La théorie du chien perché

Le plumage, c'est TOUTES les plumes comme la chevelure c'est TOUS les cheveux, elle m'explique, cette mamie.
« On peut dire par exemple : Juliette a de très beaux cheveux bouclés, ou alors elle a une superbe chevelure bouclée. »
Ça se peut des oiseaux - par exemple - qui ont les plumes en rondelles pareil que moi ? Pareil que moi mes cheveux ?
Non ça se peut pas. Les oiseaux bouclés ça se peut pas.
(p. 60-61)

Quand je faisais des bêtises, avant, maman, elle se fâchait après lui :
- Arrête de taper ton frère, il le fait pas exprès, tu le sais bien ! c'est pas en lui tapant dessus que tu lui feras comprendre les choses ! il faut bien lui laisser faire un peu son expérience...
C'est sûr. Moi, il m'a souvent tapé, mais j'ai jamais compris pourquoi.
En tout cas, quand j'ai plus vu Lilette, quand j'étais tout seul avec Jean, la vie était pas pareille, du tout. C'était nouveau, comme expérience.
(La théorie du chien perché).

Lilette était tellement transparente qu'on ne voyait plus du tout sa forme sous le drap, et ça c'est fort, quand même ! Du coup, moi, je lui parlais pas, parce que si on fait autant d'effort pour ne pas être vu, c'est bien qu'on veut rester tranquille, non ?

Quand je dois partir, je suis mal. C'est du mal très lourd qui monte à petits pas dans mon ventre ma tête. (...) Des fois je suis tellement mal que je peux plus du tout bouger regarder ma maman mon papa de plus en plus petits dans la vitre de la voiture.
- C'est étonnant quand même, on se demande si elle comprend, si ça lui fait quelque chose de quitter ses parents. Tu as vu? Elle ne réagit même pas ! On dirait qu'elle s'en fout...
- Je crois pas. Je crois que c'est tout le contraire ,elle est trop émue...

Ça m'a foutu un drôle de vertige, me dire que j'étais dans un monde si grand que même si je me mettais à courir ventre à terre, toute ma vie durant, je pourrais jamais voir toutes les niches qui existent. Et puis, d'un coup, j'ai compris qu'une vie de chien, c'était jamais qu'une vie d'homme à ras de terre. En plus libre de faire ce qu'on a envie, c'est d'accord.
Mais on voit pas loin devant soi, comme vue. Jusqu'au portail, pas davantage.

Cette feuille est blanche. Je veux dessiner des lapins pareils que Fifine.
Comment on dessine, le doux ? [Doux est en italiques dans le texte]
[ tirée de la nouvelle " Je suis plein d'autres aussi " ]

Quand c'est des bisous d'arrivée je les aime. Quand c'est des bisous de partir j'aime pas. Et pas. Et pas.
C'est des bisous tout coincés sur ma bouche comme les mots qui sortent pas. Des bisous trop gros pour sortir, alors ça va dans mes pieds dans mes mains. Et je tape je griffe. C'est des griffures de chagrin.
(Je suis plein d'autres aussi).

Dehors dans le jardin, y a de la chaleur de jardin.
Dedans la maison, c'est de la chaleur de maison.
C'est pas les mêmes. Faut pas les mélanger.
C'est pas permis.
(Je suis plein d'autres aussi)

C'est ma faute à moi, si jet trouille, si les petits poussins-petits canards se mettent à courir de partout sur le mur de ma chambre et après on sait ce que c'est : ça court sur le plancher sous le tapis sous le drap de mon liiiiiiiit !

Lucile, elle fait quand même,comme ça :
"Hein, Mabikette ?"
Mabikette c'est moi.
Je suis plein d'autres, aussi.
Juliette. C'est le prénom de ma gourmette.
Poussin, chez papa-maman.
Juju, au foyer des Bleuets.
Tromoche, dans le miroir de la salle de bain, les jours où je suis mal, tout enfermée dedans l'intérieur de ma tête.