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sur 879 notes
"Raconter bien, ça veut dire : de façon à être entendus". Telle est la conclusion de Jorge Semprun et de quelques amis en cet après 11 avril 1945, jour où le crématoire n'a pas été rallumé, jour de libération de Buchenwald par les Américains.

Longtemps, Jorge Semprun républicain communiste espagnol, exilé en France, résistant et déporté à Buchenwald sur dénonciation, n'a pas été sûr d'être revenu, poursuivi par des cauchemars récurrents. Très vite après son retour à la vie "normale" il a tenté d'écrire mais avait du mal à y survivre après son expérience de la mort journalière, alors que Primo Levi avait trouvé dans l'écriture de quoi apaiser sa mémoire.

C'est précisément dans cette forêt de l'Ettersberg qu'au 18e s. Goethe se promenait et travaillait à l'ombre des hêtres qui devaient servir à la construction funeste du camp de concentration de Buchenwald-Weimar.

Long cheminement moral, philosophique et littéraire de cet homme qui a tenté d'exorciser les démons du Mal nazi à travers des livres, des scénarios de films et même, un temps, comme ministre espagnol de la culture.

Tant de rencontres, tant de lieux, tant d'événements ont suscité au long des années des émotions telles que souvent l'amnésie délibérée de Jorge Semprun en était douloureusement réveillée. Comment dire l'indicible, comment imaginer l'inimaginable quand il n'a pas été vécu ?

Mélange de détails bouleversants et de scènes futiles de la vie ordinaire, le livre de Jorge Semprun (édité en 1994) interroge de mille façons la vie et la mort dans une alternance de dialogues et de monologues saisissants
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C'est un récit sur la difficulté de revenir à une vie " normale" après avoir connu les camps nazis. Comme l'écrit l'auteur c'est une résurrection, les survivants sont revenus de la mort. Semprun a mis beaucoup de temps à se décider à écrire sur sa déportation. A en parler même.
Tout témoignage qu'il soit oral ou écrit ne saura reproduire l'odeur de la fumée s'échappant du crématoire.
A la lecture de ce livre, on comprend la réflexion de certains déportés : " A quoi bon témoigner, ils ne nous croiront pas".
Un livre contre l'oubli.
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Écrire, un processus douloureux…

Si j'écris, je me raconte, y aura-t-il quelqu'un pour m'écouter, me comprendre?

Est-ce que raconter le passé permet de l'exorciser, ou au contraire, de s'enfoncer davantage dans la douleur intolérable? Et la question se pose avec acuité lorsqu'il s'agit d'un rescapé des camps nazis.

Ce n'est pas la culpabilité qui ronge l'auteur, il sait que sa survie est d'abord une question de chance. Ce qui l'empêche de profiter de la vie ce sont ces images qui surgissent même aux moments de bonheur : la neige qui tombe sur Buchenwald, l'odeur de la fumée du four crématoire, un ami qui meurt en récitant un poème. Raviver la mémoire pour écrire l'histoire, cela oblige à se plonger dans ces émotions, à revivre ces moments. Certains n'ont jamais complètement survécu à l'épreuve comme en témoigne le suicide de l'auteur Primo Levi.

Mais Jorge Semprún n'est pas qu'une victime de la guerre. C'est un Européen, espagnol de naissance, mais qui à vingt ans savourait déjà les poètes français et commentait Heidegger qu'il lisait en allemand. C'est un philosophe, un virtuose qui joue les mots et les idées, mais aussi un homme d'action et d'engagement politique, un vrai résistant.

Ce récit n'est pas une lecture distrayante, quand on lit sur les camps, ce ne l'est jamais. Un sujet qui touche au coeur des questions du Mal et de l'essence de l'être humain. Mais, malgré la folie meurtrière de la torture, un espoir de conserver un peu de fraternité.

La trame narrative n'est pas non plus facile, car elle suit le cheminement de pensée de l'auteur, avec ses redondances, avec une discontinuité qui mêle les moments de différentes époques. Ce n'est pas un roman, ce ne sont plutôt que des bribes de vies et réflexions.
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L'écriture ou la vie, voilà un dilemme surprenant pour le commun des mortels. Mais fait-on vraiment partie du commun des mortels quand on a réchappé d'un camp tel que Buchenwald ?
Après une telle expérience, le témoignage de Jorge Semprun nous enseigne qu'on ne revient pas vraiment à la vie, on reviendrait plutôt de la mort. Une mort cotoyée de si prêt et pendant si longtemps qu'il ne considère pas l'avoir évitée ou frôlée, mais plutôt vécue.
Comme si le réel passage dans l'au-delà ne se vivait pas, puisqu'il annonce justement la fin d'une vie.
Comme si fréquenter la mort au quotidien la faisait vivre.
Quoi qu'il en soit, des relents morbides sont à jamais inscrits dans son inconscient, susceptibles de jaillir au détour d'une respiration, parfois même dans un instant fugace de bonheur. Les premiers temps de son retour, il mettra l'écriture entre parenthèses, au profit croyait-il d'un retour à la vie : vie réelle ou vie rêvée, vie en pointillé.
le récit est magnifique, il ondoie majestueusement dans la vie de l'auteur avant ou après Buchenwald. Pour revenir faire une incursion dans ce pour quoi il écrit.
Un témoignage érigé en oeuvre d'art, voie qu'a élue Jorge Semprun pour tutoyer la bonne façon de raconter l'indicible.
Il aura mis une vie à finir par écrire ce livre. Même si je m'y suis parfois un peu perdu, je suis content qu'il ait traversé ma vie de lecteur.
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Oser écrire une critique d'un tel "monument" a quelque chose d'indécent. S'il s'agissait d'un roman, cela serait possible, mais ce livre est un récit autobiographique, et personne n'est en mesure de se mettre à la place de l'auteur, de ses sentiments et de sa souffrance. Jorge Semprun est un "rescapé" du camp de concentration de Buchenwald, intellectuel très érudit et brillant et à l'avenir prometteur, qui a mis des décennies avant de pouvoir reprendre le chemin de l'écriture... de même qu'il aura mis encore plus de temps avant de reprendre le chemin de Weimar et du camp de Buchenwald. Cela se comprend aisément, ne serait-ce que lorsqu'on lit ces quelques lignes extraites du manuscrit "L'écriture ou la vie" :
(...) - Un jour viendrait, relativement proche, où il ne resterait plus aucun survivant de Buchenwald. Il n'y aurait plus de mémoire immédiate de Buchenwald : plus personne ne saurait dire avec des mots venus de la mémoire charnelle, et non pas d'une reconstitution théorique, ce qu'auront été la faim, le sommeil, l'angoisse, la présence aveuglante du Mal absolu - dans la juste mesure où il est niché en chacun de nous, comme liberté possible. Plus personne n'aurait dans son âme et son cerveau, indélébile, l'odeur de chair brûlée des fours crématoires.
(...)
Un jour prochain, pourtant, personne n'aura plus le souvenir réel de cette odeur : ce ne sera plus qu'une phrase, une référence littéraire, une idée d'odeur. Inodore, donc. -

Témoigner de l'indicible, comme ont pu le faire d'autres rescapés de l'enfer de la déportation, voilà ce qu'a accompli Jorge Semprun, avec toutefois un style bien particulier, très intellectuel, introduisant beaucoup de références littéraires, et faisant souvent des digressions.
Un livre qui vient compléter les textes de Primo Levi, cités dans l'ouvrage, faisant oeuvre de devoir de mémoire.
A lire! Absolument!

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George Semprun a choisi d'écrire certains de ses ouvrages autobiographiques en français, langue qu'il dominait comme tant autres. Il s'est alors heurté à une difficulté sémantique inattendue de la langue de Molière, une lacune. Il est un mot qui fait défaut à cette dernière, celui qui exprime le "vécu intime" de la personne. En français, le mot expérience a une connotation trop physique, presque scientifique, il ne fait pas suffisamment appel au ressenti qui grave la mémoire profonde comme peuvent le faire les substantifs idoines en allemand ou en espagnol.

Car c'est évidemment sur ce terrain que se situe la raison d'être d'un témoignage, la transmission du "vécu intime" d'une page de l'histoire personnelle d'un être aussi tragique qu'a pu être celle des camps de la mort. Comment faire comprendre à autrui que celui qui en est revenu n'est plus celui qui y est entré, à celui qui est dehors ce qu'a vécu celui qui était dedans. Cette discrimination du dedans dehors est le credo de son premier ouvrage le grand voyage. Comment faire comprendre que celui qui était dedans y a vécu la mort, si tant est que la mort puisse se vivre, même s'il en est revenu.

Alors évidemment, quand il s'agit de transmettre ce "vécu intime", les difficultés se font jour : que dire, quand le dire, comment le dire, et au final pourquoi le dire ? Car le témoignant se heurte en fait à l'écueil suivant : qui pour entendre, comprendre et surtout admettre ? Qui aura le courage de se placer dans l'inconfort moral d'affronter une vérité historique déshonorante pour l'humanité ?

Jorge Semprun avait observé le sort réservé à l'ouvrage de Primo Levi édité dès le lendemain de la guerre, en 1947. le rejet des grands éditeurs, la diffusion confidentielle, le piètre accueil de ses contemporains étaient perçus par lui comme une volonté d'occulter cette page sombre de l'histoire de l'humanité, comme un faux-pas de cette dernière. Jorge Semprun s'était donc imposé l'exercice surhumain de repousser le harcèlement du souvenir et la tentation de le crier à la face du monde. Il refusait la culpabilisation d'être revenu de l'enfer - Il faut lire à ce sujet en fin d'ouvrage ce qui concourut à la survie du matricule 44904, son matricule. Il voulait connaître le bonheur fou de l'oubli. Il se plaçait en posture de quête de repos spirituel.

Avec L'écriture ou la vie, Jorge Semprun nous propose une forme d'élévation, que lui autorise sa culture philosophique. Conscient qu'une écriture de témoignage de faits ne serait que "litanie de douleurs", qu'il faut pour frapper les esprits lui préférer une forme suggestive plus que figurative, il n'évoque jamais la haine mais dénonce le Mal absolu. Avec la majuscule qui donne à ce substantif la dimension mythologique que lui vaut l'ampleur des conséquences néfastes infligées à l'espèce humaine par le nazisme.

La mort de Primo Levi en 1987 a été pour Jorge Semprun la prise de conscience de la dépendance du souvenir au témoignage des seuls survivants des camps de la mort : "Le souvenir vivace, entêtant, de l'odeur du four crématoire : fade, écoeurante… l'odeur de chair brûlée… Un jour prochain, pourtant, personne n'aura plus le souvenir réel de cette odeur : ce ne sera plus qu'une phrase, une référence littéraire, une idée d'odeur. Inodore, donc." La disparition de Primo Levi remettait la mort d'actualité. Jorge Semprun qui disait avoir vécu sa propre mort à Buchenwald acceptera quelques années plus tard, en 1992, une invitation à se rendre sur le site du camp. Il acceptait de confronter le rêve de la vie d'après, et d'avant aussi d'ailleurs, avec celui cauchemardesque qui lui avait volé ses vingt ans. Sa vie après le camp, c'était sa vie après la mort. Renaissance, aussi absurde que naissance, pour se voir confronté à une mort tout aussi stupide. Ce ne sont ni Camus ni Cioran qui le contrediront.

Après une stratégie de survie qui consistait à ne rien lire, ne rien écrire sur le sujet honni, à rechercher la compagnie de personnes ignorant tout de ce passé maudit et tenter de devenir un autre, Jorge Semprun trouve le courage d'affronter cette page de sa vie au travers de l'écriture, bien averti qu'elle le rendrait vulnérable aux affres de la mémoire. Il se convainc de dire que tout ce qui n'est pas du domaine du camp est du domaine du rêve, dans un ouvrage qu'il avait d'abord intitulé L'écriture ou la mort qui sera publié sous celui de L'écriture ou la vie.

Moi qui suis un lecteur de ces mots des Jorge Semprun, Primo Levi, et autres hommes et femmes témoins de l'enfer des camps, moi pour qui "l'odeur de la fumée du crématoire n'est qu'une phrase, une référence littéraire, une idée d'odeur", je reste fasciné d'horreur à la lecture de chacun de ces ouvrages qui du Mal absolu ne me donne certes qu'une idée, mais qui m'attribuent ma juste part de responsabilité d'appartenir à une espèce capable de ce Mal.
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Jorge Semprun, dont je découvre par ce livre l'immense culture littéraire, la vie d'engagements forts et l'impressionnante intelligence, raconte plus qu'il n'explique, car comment justement expliquer l'indicible, sa difficulté d'homme et d'auteur à parler de son expérience à Buchenwald où il est arrivé à 20 ans en 1944.
C'est un témoignage troublant et difficile d'accès, autant par l'érudition et la hauteur de vue de l'auteur face auxquelles je me sens bien petite, que par le sujet lui-même tant il est effectivement difficile pour lui de transmettre et pour nous de comprendre l'expérience d'un vécu, "una vivienza" au-delà de la mort.
Un témoignage qui éclaire en tous cas sur le silence des déportés survivants à leur retour des camps, fait qui m'a toujours profondément troublée.
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Jorge Semprun pose un dilemme auquel nous n'avons pas souvent l'habitude d'être confronté. Depuis quand faut-il choisir entre l'écriture et la vie ? D'un point de vue personnel, la question se pose depuis que Jorge Semprun a vécu l'expérience de la déportation à Buchenwald mais aussi, et surtout, depuis qu'il en est sorti. Vivant ? Il paraît… D'un point de vue biologique, c'est une certitude. Et pourtant, Jorge Semprun rabat leurs certitudes à toutes les victimes des apparences. S'il a l'air aussi étrangement vivant, c'est parce qu'il a traversé la mort : il l'a parcourue de bout en bout.


« Une idée m'est venue, soudain –si l'on peut appeler idée cette bouffée de chaleur, tonique, cet afflux de sang, cet orgueil d'un savoir du corps, pertinent-, la sensation, en tout cas, soudaine, très forte, de ne pas avoir échappé à la mort, mais de l'avoir traversée. D'avoir été, plutôt, traversé par elle. de l'avoir vécue, en quelque sorte. D'en être revenu comme on revient d'un voyage qui vous a transformé : transfiguré, peut-être. »


Mieux aurait-il valu mourir ? D'une certaine façon, oui, cela aurait été plus simple. En sortant de Buchenwald, en retrouvant sa vie, ses relations et ses habitudes d'avant le camp, Jorge Semprun découvre qu'il fait l'objet d'une méprise énorme. Tout le monde le prend pour un rescapé qui aurait échappé à la mort –en réalité, il connaît la mort mieux que celui qui ne serait plus là pour en témoigner. Et lorsqu'on lui demande de raconter son expérience des camps, Jorge Semprun se heurte à l'indicible. L'aspect frivole du langage apparaît et révèle ce qui semble être ces seuls objectifs : se constituer comme source principale de divertissement, au mieux comme média formalisé servant davantage de moyen (se lier avec d'autres individus dans un certain type de rapport) que de fin (transmettre des informations en adéquation ou non avec des idées reçues). Jorge Semprun ne peut donc pas raconter Buchenwald ni ses morts. Non seulement ses interlocuteurs ne le comprennent pas –ou le comprennent mal- mais lui-même perçoit le ridicule d'une telle volonté.


« Car la mort n'est pas une chose que nous aurions frôlée, côtoyée, dont nous aurions réchappé, comme d'un accident dont on serait sorti indemne. Nous l'avons vécue… Nous ne sommes pas des rescapés, mais des revenants… Ceci, bien sûr, n'est dicible qu'abstraitement. Ou en passant, sans avoir l'air d'y toucher… Ou en riant avec d'autres revenants… Car ce n'est pas crédible, ce n'est pas partageable, à peine compréhensible, puisque la mort est, pour la pensée rationnelle, le seul évènement dont nous ne pourrons jamais faire l'expérience individuelle… »


Alors Jorge Semprun élude, tourne autour du pot, essaie de trouver une nouvelle façon de parler quand même de cette expérience obsédante. Comme il le dit lui-même, le problème n'est pas technique mais moral. Peut-être est-ce d'ailleurs ce qui manque le plus aux gens qui l'entourent comme lorsque, plus tard, en visite à Buchenwald, devant la cheminée du crématoire, quelqu'un lui demande d'un air enjoué : « C'est la cuisine, ça ? » Ce qui, chez Jorge Semprun, provoque cette réaction : « J'avais horreur de moi-même, soudain, d'être capable d'entendre cette question. D'être vivant, en somme ».


Ainsi, pour ne pas se dégoûter davantage de lui-même, pour ne pas reléguer Buchenwald à la forme d'une vague historiette contée en termes usés et falsifiables, Jorge Semprun essaie de nous faire comprendre cette traversée de la mort par l'ampleur de ses conséquences présentes. Jorge Semprun est devenu une victime invisible –reconnu uniquement par lui-même et par les autres victimes- qui souffre d'être en perpétuelle inadéquation avec la vie « normale » en dehors des camps, cette vie qui lui semble à présent réduite, peu ambitieuse, peu consistante.


« C'était que la vie fût un songe, après la réalité rayonnante du camp, qui était terrifiant. »


Bardé de références et de relations, Jorge Semprun essaiera de donner une forme dicible à son expérience en la confrontant à celle des autres et en apprenant une certaine forme d'oubli -qui ne serait pas un mensonge adressé à soi-même mais ce qu'on appellerait aujourd'hui « résilience ». Il s'agit d'ailleurs du projet à l'oeuvre dans L'écriture ou la vie. Nous entendrons peu parler de Buchenwald et des souvenirs qui lui sont liés. Jorge Semprun a trouvé peut-être la meilleure façon de toucher autrui dans le récit d'une expérience personnelle : il s'agit de lui faire perdre sa ponctualité pour n'en garder que l'essence universalisable. L'écriture ou la vie bouleversera tout lecteur qui a pu connaître –de près ou de loin- cette sensation de décalage irréversible provoquée par l'expérience de la solitude mortelle. Et puisque, finalement, je reste également sans mots pour décrire d'une meilleure façon les sentiments qu'a pu me procurer cette lecture, je me réfugierai dans la facilité et laisserai l'honneur à l'un de mes porte-paroles préféré – Emil Cioran : « Pour qui a respiré la Mort, quelle désolation que les odeurs du Verbe ! »
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Dans ce récit remarquable, le grand et regretté Jorge Semprun raconte sa déportation puis la libération du camp de Buchenwald par les américains en 1945. Sorti vivant physiquement certe, mais comment reprendre gout à la vie après avoir cottoyé la mort et l'horreur au quotidien. Bien plus qu'un récit sur les camps, Semprun raconte comment grâce à l'écriture et aussi au rôle essentielle d'une jeune femme, il a réussit à revenir au pays des vivants. le livre d'un intellectuel engagé, en lutte constante contre la barbarie, la dictature.
Un texte qui résonne longtemps en vous, car comment dire l'indicible tout en restant debout, Semprun à constamment lutter avec ce questionnement dire pour ne pas oublier, ne rien dire pour s'oublier. Magnifique et indispensable.
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Il m'aura fallu beaucoup de temps et d'hésitations avant d'entreprendre ce billet. Auparavant, il me fallait reconnaître et admettre l'impensable. Oui, indubitablement, j'ai trouvé ce livre de Jorge Semprun d'une beauté indicible...
Avec toutes les questions éthiques que cela m'a posé. Comment admettre une esthétique inégalée à un récit de la pire des horreurs? Comment pardonner ces palpitations éblouie à la lecture de phrases qui disent le Mal absolu?
J'ai finalement trouvé une forme d'absolution en revenant au chapitre où Semprun et quelques co-detenus, fraîchement libérés, évoquent cette difficile parole à venir. Comment relater l'impensable, l'insoutenable, le non imaginable ?
Et cette phrase de Semprun qui laissait percevoir sa stratégie à venir. "L'autre genre de compréhension, la vérité essentielle de l'expérience, n'est pas transmissible... Ou plutôt, elle ne l'est que par l'écriture littéraire..." Phrase à laquelle répondait celui qui avait été professeur à l'université de Strasbourg : "Par l'artifice de l'Art, bien sûr !"
Oui, seule la beauté pouvait contrebalancer l'ampleur d'une telle monstruosité.

Et ce livre, c'est Guernica.

Il aura aussi fallu beaucoup, beaucoup de temps et de silence à l'auteur avant d'esquisser le titre de L'écriture ou la vie qu'il avait initialement nommé L'écriture ou la mort.
C'est la distance de ce chemin vers la vie où contre la mort que ce livre tente de mesurer, d'appréhender dans une approche philosophique, littéraire, politique, et ô combien charnelle.
Car écrire, c'est accepter de se souvenir. C'est revenir sous le linceul nimbé de fumées innommables ; c'est sentir à nouveau sur ses épaules, comme autant de flocons, la neige éternelle des copains disparus par la cheminée.
L'écriture ou la vie n'a que peu allure de témoignage, et pourtant, il dit beaucoup plus que la réalité. Il travaille au plus profond, élague les scories des jugements moraux ou théologiques. Ni dieu ni censeur dans ce carnaval de fous. Seuls des hommes nus, maigres, chancelants, "cadavres debout" descendus de wagons dans l'antre du Mal. Dans cette narration, l'auteur est fort d'une préséance unique. Il n'est pas un survivant, il est un revenant. Il a traversé la mort, ou bien la mort l'a traversé comme lui-même s'interroge.
J'avais lu ce livre il ya longtemps, à sa sortie en 1994. J'en gardais le souvenir d'une lecture âpre et souvent difficile.
C'est une oeuvrequi nécessite une maturation et, humblement, une connaissance plus étendue de ce que l'on nomme aujourd'hui la littérature des camps. La jeune femme que j'étais n'avait pas assez arpenté les chemins ardus de cette période effroyable.
Ce dont je me souvenais parfaitement par contre, c'est d'avoir été accompagnée dans ce périple par une cohorte incroyable de poètes: Hugo, Lamartine, Toulet, Jammes, Rimbaud, Mallarmé, Apollinaire, Breton...
Et puis, bien sûr, René Char et Aragon qui poseront leurs mots rédempteurs sur l'homme redevenu libre.
Le poème d'Aragon, Chanson pour oublier Dachau était depuis longtemps posé sur ma table de nuit. Il prend aujourd'hui et enfin tout son sens.

"Nul ne réveillera cette nuit les dormeurs
Il n'y aura pas à courir les pieds nus dans la neige (...)
Dans l'épouvante où l'équilibre est stratagème
Le cadavre debout dans l'ombre du wagon
(...)
Oh vous qui passez
Ne réveillez pas cette nuit les dormeurs."
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