La collection du « compte à rebours » est une nouvelle proposition des éditions du Seuil. Elle cherche à proposer des textes accessibles sur des problématiques contemporaines et de les entourer d'échos ou textes annexes entrant en résonnance avec le principal. Cela m'a assez plu et même si la juxtaposition des publications ne remplace pas la relation d'un échange véritable ou la rédaction d'une synthèse faisant affleurer les convergences, cette discussion en rebonds fonctionne bien.
Le propos principal est bien sûr celui de
Pierre Rosanvallon. J'avais lu il y a quelques années Les Passions ordinaires de David le Breton dont le sous-titre annonçait une « Anthropologie des émotions ». J'avais beaucoup apprécié l'ouverture que proposait ce livre sur un champ d'étude dont j'ignorais à peu près tout et dont je sentais pourtant qu'il avait, pour moi en tout cas, plus à faire avec le réel que bien des objets sociologiques en étude alors. Plus récemment,
Ci-git l'amer de
Cynthia Fleury m'avait emballée. Autant dire que j'étais impatiente de lire ces Epreuves de la vie puisque le livre inscrit également émotions et société au coeur de son propos. Ou plutôt étudie le point de correspondance entre ce que peuvent être des émotions, un collectif mouvant et une manière d'appréhender le réel. Comment des ressentis tels que le mépris, l'injustice, la discrimination dépassent la conscience individuelle de celui qui les éprouve, transcendent la conception d'une société de classes pour devenir des points de convergences émotionnelles, des constituants de groupes que rien ne saurait rassembler sinon ces émotions communes. Et comment l'absence de reconnaissance institutionnelle de ces communautés fluctuante renforce l'épreuve du mépris, éloigne un peu plus d'un utopique vivre ensemble.
Ce qui est délicieux avec
Pierre Rosanvallon, c'est la limpidité avec laquelle il pose et organise les éléments formant sa réflexion. Apportant à sa démonstration un éclairage historique remontant parfois jusqu'au 19e siècle mais toujours précis et opportun, il contextualise, nuance et éclaire chacun de ses objets d'étude. Loin des postures idéologiques toute faites ou des thèses slogan, on est conduits à saisir la complexité des notions abordées, la profondeur de leur enracinement dans des représentations collectives ou dans une histoire passée. Ainsi, le populisme, le sentiment de déclassement ou l'éloignement des partis politiques sont mis en perspective et deviennent les symptômes d'une société qui n'a plus les bonnes grilles pour se lire. Amenant de ses voeux d'autres modes de connaissance et de représentation pour qu'émerge une démocratie des épreuves fondée sur une philosophie partagée de l'égalité, l'essai se conclut par de possibles voies d'émancipation.