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EAN : 9782708902596
Privat (16/02/2023)
4.44/5   25 notes
Résumé :
Marie-Louise, Lucie et Suzanne Stern sont nées dans une riche famille de banquiers et ont grandi dans la haute société du Paris 1900. À la faveur de mariages avec des aristocrates catholiques, elles entrent toutes les trois dans l’univers exclusif du gotha, fait de bals costumés, de chasses à courre et de réceptions données dans leurs hôtels particuliers.

En 1940, leur vie bascule avec l’invasion allemande. Au regard de la loi, Marie-Louise de Chasse... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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En dépit de nombreuses lectures sur les folies horribles du régime nazi, je dois avouer que le terme "aryen-ne d'honneur" ("Ehrenarier" en Allemand) m'était totalement inconnu.

Il est vrai que très, très peu de Juifs ont eu cet "honneur", par lequel ils étaient exempts des articles du statut des Juifs, telle l'obligation de porter une étoile jaune ou de s'enregistrer et d'avoir le mot juif/juive en toutes lettres sur leurs papiers personnels. Sans parler des confiscations, discriminations, arrestations, déportations et exécutions.

La procédure pour l'obtention d'une dérogation aux lois raciales nazies était évidemment plutôt alambiquée. En France, il fallait que le maréchal Pétain en fasse la demande explicite, par l'intermédiaire des autorités allemandes d'occupation, à Berlin.

Afin de figurer sur la liste nominative du maréchal il fallait avoir beaucoup de mérites, comme un Bergson par exemple, ou bien se débrouiller auprès de l'entourage de Philippe Pétain.

Dans son fascinant ouvrage l'auteur, Damien Roger, nous raconte en détail essentiellement les efforts et péripéties de trois femmes juives pour être considérées comme aryennes et il illustre ainsi les aberrations d'un régime de faveur pour échapper à un traitement inhumain et la mort.

Les trois dames en question appartenaient à la riche famille des Stern, banquiers influents. Il y avait :
- Marie-Louise Stern, née en 1879, qui épousa, en 1900, le marquis Louis de Chasseloup-Laubat ;
- Lucie Stern, sa soeur, née en 1882, qui épousa, en 1904, le baron Pierre Girot de Langlade et
- Suzanne Stern, leur cousine, née en 1887, qui épousa le marquis et député Bertrand de Sauvan d'Aramon.

Toutes les trois se sont converties au catholicisme et ont oeuvré pour devenir des aryennes d'honneur. Si elles ont réussi, comment et la suite, je vous laisse découvrir en lisant le récit captivant de l'auteur.

Damien Roger ne se limite dans son analyse historique de ce phénomène de sauf-conduits spéciaux pas à ce trio, bien entendu, il en mentionne d'autres comme Béatrice Camondo, née en 1894 et morte en 1945 à Auschwitz. Lire à ce propos l'excellent ouvrage de Pierre Assouline "Le dernier des Camondo", soit Moïse Camondo, le père de cette Béatrice. Voir mon billet du 12 décembre 2019.

L'auteur nous offre également une vue sur les agissements de l'entourage immédiat du Vainqueur de Verdun, son épouse la maréchale Annie Pétain (1877-1962) et son secrétaire et main droite, le docteur Bernard Ménétrel (1906-1947).

Le jeune auteur, Damien Roger, né en 1987, haut fonctionnaire au ministère de la Culture a, à mon avis, réussi un exploit avec son premier ouvrage sur un sujet hautement délicat et qui est sorti le 16 février 2023.

Le livre comporte 5 parties, des références bibliographiques et un pastel par René Joseph Gilbert des soeurs Marie-Louise et Lucie Stern. Il compte 367 pages qui se lisent facilement.
La belle photo de couverture est un portrait de la comtesse Maxime Alain de la Falaise au Grand Prix de Longchamp le 24 juin 1934.
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Juives et protégées par Pétain

En explorant cette page oubliée de l'Histoire de la seconde Guerre mondiale – celles des personnalités juives bénéficiant d'un statut particulier – Damien Roger nous offre un roman bouleversant et pose des questions éthiques vertigineuses.

La clé de ce roman est un courrier adressé par le maréchal Pétain aux autorités allemandes leur demandant d'octroyer un statut particulier à deux personnes:
«1) Mme de Chasseloup-Laubat, née Marie-Louise, Fanny, Clémentine Thérèse Stern, née à Paris, le 4 février 1870. Mlle Stern a épousé le 21 juillet 1900 à la mairie du 8° le marquis Louis de Chasseloup-Laubat, aryen, ingénieur civil. La marquise de Chasseloup-Laubat s'est convertie au catholicisme le 21 août 1900, a eu trois enfants, tous mariés : la Princesse Achille Murat, le Comte François de Chasseloup-Laubat, la Baronne Fernand de Seroux
2) Mme de Langlade, née Lucie Ernesta Stern (20 octobre 1882), soeur de la Marquise de Chasseloup-Laubat. Lucie Stern a épousé le 11 avril 1904 Pierre Girot de Langlade, aryen. Elle s'est convertie au catholicisme le 17 juin 1911. de ce mariage est issu un fils, Louis de Langlade, agriculteur.» Ce sont ces personnes dispensées du port de l'étoile jaune et bénéficiant d'un statut particulier qu'on appela les Aryennes d'honneur et dont le narrateur va reconstituer l'histoire.
Un sujet qui s'est quasiment imposé à lui, car il a croisé enfant la Marquise de Chasseloup-Laubat. Durant ses vacances, qu'il passait dans la loge de concierge de sa tante rue de Constantine dans le VIIe arrondissement, il avait été chargé par cette dernière, lui qui n'avait habituellement pas accès aux étages, de porter une panière de linge à la vieille dame. Impressionné par le faste de cet appartement, il avait profité de la courte absence de la marquise pour empocher une photo posée sur un guéridon. Un souvenir qu'il a déposé dans sa boîte à secrets, mais qui l'a longtemps tourmenté, rongé par un fort sentiment de culpabilité.
C'est bien des années plus tard, au moment de vider l'appartement, qu'il a retrouvé cette photo. Et encore plus tard qu'il a entendu parler des Aryennes d'honneur que l'on voyait sur le cliché.
Il s'est alors senti investi de la mission de reconstituer la vie de la marquise et de sa soeur.
Le travail de généalogiste n'aura pas été trop compliqué, la famille Stern faisant partie des 200 familles, ces dynasties qui régnaient alors sur le monde des affaires. Venue d'Europe de l'Est au XIXe siècle, les Stern ont construit un empire de la finance florissant dont Lucie et sa soeur Marie-Louise sont les héritières.
À l'issue de la Première Guerre mondiale, elles font la connaissance du héros national, le vainqueur de Verdun, le Maréchal Pétain. Elles se lient aussi d'amitié avec Annie, son épouse. Une amitié qui ne se délitera pas au fil des années.
Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, elles choisissent de ne pas quitter Paris, pourtant conscientes des dangers qui menacent les juifs. Elles ont notamment été édifiées par un voyage à Berlin à la veille du conflit. Mais fortes de la fameuse recommandation de Pétain, elles n'ont pas estimé être en danger.
Damien Roger fait alors d'abord un travail d'historien et, fort bien documenté, raconte la drôle de guerre, l'arrivée des Allemands et le repli du gouvernement à Vichy, la collaboration et le durcissement des politiques anti-juives avec le soutien des autorités françaises. Il montre aussi que malgré leur sauf-conduit la nasse va se refermer sur les deux femmes. Mais le drame subi durant l'Occupation ne va pas s'arrêter à la libération. Alors il va falloir se justifier, expliquer cette collusion avec l'ennemi.
La plume du romancier fait ici merveille pour nous plonger dans les tourments de Marie-Louise face aux quolibets et aux injures, alors qu'elle espère retrouver sa soeur envoyée dans les camps de la mort. Dans ce Paris qui se défoule avec l'épuration la justice prend souvent la figure d'une vengeance aveugle.
En tournant cette page méconnue de l'Histoire Damien Roger se garde bien de prendre parti. Il s'en tient aux faits, laissant au lecteur le soin de se faire une opinion. Après le bureau d'éclaircissement des destins de Gaëlle Nohant, voici le second ouvrage qui nous replonge dans cette période ô combien trouble de notre histoire. Et démontre avec éclat, au moment où nos regards se tournent vers l'Ukraine, toute l'absurdité de la guerre.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Je viens de tourner la dernière page de ce livre et j'ai eu beaucoup de difficulté à me détacher des personnages. Dans ce premier roman Damien Roger nous retrace la vie hors du commun de trois femmes de la haute bourgeoisie française qui sont nées juives à une époque où il n'était pas bon d'être de cette religion. J'ai lu beaucoup de récit sur cette période historique mais je n'avais jamais entendu parler des « Aryennes d'honneur ».
J'ai été surprise d'apprendre que le Maréchal Pétain avait exempté certaines personnes de porter l'étoile. Je me suis beaucoup attachée à ses trois femmes et à leur destin tragique. L'auteur m'a captivé par une histoire à la fois touchante, émouvante et passionnante. Bravo Mr Roger pour ce magnifique travail de recherche.
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Marie-Louise, Lucie et Suzanne Stern vivaient dans un endroit où le fracas du monde semblait ne pas pouvoir les atteindre. Mais le bonheur est une chose précaire et elles en ont pris conscience, à mesure que tout s'effondrait autour d'elles... Résumer en quelques lignes un roman de plus de trois cents pages, magnifiquement écrit, n'est pas chose facile.

Des origines comme un fardeau : mû par l'envie de raconter des vérités à travers une fiction mais aussi de donner à voir et à entendre ces femmes nées juives, converties au catholicisme et aux destins dans la tourmente, Damien Roger met en lumière une haute bourgeoisie supposément hors d'atteinte, la confronte à l'histoire en marche et à l'épreuve de la guerre, là où l'impensable le dispute à l'indifférence. Il dit la menace, la stupéfaction, la peur sourde, l'offense, le désarroi, l'espérance, le renoncement et le silence. Violences antisémites, régime de Vichy en faveur de l'Allemagne nazie, tout n'est qu'humiliation et cauchemar les yeux ouverts.

Le récit débute en 1900, bien avant la cavalcade conduisant au chaos. Pour que la tension, au fil de la lecture, ne cesse de s'accentuer. Au bal des mondanités, les "bien nés" font bonne figure, tandis qu'au-dessus de leurs têtes plane déjà le spectre du malheur. le roman se nourrit de détails expressifs, tour à tour poignants, déchirants, révoltants. Damien Roger parvient ainsi en quelques traits et avec une rare intensité, à dessiner les parisiens dans l'exode précipité de 1940 ou bien encore la captivité au coeur d'une geôle sordide où règne la promiscuité. Il fait revivre une époque certes enracinée mais déjà lointaine, ce qui lui a demandé un travail scrupuleux de documentation et de recherches. L'histoire est vraie, même si l'imagination se mêle aux archives. La langue est précise. L'écriture, élégante mais sans effet de manche, entrelace trois destins unis par la douleur. "Aryennes d'honneur" est un devoir de mémoire autant qu'un roman. le tout premier, comme une belle promesse faite par un auteur talentueux qui invite à lui emboîter le pas.
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Ce livre fut un véritable coup de coeur.
C'est encore un livre sur la place des juifs durant la seconde guerre mondiale mais ce livre nous montre un autre aspect.
En effet, on pourrait croire qu'en se convertissant au catholicisme par le biais du mariage, on échappe à la persécution du régime de Vichy. Et bien, que nenni !
En l'occurrence, Marie-Louise, Lucie et Suzanne – qui ont réellement existées – vont se retrouver à vivre comme n'importe quelles juives de cette époque. Et leur milieu ne les protégera en rien.
De 1942 jusqu'à la libération, elles vivront avec le peur au ventre, elles se retrouveront dans des situations laissant présager le pire.
Tout au long du livre, on ne peut que retenir sa respiration tellement, les faits s'enchaînent pour les unes comme pour les autres.
L'auteur n'oublie pas de nous parler des faits du maréchal Pétain et de ces agissements qui ont mené la France et le peuple juif à leur perte.
L'écriture dense – il y a très peu de dialogue – m'a un peu fait peur au début mais le récit est tellement captivant que ce détail s'est vite fait oublier.
Bien après la lecture, il m'a été difficile de ne pas repenser à ces trois femmes qui m'ont profondément touché et auxquelles je m'étais attachée.
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critiques presse (1)
Culturebox
20 mars 2023
Damien Roger offre à ses lecteurs une approche romanesque pour découvrir un sujet historique passionnant et inédit.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (3) Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)

Les secrets de la rue de Constantine
J'ai de mes premières années le souvenir indistinct d’un long dimanche couleur d'ardoise, si bien que je me demande parfois à quel âge je me suis véritablement éveillé à la vie. Je m'appelle Lucien Baranger. Ma carte d'identité indique que je suis né dans une ville de la région parisienne il y a soixante-dix ans. Mon père, un homme dévoué aux siens et extrêmement effacé, travaillait dans une petite quincaillerie d'où il rentrait le soir épuisé et le crâne lourd des conversations et bruits du magasin. Ma mère avait un don pour la couture. Pour une raison que j'ignore, elle avait dû renoncer assez tôt à son rêve de devenir modiste et se contentait d'effectuer des travaux d'aiguille pour une grande enseigne parisienne qui louait ses services. Ma jeunesse n'a connu aucun drame, aucun malheur et je suppose n'avoir jamais manqué de rien. Pourtant, si j'interroge aujourd’hui mon cœur et ma mémoire, j'ai le sentiment d'avoir toujours été un enfant mal adapté et différent. D'abord, j'étais fils unique. Dans la France d'après-guerre, c'était assurément une singularité. Est-ce pour avoir été privé de la compagnie d'un frère ou d'une sœur que les jeux avec les autres enfants m'ont toujours paru curieux, pour ne pas dire énigmatiques ? «Ne se mêle pas à ses congénères et préfère rester seul lors de la récréation», voilà ce qui est écrit dans mon carnet scolaire retrouvé récemment.

Aux premiers jours de juillet, à rebours de mes camarades qui quittaient l’Île-de-France pour gagner la montagne la campagne ou la mer, je prenais le chemin de la capitale sans me poser de questions, et sans qu’on me demande non plus mon avis. Je prenais mes quartiers d'été chez ma tante Concierge, elle occupait avec son mari une loge exiguë de la rue de Constantine, dans le 7e arrondissement. Je dis «exiguë, Car c'est ainsi que mes parents la qualifiaient. Pour moi, c'était avant tout un espace-temps marqué par une forte odeur de bouillon, dont l'existence n'était avérée qu'avec mon arrivée et qui s'évanouissait comme par magie avec la rentrée de septembre. Simone, sœur aînée de ma mère, et Marcel, son mari, n'avaient jamais pu avoir d'enfants. Mais il est évident qu'ils les adoraient. Contrairement à mon père, Marcel ne travaillait pas. Il avait eu la jambe broyée par un obus en juin 1940 alors que son régiment prenait la fuite devant l'avancée des forces allemandes. Malgré le dégoût que m'inspirait le mot «moignon», j'aimais beaucoup passer du temps avec lui. Moins sombre que mes parents et que ma tante, il me révélait que la vie pouvait être légère, voire facétieuse. Pendant que Simone s'affairait dans l'immeuble, nous avions l'habitude lui et moi de traverser l’esplanade des Invalides pour aller nous asseoir en bordure de Seine, où nous regardions passer les péniches débordant de grain ou de ciment. Marcel me racontait sa jeunesse dans le bassin minier du Pas-de-Calais. Loin de se plaindre des difficultés et des privations qu’il y avait connues, il semblait avoir le goût de la vie, comme d’autres ont le goût des sucreries. Nous payions souvent nos promenades de vives remontrances à notre retour rue de Constantine. Fallait-il que ma tante ait de l'imagination pour songer qu'il puisse nous arriver quoi que ce soit sur le chemin qui séparait la loge des quais de Seine. Mais un rituel est un rituel, et j'acceptais en bloc les habitudes de la maisonnée.
L'implication et le dévouement de ma tante Simone étaient très appréciés des occupants de l'immeuble. Intendante, femme de compagnie, figure maternelle, confidente, elle avait su se rendre indispensable auprès de tous. Son énergie, elle la puisait dans la très grande fierté qu'elle ressentait à tenir les clefs de cet ancien hôtel particulier situé dans les plus beaux quartiers. Tous les jours, même lorsqu'elle était fatiguée ou souffrante, elle prenait un soin infini à briquer les moindres recoins de la maison. Je me souviens de l'odeur de propre qui emplissait mes narines sitôt que, venant de la rue, on avait poussé la double porte. Nulle trace de doigts ne venait ternir l'éclat des immenses miroirs disposés de part et d'autre du hall. Dans la lumière discrète, les poignées de cuivre semblaient briller de mille feux, se réfléchissant à l'infini dans le jeu des glaces. Dans ce décor digne d’un palais royal, fouler l'épais tapis qui menait jusqu'à l'escalier monumental et au petit ascenseur métallique était pour tout visiteur l'assurance ultime qu’il avait pénétré dans un lieu d'exception, habité tout aussi indéniablement par des personnes de qualité. Du haut de mes sept ans, il me semblait qu'un peu de cette grandeur rejaillissait sur la personne de ma tante. Et à la façon qu'elle avait de refouler vertement les représentants de commerce et autres démarcheurs, il n'y a pas de doute qu'elle en pensait tout autant.
Lorsque Marcel était occupé à quelque tâche où ma présence était jugée inopportune par ma tante, je restais de longs moments dans l'office à faire semblant d'être absorbé par la lecture d'un magazine ou d'un livre illustré. En vérité, mon attention était tout entière tournée vers ce qui se passait à l'extérieur de la loge. Comme il m'était formellement défendu de circuler seul dans les parties communes, mon esprit gravissait en silence les escaliers, se faufilait dans les corridors, explorait jusqu'aux greniers. Parfois, des enfants passaient devant mon poste d'observation, accompagnés de leur gouvernante ou de leurs parents. Je ne manquais jamais d'interroger ma tante sur leur identité et leurs goûts en matière de jeux et de lecture. Mais ma curiosité était mal récompensée car ma tante se contentait la plupart du temps de les présenter comme «le fils du comte de...» ou «la fille cadette de M. et Mme...». Pour elle cette parenté répondait à toutes les questions. Elle disait à la fois la qualité de celui ou de celle qui avait attiré mon regard et la distance infranchissable qui nous séparait de ces gens-là. À quoi bon savoir s'ils aimaient jouer à la balle aux prisonniers? Je comprenais dans la déférence que manifestait ma tante que nous appartenions à des mondes que rien n'appelait à se rencontrer.
Au fil du temps et des étés, la géographie de l'immeuble m'était devenue tout à fait familière. Au deuxième étage vivait un couple d'Américains dont l’homme était correspondant pour un journal au nom imprononçable. Une somme fabuleuse de magazines et de courriers leur arrivait chaque matin, que ma tante entassait d'un air désabusé. Au dernier étage, une petite chambre abritait un peintre qui cherchait «à se faire un nom», ce qui, selon Simone et Marcel, paraissait absolument sans espoir étant donné le temps passé par le jeune homme dans les caves de Saint-Germain-des-Prés. Sous les toits se trouvait une série de chambres de bonne occupées principalement par des Espagnoles. Mais la personne qui m'intriguait le plus habitait l'étage noble. Il s'agissait d'une vieille dame, veuve, à laquelle mon oncle et ma tante s'adressaient avec un respect qui confinait à la religiosité. Si elle portait le titre de marquise, elle avait plutôt pour moi l'aura d'une reine ou d'un personnage biblique. Je la revois encore traversant le vestibule, déroulant son pas lent et auguste, appuyée sur une canne au pommeau d'ivoire. Arrivant à la hauteur de notre loge, elle marquait une halte pour donner ses instructions du jour. J'en profitais pour l'observer à travers l'entrebâillement de la porte. Sa peau était parcheminée et si ridée que cette dame me semblait d’un autre âge, d'une autre époque. Ses petits yeux vifs, surtout, me fascinaient. Ils semblaient par leur vélocité démentir son âge, concentrer ses forces et tenir en respect quiconque aurait eu l’impudence de la reléguer hâtivement du côté des ombres. Un jour, il me fut donné de l'approcher. La femme de charge de la marquise avait dû quitter précipitamment Paris pour soigner un parent malade. En son absence, ma tante veillait à ce que la doyenne de l'immeuble ne manquât de rien. Sans doute trop occupée pour s'en charger elle-même, tante Simone, après m'avoir fait répéter mes formules de politesse et de salutation, me confia une panière à monter chez la marquise. Le linge repassé qu'elle contenait pesait bien peu en comparaison de la responsabilité énorme qui reposait sur mes épaules. Tel un enfant de chœur portant le ciboire, je gravis un à un les degrés qui menaient à l'étage. Je me délectais de découvrir ce monde jusque-là dérobé à mes yeux. Sur le seuil de l’imposante porte d'entrée, je pressai le bouton-poussoir de la sonnette. Un bruit strident déchira subitement le silence de la cage d'escalier. Je fus littéralement saisi d'effroi. Je n'avais plus qu'une envie, redescendre en courant retrouver l'espace confiné de ma tanière. Mais des pas déjà se faisaient entendre de l'autre côté de la porte, qui approchaient lentement. Le vantail s'ouvrit sur la vieille dame au regard perçant. La marquise était en cheveux et je remarquai pour la première fois le haut chignon compliqué d'épingles que cachait habituellement son chapeau. Après que je l'eus poliment saluée, elle posa ses yeux sur mon paquet et m'invita sans délai à la suivre. Nous traversâmes le vaste hall puis une antichambre où je pus déposer ma panière. Ainsi de telles beautés existaient, les frères Grimm n'avaient rien inventé. L'appartement — mais à mes yeux il s'agissait plutôt d'un palais — portait en chaque point la marque du grandiose et du monumental. Je fus d'abord surpris par la hauteur des plafonds. Comment un immeuble, fût-il de belle taille, pouvait-il abriter ces volumes dignes d’une chapelle? Je n'entendais rien au mobilier ancien, ni aux tableaux ou objets rares autour de moi, mais tout me semblait anormalement grand, élégant et raffiné. Ce lieu était à n'en pas douter l'antre d'une fée, ou bien d’une sorcière. Alors que je restais la bouche ouverte et les yeux inexorablement fixés sur les lustres d'où jaillis
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Dans cette lettre, le docteur Bernard Ménétrel, secrétaire particulier du maréchal, transmit à Brinon seulement deux demandes précises d'exemption, classées par ordre de priorité. Ces demandes «déjà formulées verbalement» concernaient :
1) Mme de Chasseloup-Laubat, née Marie-Louise, Fanny, Clémentine Thérèse Stern, née à Paris, le 4 février 1870. Mlle Stern a épousé le 21 juillet 1900 à la mairie du 8° le marquis Louis de Chasseloup-Laubat, aryen, ingénieur civil. La marquise de Chasseloup-Laubat s'est convertie au catholicisme Le 21 août 1900, a eu trois enfants, tous mariés : la Princesse Achille Murat, le Comte François de Chasseloup-Laubat, la Baronne Fernand de Seroux
2) Mme de Langlade, née Lucie Ernesta Stern (20 octobre 1882), sœur de la Marquise de Chasseloup-Laubat. Lucie Stern a épousé le 11 avril 1904 Pierre Girot de Langlade, aryen. Elle s'est convertie au catholicisme le 17 juin 1911. De ce mariage est issu un fils, Louis de Langlade, agriculteur. p. 250
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Les 16 et 17 juillet 1942, près de 13 000 Juifs parisiens, parmi lesquels 4000 enfants, étaient arrêtés à leur domicile et rassemblés au Vélodrome d'Hiver. Ils seraient tous transférés vers les camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande avant d'être déportés à l'est. Le 18 juillet, après trois semaines d'internement administratif, Marie-Louise de Chasseloup-Laubat passait libre les grilles du camp des Tourelles pour rejoindre son domicile parisien. «Libérée sur ordre du commandant de la police secrète auprès du Militärbefehlshaber en France», c'est ce que rapporte une note d'enquête de la Direction des renseignements généraux de la préfecture de police datée de juin 1945. Aux côtés de l'ambassade d'Allemagne à Paris et de la Gestapo, le commandement militaire constituait l’une des pièces centrales du dispositif d'occupation. Qui avait transmis l'ordre de la faire libérer? Comment ne pas y voir l'ombre du maréchal Pétain? Ce dernier avait pris les devants. Le 12 juin 1942, soit treize jours après la publication de la huitième ordonnance allemande rendant le port de l'étoile jaune obligatoire pour les juifs le maréchal adressait un courrier à Fernand de Brinon, délégué général du gouvernement français dans les territoires occupés, donnant une interprétation toute personnelle des mesures contre les Juifs. p. 247
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