Sugar et autres poèmes

DEZIR —



Exprimer, par la parole ou par l’écrit.
Signifier, vouloir dire.
Ke kyizo dezir, qu’est-ce qu’il a voulu dire ?
(Faut-il aller jusqu’à demander,
comme l’auteur du dictionnaire :
« quel sens caché donne-t-il à ses propos ? » ?)
Il a dû arriver souvent que la mère
se retienne de poser une question,
par crainte d’entrer dans une situation inextricable.
Por dezir jwego no se kema la boka,
Ce n’est pas en prononçant le mot feu
qu’on se brûle la bouche,
et donc un pronostic d’échec
n’entraîne pas forcément des choses fâcheuses

Por no dezir mas,
on pourrait dire bien davantage.

Il faudrait pouvoir attraper
ensemble
tous les mots d'amour
prononcés d'un
bout à l'autre du monde.
Il faudrait laisser courir à jamais
l'écho
de cette parole d'Arthur Cravan :
"dans mes gants de boxe,
des boucles de femme."
Il faudrait danser comme
dansait Robinson.
Boxe et jazz : musiques de
sauvages,
bagarres de barbares, zébrures
rouge
ardent.

La boxe pantomine ?...



La boxe pantomine ? Voire.
C’est vrai que le protège-dents
limite les conversations.
Pourtant, les deux
hommes se disent des milliards de choses
en silence. En poussées sourdes,
en halètements, en mots ravalés.
Ils s’échangent surtout des phrases
de pure géométrie, figures drues, jamais
deux fois les mêmes.
Le corps parle plus vite que l’esprit.
Ou c’est tout un :
deux intelligences démultipliées
ordonnent une métaphysique muette dans
l’espace obligé du ring.
Je sais que le ring est un de ces
lieux où l’on se sent tangent au monde et à
soi-même (Michel Leiris
à propos de l’arène tauromachique).
Mais, quel langage d’émotion tenue,
de chaleur pensée,
d’extrême tension si abruptement dominée,
si mystérieusement refroidie
puis décochée avec la force de ce qui
n’existera jamais plus !
L’un lance un poing et garde à lui son autre
… non… le relance…
En face, le boxeur se retire le temps d’y penser…

(mais, la plume ne suit pas.
Hors d’écrire.
Énigme inconcevable et archiconnue
de la densité de l’éclair.)