cette Béatrice divinisée, pure et intouchable et pourtant si terrestre, si charnelle… La sensualité sacrée, voilà sans doute la meilleure définition du travail de
Dante Gabriel Rossetti.
Les éditeurs utilisent souvent des détails de tableaux préraphaélites pour illustrer leurs couvertures de romans, mais connaissez-vous les peintres qui se cachent derrière ? Soucieux de naturel, de détails et de couleurs vives, ils ont vécu et travaillé dans la deuxième moitié du XIXe siècle en Angleterre et traitaient de quelques thèmes récurrents : le Moyen Age, les scènes bibliques, la littérature (arthurienne, shakespearienne) et la poésie. Rossetti, Millais,
Ruskin, Siddal, Hunt, Burne-Jones, Morris… des noms que vous croiserez grâce à
Philippe Delerm et qui vous ouvriront les portes d'un mouvement bien particulier, tout en paradoxes et oppositions, tout en sensualité et sacralité.
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