Prendre possession et faire prendre possession du futur, et aider et préparer à cette prise de possession
Dans leur introduction,
Benoit Falaize et
Smaïn Laacher contextualisent les textes présentés. Ils parlent, entre autres d'une « séquence historique de vingt ans », d'engouement culturaliste, de la commission
Berque, des critiques et de la démission d'
Abdelmalek Sayad de cette commission, de l'illusion d'une transmission de la culture familiale de génération en génération, de la sous-estimation de l'importance de l'école pour celles et ceux nommé-e-s enfants d'immigré-e-s, des injonctions d'intégrer celles et ceux qui le sont déjà et de décliner leur « différence », de l'égarement de la célébration factice de la diversité…
Ils soulignent particulièrement « L'intention bienveillante de valoriser le « culturel » ou la « culture » amène les professeurs à envisager ces notions de manière abstraite, décontextualisée et dans la majorité des cas, sans aucune référence au milieu social d'appartenance ».
Ils parlent aussi des rapports entre l'école, l'histoire de l'émigration, les situations sociales, « L'école agit comme si les conditions historiques de la venue en France des familles concernées étaient détachées de leur condition sociale et fait semblant d'ignorer l'asymétrie des rapports entre le pays d'origine et le pays d'accueil ».
Les textes d'
Abdelmalek Sayad sont intéressants à plus d'un titre. L'auteur intègre dans ses analyses le passé colonial, interroge ce qui peut-être nommée une défense relativiste de la « culture » attribuée aux familles d'immigré-e-s, parle des attentes envers l'école, critique les versions qui font de
l'immigration et des immigré-e-s les sources de problèmes, dénonce la non prise en compte des effets des dominations dans les pensées sur l'école, incrimine les catégorisations faisant de certain-e-s des extérieur-e-s ou l'existence des mécanismes de relégation, de disqualification sociale…
Quelques citations choisies subjectivement, mais qui me semblent bien illustrer les analyses de l'auteur :
« A parler des immigrés – adultes, enfants et familles -, on s'expose à un double écueil : on ne sait pas, dans tout ce qu'on en dit, ce qui, d'une part, tient au fait de
l'immigration proprement dite (définition juridique de la population immigrée comme catégorie formelle) et ce qui, d'autre part, tient aux conditions sociales et économiques que les immigrés partagent (même si c'est selon une modalité particulière) avec une fraction de la classe ouvrière française. »
« Il faut toute la « neutralisation » dont sont capables l'école et son action pédagogique pour que l'enseignement soit « apuré » de politique alors qu'on est en pleine politique. »
« En autres effets, l'irruption de
l'immigration au sein de l'école française offre l'occasion de révéler cette chose que l'école s'évertue à se dissimuler, à savoir l'hétérogénéité fondamentale de son public (ou de ses publics), mais, en même temps, elle contribue paradoxalement à mieux la masquer encore en raison de l'opération de substitution qu'elle permet : l'hétérogénéité qu'on dirait, ici, « internationale » (ou des origines nationales) et qu'ont dit plus volontiers « culturelle » se substitue à l'hétérogénéité sociale qui est, de la sorte, sinon totalement évacuée, du moins passablement euphémisée. »
« alors qu'on croit parler de
l'immigration et des immigrés, ne parle-t-on pas, au fond, sous ce qui n'est qu'un simple prétexte, de l'école française, de son fonctionnement, de ses différentes fonctions (ses fonctions latentes aussi) et, plus que cela, d'une chose qu'on nie habituellement, l'hétérogénéité fondamentale de ses publics ? »
« Enfants d'étrangers, peut-être ; enfants « étrangers » à la société française, assurément non, et, plus assurément encore élèves français en tant qu'élèves de l'école française. »
J'ai notamment apprécié les analyses sur la langue, les raisons de l'émigration (« on n'émigre pas impunément »), « l'insécurité qui caractérise la condition d'immigré », les mots, les catégories créées, les réductions des problèmes socio-politiques à des problèmes scolaires et à des problèmes techniques, l'invention de « cette monstruosité ou caricature pédagogique qu'ils appellent l'« inter-culturel » », l'enseignement d'exception, le postulat de l'égalité formelle, l'illusion de la fidélité à soi, les attentes à l'égard de l'école, les illusions scolaires, les logiques spatiales, le « relativisme culturel », les rapports asymétriques, les pédagogies ou l'illettrisme…
Des analyses à débattre, loin des simplifications ou des visions unilatérales…
« Scolariser, c'est nécessairement prendre un pari sur l'avenir et, autant que possible, sur un avenir qui ne serait pas mutilé d'avance »
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