Comment cette histoire a-t-elle débuté ? J'habitais le Japon, elle la Mandchourie. Par un matin de neige, notre division s'est embarquée pour le continent. Depuis le pont, on apercevait une mer brumeuse hantée par la clapotis des vagues. De cette immobilité grise ont jailli les chemins de fer, les forêts, les fleuves, les villes. Les sentiers tortueux du destin m'ont conduit place des Mille Vents, où l'adolescente m'attendait.
Mourir, est-ce aussi léger que s’étonner ?
Aujourd'hui je vis, demain, au front, je mourrai. Ma félicité éphémère est plus intense qu'un éternel bonheur.
La légende dit que le Japon est une île flottante posée sur le dos d'un poisson-chat dont le mouvement provoque des tremblements de terre. Je tentais de me représenter la forme monstrueuse de ce félin aquatique. La douleur, pareille à une fièvre, me faisait délirer. Faute de pouvoir tuer le dieu, il nous fallait donner l'assaut au Continent. La Chine, infinie et stable, était à portée de la main. C'est là que nous assurerons l'avenir de nos enfants.
Son désespoir me plongea à mon tour dans une détresse indescriptible. Je croyais connaître les femmes mais, à vingt ans, j’ignorais que, au-delà du plaisir, l’homme parcourt un monde obscur où la dignité se perd, où l’on avance comme dans le nô, masqué, l’âme désolée.
La Lune est absente cette nuit, le vent gémit comme un nouveau-né. Là-haut, un dieu affronte une déesse en bousculant les étoiles.
Les Japonais avaient choisi d'être glorieux dans l'action et les Chinois dans la mort. La grandeur pathétique de leur suicide collectif est entachée d'une triste ironie. Se tuer trop tôt est une capitulation honteuse. La civilisation chinoise, plusieurs fois millénaire, a nourri un nombre infini de philosophes, de penseurs, de poètes. Mais nul d'entre eux n'a compris l'énergie irremplaçable de la mort.
Seule notre civilisation plus modeste, est allée à la rencontre de l'essentiel : agir, c'est mourir; mourir, c'est agir.
Le go oppose les êtres autour d’un damier mais leur donne dans la vie une confiance réciproque.
- Ne me dis pas qu’on t’impose ce mariage avec un inconnu.
Huong pleure de plus belle.
- Ce n’est pas possible. Comment acceptes-tu une bêtise pareille ? Les temps ont changé. Aujourd’hui, une jeune fille n’est plus soumise corps et âme à ses parents.
Les hommes ressemblent à un fer qu'il faut frapper pour en faire une arme.