Beyrouth sentimental

L'académicien amoureux du Liban nous délivre dans ces 218 pages, quelques anecdotes de ses séjours au pays du cèdre. Ces anecdotes avec quelques figures levantines dont certains noms nous parlent (dans le désordre, Gemayel, Aoun, Joumblatt, Hariri, Arafat, Gibran, Ghosn…Fayrouz), et d'autre beaucoup moins sont décrites de manière clinique (relevé des dialogues, des faits bruts sur les destins funestes des uns et des autres). On sent plus le journaliste que le romancier. On y croise des personnages du militaire au politique qui sont entrés dans l'histoire pour avoir présidé aux destinées accidentées du Liban. Une gestion du pouvoir que bon nombre ont payé de leur vie. On n'échappe pas à la vision de la guerre (un pays en état de guerre permanente ) dans ce pays qui accueille depuis 1944 les palestiniens, les syriens ; tous finissant par se retourner contre la population qui les a accueillie, laquelle fait figure de victime de la convivialité entre les communautés qui s'inscrit dans l'ADN du pays. le Liban, « victime de l'une de ces tragiques parties de dominos que l'histoire affectionne », se vide depuis des décennies de ses forces vives, par vagues hémorragiques successives.
Cet exercice de mémoire sur la période 1987 -2022 n'a d'intérêt que si le contexte est au minimum brossé ou rappelé pour ceux qui ne sont pas experts en histoire du Liban ou de ce coin du moyen-orient. le récit est découpé dans le désordre en fonction des souvenirs délivrés; c'est très inégal et pas forcément aisé à suivre. Je n'en ai pas saisi la logique ni réussi à me convaincre que ce livre obéissait dans sa construction à une logique. le style aussi est très inégal. Certaines anecdotes sont très développées dans un style élégant, raffiné, soigné et on peut flirter alors avec l'émotion. Très souvent, il faut s'accrocher pour comprendre le propos tant les formulations sont déroutantes. Les énumérations très longues, les « phrases sans verbe », sont à répétition. S'il est question de « sentiment » dans le titre, je n'ai que trop rarement perçu cette émotion ni ne l'ai ressentie. L'auteur serait-il timide? Sur la fin, on sent un relâchement plus prompt à la confidence et à la délivrance qui laisse percevoir une sincère nostalgie d'un Liban disparu et dont l'avenir ne peut qu'inquiéter. On a le sentiment que l'auteur s'est mis à distance de tout sentiment, de toute émotion lorsqu'il partage ses souvenirs. Les pages ne font que glisser et on peine à se sentir touché. Décevant.

Ce livre est du grand art pour un auteur qui sait se livrer personnellement, faire vivre ce pays qui le mérite tant, Beyrouth et le Liban, avec un humour qui permet de relativiser une situation tragique avec des portraits savoureux de personnalités politiques et religieuses mais encore des habitants croisés depuis 1987.