Le silence, quand il n’est pas issu ou de la satiété ou de l’idiotie congénitale de l’homme et de la femme, est préparatoire… presque une oraison. La condition même de notre existence terrestre est l’échange, Marion Segré ; la respiration est échange, et toutes choses vitales le sont aussi. Je ne pense pas à ce que je vous dis, mais à ce que je vous tais, Marion, à ceci que je ne peux plus m’empêcher de vous dire : un silence qui se prolonge, à de certains instants, est préliminaire aux baisers, à la grande expression muette de bras qui s’ouvrent et se referment. Je vous répète que votre silence est dangereux.
Elle s’accordait un répit, quelques heures d’inaction. Ensuite, il faudrait se débrouiller pour que « cela ne se voie pas » ; c’est-à-dire, ainsi que tous les gens qu’on rencontre, remuer, articuler des mots légers à propos de choses graves, feindre de prendre intérêt à son travail, feindre de s’amuser, feindre sans trêve, recourir à l’ironie, par exemple prononcer avec détachement — un détachement simulé :
« La tragédie antique a fait école ; nous jouons tous, avec des masques. »
Je ne suis pas dure. Ou le suis-je… je n’en sais rien. Une fois prise l’habitude du travail, on n’a guère de loisirs à consacrer aux petites histoires sentimentales, ou seulement personnelles. Et je me défends mal contre l’impression d’avoir commis une faute professionnelle en m’accordant une promenade aujourd’hui, au lieu de travailler.
Ce qui prime, c’est de mener à bien le travail entrepris ; par conséquent, les petites susceptibilités et autres broutilles personnelles ne sont plus de mise.
Quand j’admire une œuvre d’art, cela ne signifie pas que je souhaite l’installer chez moi et l’avoir sous les yeux à perpétuité. J’admire : un point, c’est tout. Si je devais coûte que coûte m’exalter en ce moment, ce serait peut-être à propos de la chanteuse aux cils luxuriants…